Une victoire pour l’extrême droite et les colons, une humiliation pour le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, et une rupture symbolique majeure. Tels sont les trois enseignements de l’adoption en séance préliminaire à la Knesset, mercredi 16 novembre, d’un projet de loi – sous trois versions sensiblement différentes – légalisant tous les avant-postes juifs en Cisjordanie.
Il s’agit d’une centaine de petites communautés juives apparues depuis vingt ans sur des collines en Cisjordanie, au mépris non seulement du droit international, mais de la loi israélienne. Un tiers de ces avant-postes ont déjà été légalisés, au cas par cas. Pour la première fois, une majorité de députés se sont engagés à blanchir l’expropriation de terres palestiniennes, au mépris des droits de leurs propriétaires, qui se verraient offrir une compensation financière.
« C’est la première fois que la Knesset passe une loi sur les terres palestiniennes, équivalente à une annexion et à une extension de souveraineté pour les députés, au détriment de l’armée qui contrôle la Cisjordanie », résume Gilad Grossman, porte-parole de l’ONG israélienne Yesh Din, qui défend les droits des Palestiniens.
Instabilité explosive
Ce projet de loi, « contraire au droit international, aux valeurs juives et au bon sens élémentaire », selon l’ONG La Paix maintenant, est poussé par le parti extrémiste le Foyer juif, du ministre de l’éducation, Naftali Bennett, ainsi que par les députés du Likoud, la formation de M. Nétanyahou. La fébrilité des élus est due à une échéance imminente : l’évacuation de l’avant-poste d’Amona, près de la colonie d’Ofra, exigée par la justice d’ici au 25 décembre. Amona est devenu un nœud inextricable, menaçant la cohésion de la majorité.
Le chef du gouvernement a essayé d’empêcher, sans succès, l’adoption du projet en conseil des ministres, le 13 novembre. Cette étape franchie impose aux partis appartenant à la coalition une discipline de vote à la Knesset, selon l’usage. Naftali Bennett a prévenu : un manquement à cette règle signifierait la fin de toute discipline automatique dans les débats parlementaires futurs, garantissant une instabilité explosive, voire la fin de la coalition.
Face à cette menace, et la peur de s’aliéner le soutien de l’électorat des colons, M. Nétanyahou a dû assister, impuissant, à l’adoption du texte. Celui-ci devra encore subir trois lectures à la Knesset avant sa validation définitive. Il reste donc de la place pour des manœuvres dilatoires.
Mais le vote de mercredi représente un coup de tonnerre politique, une semaine après la victoire de Donald Trump aux Etats-Unis. C’est comme si une nouvelle digue cédait devant l’ambition suprême de la droite nationale religieuse : l’annexion intégrale de 60 % de la Cisjordanie, la fameuse zone C, et la fin définitive du projet d’Etat palestinien. Le ministre des finances, Moshe Kahlon, chef du parti Kulanu (centre droit), a finalement décidé de voter en faveur du texte, après des tractations tendues dans les couloirs de la Knesset. « Si [le projet de loi] portait atteinte à la Cour suprême à toute étape du processus législatif, Kulanu s’y opposerait », a annoncé Moshe Kahlon, qui a besoin du soutien du Foyer juif pour l’adoption du budget. En d’autres termes, le parti de centre droit souhaite éviter un affrontement ouvert entre les pouvoirs législatif et judiciaire.
Il est pourtant clair, d’ores et déjà, que le texte représente un défi à la Cour suprême. Le procureur général, Avichai Mendelblit, a averti qu’il ne le défendrait pas. La censure de la Cour suprême semble actée d’avance, selon les observateurs. Le chef du groupe Yesh Atid (centre droit) à la Knesset, Ofer Shelah, dont le parti n’appartient pas à la coalition, assure ainsi : « Ceux qui ont proposé le texte veulent qu’il soit annulé par la Cour suprême, pour pouvoir encore une fois la mettre en accusation et affaiblir encore davantage les fondements démocratiques. »
Le mystère Trump
De son côté, le ministre de la défense, Avigdor Lieberman, qui s’est opposé au projet de loi avant le conseil des ministres, a défendu mercredi un troc avec la future administration Trump : obtenir la reconnaissance officielle par Washington de la souveraineté israélienne sur les grands blocs de colonies (Ariel, Goush Etzion, Maale Adumim) et s’engager, en échange, à ne plus construire en dehors de leur périmètre.
L’empressement de l’extrême droite à la Knesset sera-t-il déjoué ? Une ouverture s’est présentée en raison du flottement à Washington après l’élection présidentielle, alors que les intentions de Donald Trump au Proche-Orient demeurent un mystère. Et puis, il y a le problème Amona. Le temps manque. L’évacuation du plus célèbre des avant-postes, où vivent 40 familles, est programmée d’ici au 25 décembre en vertu d’une décision de justice datant de décembre 2014. Depuis, Benyamin Nétanyahou n’a fait que reporter l’échéance, pour ne se mettre personne à dos : ni l’Union européenne et les Etats-Unis, vigilants sur l’extension des colonies, ni les colons eux-mêmes.
Naftali Bennett somme à présent le chef du gouvernement de choisir son camp. En ne bloquant pas le projet de loi au niveau du comité ministériel, M. Nétanyahou a commencé à le faire.