Après sept années de travail, il livre une enquête graphique édifiante de 400 pages sur des événements tragiques oubliés de l’histoire : le massacre perpétré par l’armée israélienne sur la population civile palestinienne de Khan Younis et Raffah en 1956. Entretien.
Comment est né le projet de « Gaza 1956 » ?
Couverture de "Gaza 1956", de Joe SaccoEn 2001, J’ai trouvé un document de l’ONU qui évoquait un massacre ayant eu lieu à Khan Younis [dans la bande de Gaza, ndlr] pendant la crise de Suez en 1956. Ce document déclare que de nombreux civils palestiniens ont été tués au cours de ces incidents.
Les soldats israéliens y affirment avoir répondu à une certaine forme de « résistance », tandis que les Palestiniens parlent de civils « tués de sang froid ». Je me suis dit, s’il existe encore des gens qui ont vécu ces événements et s’en souviennent, pourquoi ne pas aller leur parler pour découvrir ce qui s’est passé, de leur point de vue ?
Certains personnages de la BD ne comprennent pas pourquoi vous vous intéressez à des événements vieux de plus de 50 ans. Quel rapport ont les Palestiniens à leur histoire ?
J’ai en effet rencontré beaucoup de Gazaouis qui ne comprenaient pas ma démarche. Leur réaction était souvent : « Tu t’intéresses à 1956, mais tu ne te rends pas compte de ce qui se passe maintenant ! » Ils voulaient que je me rende à la frontière, voir les maisons en train d’être détruites.
Je crois que la raison pour laquelle ces Palestiniens remettaient en question ma démarche, c’est qu’ils sont eux mêmes en train de vivre des événements douloureux et de faire l’expérience de leur propre souffrance. Il semble que leur Histoire soit une chaîne ininterrompue de catastrophes depuis 1948.
Vous faites témoigner beaucoup de Palestiniens. Avez-vous aussi rencontré des soldats israéliens qui étaient présents à Khan Younis et Rafah en 1956 ?
J’ai lu un livre écrit par un soldat israélien qui raconte son expérience en 1956. Quand il est entré dans la ville, il raconte que le sol était couvert de cadavres, ce qu’il a décrit comme un « massacre ».
Cet homme est mort depuis mais j’ai pu rencontrer certains des soldats de son unité et des Commandants de l’armée israélienne qui ont nié avoir été témoins de telles choses. Evidemment, cela est plus facile de trouver des victimes prêtes à témoigner que des responsables.
Vous étiez présent lors du décès de Rachel Corrie, militante pacifiste américaine renversée par un bulldozer israélien à Rafah en 2003, vous en rendez compte dans votre livre.
Une heure après, un Palestinien a été tué en sortant de chez lui et personne n’en a parlé…
C’est vrai qu’un habitant de Rafah a été tué le même jour et que la presse n’a pas relayé l’information, alors que lui aussi avait une famille. Les médias ont tendance à donner plus d’importance à la mort d’un Occidental et je crois que Rachel Corrie aurait apprécié que j’évoque la disparition de cet homme de la même manière que la sienne. [Simone Bitton a tourné le documentaire « Rachel » sur la mort de cette militante, ndlr] (Voir la bande annonce)