- Portraits de fedayins, Saida, Liban
(1967-1970). À partir des années 1960,
la Résistance (OLP), qui recrute désormais
à une large échelle, dit la fierté
d’une visibilité retrouvée. Les fedayins,
avant de s’enrôler et de rentrer en clandestinité,
passent... par le studio du photographe
pour se faire tirer le portrait.
Image extraite du livre d’Elias Sanbar
Les Palestiniens - La photographie d’une
terre et de son peuple de 1839 à nos
jours, Editions Hazan.
© Hachem al-Madani
La guerre de
1967, dite
« guerre des
Six Jours » a non
seulement déterminé
mon engagement
pour le droit et
la justice en Palestine,
mais elle a
fondé mon exigence
d’analyse critique :
celle de toujours
chercher ce qui se
cache derrière les
« vérités » assénées
comme des évidences...
Enfant de
l’après-guerre, j’ai
grandi dans un
monde marqué par
la guerre froide et
les soubresauts des
conflits coloniaux.
Le traumatisme de la révélation des
camps d’extermination nazis et du
génocide des juifs avait conduit mes
parents à s’engager fortement dans
le combat pour la paix et pour le respect
de l’indépendance des peuples.
Le « plus jamais ça » s’incarnait pour
moi dans la dénonciation des crimes
coloniaux en Indochine, puis en
Algérie.
En 1967, j’avais 16 ans ; je commençais
à m’engager contre la guerre
au Vietnam, contre les essais nucléaires
français. J’étais profondément antiraciste.
C’était l’époque du Che et
des guerillas en Amérique Latine. Je
me rappelle le choc, lorsque j’avais
vu au cinéma Nuit et Brouillard
d’Alain Resnais. L’image au ralenti
de ces corps poussés par la pelleteuse
vers l’abîme des fosses communes
hantait mes pires cauchemars. Auschwitz,
Dachau, Buchenvald représentaient
le comble de l’abomination.
C’est ainsi que j’étais ultra-sensible
au drame des juifs et que lorsque la
guerre fut déclenchée en 1967, j’adhérais
naturellement à la thèse israélienne.
Une fois de
plus, le peuple juif
était menacé d’être
« rejeté à la mer ».
J’ai retrouvé un
extrait de mon journal
daté du 6 juin
1967. Voilà ce que
j’écrivais : « Ce
peuple a toujours
été persécuté. Une
malédiction pèse
sur lui. Bien sûr, il
a des torts ; il s’est
emparé d’un pays
arabe, il a expulsé
des “minorités”
arabes. Mais ce
n’est pas une raison
pour détruire
un travail acharné,
des réalisations formidables.
Nasser
excite un nationalisme exacerbé et
une haine féroce, prônant l’extermination
de la race juive... ». Comme
tant de militants socialistes ou du
PSU que je connaissais, j’admirais
l’organisation collective des kibboutz...
et ce peuple qui, croyais-je
alors, avait fait « fleurir le désert ».
J’avais parfaitement intégré le mythe
fondateur d’Israël : « une terre sans
peuple pour un peuple sans terre ».
Et tout ce que je lisais, tout ce que
j’entendais autour de moi, malgré
l’engagement de mes parents au PSU,
me confortait dans cette vision d’un
petit pays courageux, havre de paix
pour les rescapés du nazisme et des
pogroms. Spontanément j’allai offrir
ma solidarité aux juifs de La Rochelle.
Paradoxalement, la « guerre des Six
Jours » a été pour moi, d’une façon
aussi brutale que mon soutien à Israël,
la révélation de l’existence du peuple
palestinien, grand absent invisible de
l’époque. En effet, deux semaines
après la fin victorieuse de cette guerre
éclair, au cours d’une rencontre internationale
avec des représentants des mouvements de libération du Tiers
Monde, je fis la connaissance d’un Palestinien - un mot inexistant dans mon
vocabulaire- qui m’expliqua l’histoire
de la Palestine depuis Balfour. Je découvrais
la Nakba, refusant dans un premier
temps d’y croire, pensant qu’il voulait
me manipuler, puis capitulant devant
l’évidence des faits historiques. Peu de
temps après, les camarades du PSU
divulguèrent le numéro historique des
Temps Modernes sur le conflit du
Proche-Orient qui acheva de me
convaincre que le combat pour la libération
de la Palestine s’intégrait dans
celui, universel, de l’émancipation des
peuples.
Un an après, j’entrais à la fac de Poitiers
où j’ai eu la chance, militant au sein du
Comité anti-impérialiste, de connaître
Ezzedine Kalak [1] qui fut un compagnon
de lutte jusqu’à son assassinat.
Pourquoi est-ce que je raconte cette histoire ? Parce qu’elle est symbolique des
idées de l’époque et qu’elle me permet
de comprendre comment s’est ancré, en
France et en Europe, ce soutien irrationnel
à Israël, ce refus de « voir », cette
culpabilité de trahir qui continuent
encore aujourd’hui, à paralyser certains.
Avec une parfaite bonne conscience,
armée des meilleurs sentiments antiracistes
et de toute la compassion envers
les souffrances d’un peuple, j’avais été
abusée et j’avais cautionné une injustice.
Je me suis promis dès lors, de garder
les yeux ouverts et de ne plus me
laisser guider par mes seules émotions.
Cette prise de conscience de la nature
coloniale et expansionniste d’Israël ne
m’a jamais conduite
à banaliser le génocide
des juifs. Mais
elle m’a permis de
mettre en perspective
le drame de l’extermination
des juifs
avec le nazisme et
l’histoire de l’antisémitisme
en Europe et
de dissocier la question
juive de celle du
sionisme et d’Israël.
Et de continuer à faire
du combat anti-fasciste
et antiraciste une
priorité, avec en résonance
intime le message d’Alain Resnais :
« La guerre s’est assoupie, un oeil toujours
ouvert...Qui de nous veille pour
nous avertir de la venue des nouveaux
bourreaux ? ».
Plus globalement, la guerre de 1967 a
marqué le début de la longue marche
vers la visibilité de la Palestine dont
parle Elias Sambar. A l’époque, nous
étions très peu à vouloir l’entendre et
les inlassables interventions d’Ezzedine
ressemblaient à un baroud d’honneur
se heurtant aux agressions continuelles
des « amis d’Israël » qui ne décoléraient
pas de voir surgir cet « Autre » à qui ils
déniaient tout droit d’exister, selon les
bons mots de Golda Meir.
Il a fallu attendre vraiment 1987 et la Première
Intifada pour que
l’opinion bascule et
reconnaisse enfin la terrible
injustice subie par
le peuple palestinien. Et
de faire mienne, en ces
temps dramatiques, où
l’on se prend à douter
de l’avenir, ces paroles
optimistes de Camille
Mansour [2] : « ...On ne
peut pas dire que rien
n’avance. Du point de
vue idéologique, nous
avons fait des progrès
immenses. Le peuple
palestinien n’existait pas, nous n’avions
pas droit à un Etat. Israël a dû reconnaître
le peuple palestinien, l’Etat palestinien,
même s’il est en train de le vider
de sa substance. Comment faut-il regarder ? Le verre à moitié vide ou à moitié
plein ? L’avenir nous le dira. »