Jusqu’en décembre 2008, Omar suivait les cours de l’école américaine de Gaza. Il la connaissait bien, puisque c’est son père, Jawdat Khoudary, un riche entrepreneur, qui l’avait construite dans les années 1990. L’école a été détruite par l’armée israélienne lors d’un raid de l’opération « Plomb durci » en janvier dernier. « Après la guerre, mon fils m’a dit qu’il voulait étudier les explosifs, raconte Jawdat Khoudary. Les jeunes de Gaza sont traumatisés. De leur vie, ils n’ont connu que la destruction. Qu’attendre de cette génération ? Si cela continue ainsi, elle nourrira les rangs d’Al-Qaida. »
Jawdat Khoudary est un familier de Genève. Il y a deux ans, sa collection d’objets archéologiques avait permis le succès de l’exposition Gaza à la croisée des civilisations inaugurée par Mahmoud Abbas et Micheline Calmy-Rey. Ses trésors, accumulés au gré de ses travaux de terrassement, reposent depuis dans un entrepôt genevois. « Heureusement qu’ils sont ici, à l’abri. Je remercie Genève. Je les rapatrierai quand il y aura des progrès politiques à Gaza… dans plusieurs années. » L’homme d’affaires devait, avec l’aide du Musée d’art et d’histoire, construire un musée archéologique à Gaza. Le projet n’est pas abandonné, mais suspendu. Entre-temps, il a inauguré un plus petit musée sur sa propriété qui a rencontré un vif succès auprès de la classe moyenne gaziote. Mais lui aussi a été endommagé par l’armée israélienne.
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Cette singulière aventure est relatée dans un excellent livre de la journaliste Béatrice Guelpa*. De retour de Gaza, elle témoigne : « Les gens sont comme dans une prison, et à l’extérieur on les considère comme des terroristes. Le combat de Jawdat permet de briser cette image. Son musée est une forme de résistance, une fenêtre sur le monde. »
Jawdat Khoudary a patienté quatre semaines avant d’obtenir l’autorisation israélienne de quitter Gaza pour assister à la sortie du livre à Genève. Pour l’homme d’affaires, il y a un avant et un après « Plomb durci » : « Avant j’avais réussi à conserver mon optimisme malgré toutes les épreuves. A présent je suis pessimiste. La guerre est finie depuis trois mois. Rien n’a changé. Et le monde a oublié Gaza. » Du fait du blocus israélien, ses affaires sont gelées. Alors il passe son temps dans son jardin.
« Pourquoi Israël a-t-il tué plus de 1000 civils et détruit 70% des infrastructures ? Pourquoi Israël a-t-il bombardé même un zoo ? Pourquoi détruire des écoles ? Pourquoi infliger une punition collective ? Pourquoi interdire l’accès des matériaux de reconstruction ? Pourquoi n’avons-nous toujours pas de vitres à nos fenêtres ? » Voilà de quoi parlent les Gaziotes aujourd’hui. Et ils n’ont pas de réponses. « Le Hamas est toujours là, les tirs de roquettes continuent et le soldat israélien Gilad Shalit est toujours prisonnier. Cette tuerie, ces destructions ne répondent à aucune raison. Comment convaincre les enfants que c’était contre le Hamas ? » Comme dans le camp de la paix en Israël, c’est désormais le désespoir qui domine à Gaza.
Tout n’est pourtant pas noir. Le musée de Jawdat Khoudary a rouvert ses portes en début de semaine. « Mais je ne blâmerai pas les gens s’ils ne viennent plus. » Au Musée d’art et d’histoire de Genève, deux Palestiniens suivent une formation dans l’attente de la réalisation d’un grand musée à Gaza. Quant à Omar, le fils aîné de Jawdat Khoudary, il poursuit désormais ses études en Jordanie. « Il parle à nouveau de devenir ingénieur. Il redevient normal ! »
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Et puis, il y a l’histoire de ce médecin palestinien dont trois filles ont été tuées par les bombardements israéliens dans son appartement mais qui continue de travailler en Israël. « On parle de lui pour un Prix Nobel de la paix. C’est bien. »
*« Gaza debout face à la mer », Ed. Zoé.