RFI : Dans votre film 3 000 Nuits, Layal est une jeune institutrice palestinienne. Elle est condamnée pour complicité de terrorisme. En fait, elle a pris en stop l’auteur d’un attentat, sans savoir qui c’était. Et elle va passer 3 000 nuits en prison, à peu près huit ans. Vous venez du documentaire et ça se sent, parce que ce film est inspiré d’une histoire vraie, d’une rencontre.
Maï Masri : Oui, c’est une histoire vraie, d’une femme palestinienne que j’ai rencontrée dans les années 1980 quand je tournais dans ma ville natale de Naplouse en Palestine. Elle a été arrêtée, elle a accouché en prison, dans une prison israélienne. Son histoire m’a beaucoup touchée parce que les conditions qu’elle a vécues, surtout quand elle a accouché en prison, c’était très dure. Et j’ai commencé à faire des interviews après cela avec d’autres femmes, prisonnières palestiniennes. A partir de ces histoires, j’ai écrit le scénario de 3 000 Nuits.
Ce que vous montrez, c’est une histoire de violence puisque ces femmes palestiniennes sont détenues aussi avec des prisonnières israéliennes de droit commun. Pourquoi est-ce pour vous aussi une histoire d’espoir ?
Pour moi, c’est une histoire de résilience, de résistance et de solidarité de femmes. Le film parle des femmes, de la force des femmes palestiniennes. Ça reflète une réalité aussi parce qu’il y a beaucoup de prisonniers dans les prisons. Historiquement, il y a eu à peu près un million de Palestiniens qui sont passés par des prisons d’occupation. A travers le film, j’ai voulu montrer ça. Pour cela j’ai tourné tout le film dans une prison : pour parler d’une réalité, mais d’une manière humaine avec une esthétique aussi poétique.
Vous rappelez qu’à peu près 20% des Palestiniens ont à un moment ou à un autre été détenus dans une prison israélienne.
Oui. On peut dire que chaque Palestinien a vécu ça, la prison ; 20% ont été eux-mêmes emprisonnés ou ont eu de la famille. Tout le monde a de la famille qui a été emprisonnée.
3 000 Nuits a été tourné dans une ancienne prison. Qu’est-ce que ça a changé pour vos actrices ?
C’était une prison militaire en Jordanie. On a eu la chance, une grande chance, de pouvoir tourner dans une vraie prison parce que c’est totalement différent quand on a un vrai décor. Ce n’est pas un décor en carton. C’est avec des vrais murs, des vrais barreaux. Pour les actrices, les comédiennes, c’était fort parce que, à un moment donné, elles ont oublié que c’était un film. Et aussi une partie des comédiennes ont été emprisonnées ou ont de la famille dans des prisons israéliennes. Alors avec la combinaison de tourner dans une vraie prison et de l’expérience, ça a donné l’occasion d’aller au fond des choses.
Le cinéma arabe est en crise, à part peut-être au Maroc et en Tunisie où il y a un soutien des autorités, ou alors un très fort attachement du public qui revient pour le cinéma. Comment se porte le cinéma palestinien ?
Il y a beaucoup de films de qualité qui sortent de la Palestine parce qu’on a une réalité très forte. On a du talent. Mais il faut dire qu’il n’y a pas une vision des gouvernements ou des sociétés pour soutenir ce cinéma. Il faut beaucoup lutter pour pouvoir faire des films.
Est-ce que 3 000 Nuits a été vu ou va être vu en Palestine et en Israël ?
Oui, il a été projeté en Palestine et dans les territoires occupés en Israël. J’ai eu aussi un public mélangé. Il y avait des Palestiniens et des Israéliens, même des détenus palestiniens. Et surtout les femmes palestiniennes prisonnières qui ont vu le film. Il a été diffusé dans plusieurs pays aussi, à part la Palestine, la Jordanie, les pays arabes, en Suède, maintenant en France.