Une frappe israélienne sur l’Iran ? Les experts américains n’y croient pas. " Il n’y a aucune chance que les Israéliens attaquent. Nétanyahou joue au poker. Sa stratégie, c’est d’essayer de forcer les Américains à prendre la responsabilité de la guerre ", assure Vali Nasr, l’ancien conseiller de Richard Holbrooke au département d’Etat, spécialiste des relations internationales à l’université Johns-Hopkins, à Washington.
Le fait que les Israéliens eux-mêmes soient divisés sur la question des frappes retire du poids à la menace d’intervention unilatérale, souligne-t-il. D’autant que l’administration Obama, qui a délégué tout l’été des hauts responsables à Jérusalem, a fait connaître avec force son opposition et que l’opinion américaine est massivement (70 %) hostile à une intervention. 59 % des sondés disent même que si une attaque israélienne unilatérale engendrait une guerre régionale, les Etats-Unis ne devraient pas se mêler d’aller secourir leur allié.
L’exemple qui revient dans les conversations est la crise du canal de Suez en 1956, quand le président américain Eisenhower a forcé les Français et les Britanniques à se retirer. " Que se passerait-il si les Israéliens attaquent et qu’à la dernière minute, Obama flanche ? ", demande Vali Nasr. Benyamin Nétanyahou ne peut pas prendre un tel risque. " C’est pour cela qu’il insiste sur les lignes rouges, ajoute-t-il. Il essaie d’obtenir un engagement public de Washington. "
La " surprise d’octobre " n’est plus un scénario aussi crédible qu’il y a quelques mois, quand Barack Obama était en mauvaise posture dans les sondages. Et les attaques contre les représentations diplomatiques américaines en Egypte et en Libye ont changé la donne. " C’est un tournant, estime Vali Nasr. L’antiaméricanisme est de retour. Des frappes contre l’Iran mettraient les gens dans la rue. Et aucun Etat du Golfe n’oserait soutenir l’attaque. "
M. Nétanyahou pensait-il pouvoir profiter du calendrier électoral américain pour accentuer les pressions sur la Maison Blanche ? Le calcul pourrait se retourner contre lui. Certes, il bénéficie d’un soutien inaltérable au Congrès, mais sa manière de s’immiscer dans le débat politique américain a indisposé ses amis, notamment parmi les démocrates.
" Position très inconfortable "
En juillet, il avait déroulé le tapis rouge à Jérusalem pour Mitt Romney - qui se trouve être un ancien collègue du Boston Consulting Group. Sa dernière " sortie " anti-Obama (" Ceux qui refusent de mettre des lignes rouges n’ont pas, moralement, le droit de placer un feu rouge devant Israël ") a été immédiatement exploitée par les républicains. " Le risque, c’est qu’il surjoue ses cartes. Si Obama gagne l’élection, sa position va être très inconfortable ", explique John Limbert, qui était chargé de l’Iran au département d’Etat en 2009-2010.
M. Nétanyahou a été remis à sa place par M. Obama le 11 septembre lors d’un coup de téléphone d’une longueur exceptionnelle - une heure. " La Maison Blanche est furieuse que Nétanyahou ait l’air de vouloir dicter la politique américaine ", ajoute John Limbert, qui enseigne à l’Académie navale d’Annapolis. Le chroniqueur David Ignatius s’est impatienté devant " l’angoisse digne de Hamlet " éprouvée par le premier ministre israélien : " To bomb or not to bomb. " Il " devrait savoir qu’aucun pays ne peut autoriser un autre à imposer les conditions de son entrée en guerre ", a-t-il écrit dans le Washington Post.
Pourrait-il y avoir des frappes après l’élection présidentielle ? En cas de victoire de M. Romney, les Israéliens pourraient être tentés d’exploiter la période de transition, selon un rapport du Middle East Institute de Washington. Ils l’avaient fait le 27 décembre 2008, en lançant leur attaque contre Gaza lors des derniers jours de la présidence Bush, ce qui a beaucoup déplu à M. Obama.
Le scénario le plus probable est que les négociations continueront entre l’Iran et le groupe dit " P5 + 1 " (les cinq pays membres du Conseil de sécurité de l’ONU plus l’Allemagne). Depuis la reprise des réunions en avril 2011 à Istanbul, la Maison Blanche a tenu à entretenir les contacts, ne serait-ce que pour montrer que la diplomatie de la " double voie " (négociations-sanctions) n’est pas totalement dénuée de résultats.
Mais rien n’embarrasserait plus M. Obama qu’une concession majeure de la part des Iraniens avant les élections. " Il serait incapable d’accepter ", dit Vali Nasr, car les républicains l’accuseraient aussitôt d’avoir cédé à Téhéran. Le président américain aurait d’ailleurs fait savoir au Guide Ali Khamenei, par l’intermédiaire du premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, qu’il aurait plus de marge de manoeuvre après les élections.