"LA METAMORPHOSE" de Kafka pour exprimer le mal-être d’un Palestinien ? Le journaliste et écrivain établi à Ramallah Akram Mussallam (né en 1972) n’a pas froid aux yeux. Il bâtit en effet ce bref roman audacieusement ironique et onirique à partir de la vision obsessionnelle d’un scorpion tatoué sur la chute de reins d’une jeune Française qui revient hanter ses rêves, sur le dos, en sueur, remuant lentement ses membres .... Pas elle, voyons, le scorpion !
Le scorpion ainsi dépeint est impuissant à escalader un miroir pour réintégrer la silhouette de la jeune femme esquissée ci-dessus : puis c’est le souvenir de la jambe amputée du père que l’enfant devait gratter dans le vide ; ou encore une place de parking où le narrateur vient écrire en souvenir d’une maison détruite...
Autant d’images, autant d’entre-deux, qui figurent métaphoriquement dans le texte ; la question palestinienne, faite de frontières impossibles, de territoires occupés et de vide douloureux. "Ecrire n’est-il pas une façon de gratter quelque chose qui existe et en même temps n’existe pas (...) ?"
Mais attention, ces images ne sont pas à prendre à la lettre."Je pourrais politiser le sujet en disant que [mon père] a été amputé à cause d"une mine laissée par l’armée de l’occupant ou, (...) lors d’une intifada..." Le narrateur nous met régulièrement en garde, empêchant par l’ironie de tomber dans le pathos et la revendication unilatérale.
Pourtant, au gré de cette intrigue déconstruite en autant de variations sur le manque, l’auteur évoque explicitement les voitures broyées sous les chars dans les rues de Ramallah, l’expérience de la prison, pieds entravés, ou celle d’un kamikaze, qui fait sauter le dancing où a eu lieu la rencontre initiatique avec la jeune femme au scorpion.... Et il enchâsse les histoires les unes dans les autres, comme si la vie même était un dangereux récit : "Je me vois comme une créature romanesque tombée dans une série d’intrigues extrêmement pénibles et tortueuses" telles "des cordes de potence enroulées autour de mon cou". Les métaphores prennent le pouvoir : "Les ruses des narrateurs ressemblent à des embuscades. Tu dois recouvrir l’engin explosif et bien le camoufler en attendant la cible mobiles (...)."
Du roman comme attentat pour faire exploser les certitudes du lecteur ? Voici enfin un livre qui ne laisse pas indemne, donnant un ens littéral au cliché critique !
Traduit de l’arabe (Palestine) par Stéphanie Dujols. 112p 13 euros