Après décision du tribunal administratif de Montreuil, en région parisienne, le leader palestinien Marwan Barghouti n’est plus citoyen d’honneur de la ville d’Aubervilliers. Le 18 décembre dernier pourtant, c’est en tant qu’un homme « de paix et de dialogue » que la ville l’avait honoré de ce titre, une décision prise alors à l’unanimité par le conseil municipal de cette commune de banlieue parisienne.
Un verdict pour le moins surprenant car Marwan Barghouti est actuellement citoyen d’honneur dans une dizaine de villes de l’Hexagone. Il fait suite à la saisie par le Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme (BNVCA) en janvier 2015 du préfet du département. Le BNVCA a en effet estimé qu’une annulation de ce titre s’imposait car le leader de la résistance palestinienne n’était rien moins qu’un « condamné à la réclusion criminelle à perpétuité par la justice israélienne pour des actes de terrorisme ayant entraîné la mort de civils israéliens ».
Si le tribunal a validé la demande d’annulation du titre de citoyen d’honneur de Marwan Barghouti, c’est qu’il a considéré que la décision de la mairie était « susceptible de porter atteinte à l’ordre public et entachée d’une erreur manifeste d’appréciation », car elle « porte sur une affaire relevant de la politique étrangère de la France, en intervenant dans un conflit international ». Le BNVCA s’est rapidement félicité dans un communiqué de la décision envers des « communes qui abusent de leurs prérogatives, honorent des terroristes parce qu’ils sont Palestiniens, font l’apologie du terrorisme au risque de semer la haine et la discorde. Pour le BNVCA, le trouble à l’ordre public que ces élus communistes et d’extrême-gauche génère est de nature à encourager les islamo-terroristes et jihadistes. ».
La mairie indignée
A la mairie d’Aubervilliers, l’affaire est loin d’être enterrée. Dans un communiqué, la municipalité s’indigne : « Un tel argument est susceptible de remettre en cause nombre de citoyennetés d’honneur notamment celles attribuées par la Mairie de Paris au Dalaï-Lama ou encore Aung San Suu Kyi », s’alarment les élus en notant que le tribunal de Montreuil a également évoqué dans sa décision le risque de « trouble à l’ordre public ». Un amalgame pour le moins douteux puisque aucun incident avéré ne s’est produit en lien avec le citoyenneté d’honneur de Marwan Barghouti dans les autres villes.
« Une commune existe dans son rapport au monde, surtout une ville aussi multiculturelle qu’Aubervilliers où se côtoient des gens de plus d’une centaine de nationalités », s’insurge Fethi Chouder, le maire-adjoint de la ville, délégué aux Relations internationales. Fethi Chouder souhaite aussi faire entendre que le terme « antisémite », utilisé par le BNVCA, n’a rien à faire dans cette accusation. « Quand nous soutenons le peuple palestinien, nous le faisons sur la base d’une argumentation politique, et non pas religieuse. Et la religion n’a rien à faire dans un débat comme celui-là ! ».
Le symbole Marwan Barghouti
Et Fethi Chouder d’énumérer ceux qui ont souvent réclamé la libération de Marwan Barghouti, dont de nombreux ministres des Affaires étrangères ainsi que l’Etat. « En 2013, en réponse a eu une question de la sénatrice Cécile Cukierman sur la question des prisonniers politiques palestiniens, Thierry Repentin, ministre des Affaires européennes, avait répondu que le gouvernement était très attentif à la figure de Marwan Barghouti, à ce qu’elle représente, et qu’Israël devait faire un geste. Clairement, l’Etat n’a donc jamais considéré que Barghouti était un terroriste. »
Emprisonné depuis treize ans, Marwan Barghouti, 56 ans, surnommé le « Mandela palestinien », est plus qu’un symbole. La vie de ce personnage a été modelée par l’occupation israélienne. Membre du Fatah dès ses 15 ans, sa première incarcération remonte à 1978. Expulsé de Palestine pour son rôle durant la première Intifada en 1987, il y revient après les accords d’Oslo, en 1994. Durant la seconde Intifada et après deux tentatives d’assassinat, il est kidnappé à Ramallah le 15 avril 2002 et devient le premier parlementaire palestinien emprisonné. Il refuse la « légitimité de la cour militaire d’occupation » qui le juge et est condamné à cinq peines de réclusion à perpétuité.
Depuis sa cellule, Marwan Barghouti n’a de cesse de soutenir le principe de deux Etats sur les frontières de 1967. Il est l’auteur du document sur les prisonniers le 11 mai 2006 - qui appelle à la création d’un Etat palestinien en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza -, un document qui, fait rare, a été ratifié par toutes les factions palestiniennes. « Barghouti un terroriste ? », s’interroge Fethi Chouder. « C’est un homme dont l’action s’inscrit dans le droit international et dans les directives de l’ONU qui prévoient deux Etats. Il n’a jamais soutenu la mort de civils, il a appelé à lutter contre l’armée d’occupation, comme le leader sud-africain ».
De nombreuses campagnes internationales
Du fait de sa notoriété et de l’enjeu politique que représente sa libération, Marwan Barghouti a été choisi comme figure de proue d’une campagne internationale, lancée en France au printemps 2014, à l’image de celle mise en œuvre des années plus tôt pour la libération de l’icône de la lutte contre l’apartheid. Depuis la cellule de Nelson Mandela à Robben Island en Afrique du Sud, Ahmed Kathrada, son ex-compagnon de prison, a ainsi lancé fin 2013 la campagne internationale pour la libération de Marwan Barghouti et de tous les prisonniers politiques palestiniens. Une initiative soutenue par les grands noms de défenseurs des droits de l’homme, dont Desmond Tutu, Jimmy Carter, U Win Tin, John Bruton, Stéphane Hessel et son épouse Christiane. La liste est longue et prestigieuse. Pour tous ces membres, la libération des prisonniers doit être une condition et non la conséquence d’un accord de paix. En visite à Paris à l’occasion du lancement de la campagne, Fadwa Barghouti, l’épouse du militant emprisonné, expliquait que la justice faisait partie de la paix.
Aubervilliers « ne lâchera pas »
« De l’interdiction des manifestations en soutien à Gaza l’été dernier jusqu’à ce jugement, rappelle la mairie d’Aubervilliers sur son site, nous assistons à une répression institutionnelle de la liberté d’expression dès lors qu’il est question de l’occupation israélienne en Palestine ». « On ne lâchera pas ! », confie Fethi Chouder.
Fin juin, une affaire de la même teneur a éclaboussé la petite ville de Coulounieix-Chamiers dans le sud-ouest de la France. La Licra locale (autre association de lutte contre le racisme et l’antisémitisme) a porté plainte contre le maire qui avait donné le nom de Parvis Marwan Barghouti à une place d’un château. La Licra de Périgueux considérait que ce choix était « apologie d’une forme d’antisémitisme » et « apologie de terrorisme ». Parmi les soutiens apportés au maire, l’Union juive française pour la paix (UJFP), qui a dénoncé la « réaction haineuse de la Licra locale » qui illustrerait « la dérive de celle-ci dans la confusion entre antisémitisme, critique d’Israël et du sionisme ». Mais la Licra ayant été déboutée, il y a désormais un parvis Marwan Barghouti dans la commune. Alors, si le plus célèbre des résistants palestiniens n’est pas citoyen d’honneur d’Aubervilliers, peut-être pourra-t-il avoir son parvis, sa place ou sa rue ?