C’est une démarche inédite. Voilà 66 députés européens, de tous bords politiques, penchés sur la liste des clubs israéliens de football de 3e, 4e, voir 5e division. Leur résultat est sans appel : au moins cinq de ces clubs appartiennent à des colonies situées en plein territoire palestinien. Alyn Smith, membre du Parti national écossais et membre de la commission des affaires étrangères du Parlement : « Nous ne demandons pas à la FIFA d’exclure Israël. Mais nous voulons que chacun s’en tienne aux règles. » La solution, aux yeux des députés de Strasbourg ? Relocaliser ces clubs à l’intérieur des frontières reconnues d’Israël.
Antécédent russe
Cela n’a l’air de rien, mais l’affaire a mis en branle toute une machinerie diplomatique et risque de se transformer en test grandeur nature pour les nouveaux dirigeants de la FIFA en quête d’une nouvelle virginité. Les parlementaires européens, épaulés notamment par un appel de l’organisation Human Rights Watch, s’appuient sur un précédent récent : si personne n’a trouvé le moyen de contester l’annexion de la Crimée par la Russie, les clubs de football de Crimée, eux, ont été privés de Ligue russe il y a deux ans. « La Russie n’avait pas le choix. Elle a été obligée de se soumettre à la décision », note Martin Konecny, dont l’European Middle East Project, milite en faveur d’une issue similaire pour les clubs israéliens incriminés.
Maale Adumim, la 3e plus grande implantation israélienne en territoire palestinien, aux abords de Jérusalem ; Ariel, en plein coeur de la Cisjordanie ; Kiryat Arba, collée à la ville de Hébron… De l’avis de la communauté internationale, ces colonies sont illégales, entravent gravement tout espoir de règlement israélo-palestinien et contreviennent notamment à la 4e Convention de Genève.
« Terres volées »
Mais leurs habitants ont-ils le droit de jouer au football ? « Nous rappelons à chacun que tout ceci, c’est juste du sport, et que le sport devrait servir à bâtir des ponts, et certainement pas à diviser les gens », expliquait récemment Rotem Kamer, le chef de la fédération israélienne de football, sur les ondes de la radio de l’armée israélienne. « Le football, insistait-il, n’a rien à voir avec la politique. Ce n’est pas le lieu pour déterminer les frontières d’un pays. »
Ce n’est pas l’avis de Human Rights Watch, qui rappelle que ces terres ont été « volées » par les Israéliens. Ces installations « exploitent les ressources naturelles qui appartiennent aux Palestiniens, mais sont allouées aux Israéliens de manière discriminatoire », disait Sari Bashi, le responsable du dossier, en présentant le rapport de son organisation. Alors que les 137 colonies en territoire palestinien abritent un demi-million d’Israéliens, les Palestiniens n’y ont pas accès. Les installations sportives « font partie d’un régime qui privilégie le business israélien en empêchant les infrastructures et les institutions sociales et culturelles palestiniennes de se développer. » L’ONG est même allée retrouver les propriétaires – palestiniens – dépossédés des terres héritées de leurs aïeux et sur lesquelles jouent à présent les footballeurs israéliens.
Question à l’ordre du jour
La question a été mise à l’ordre du jour du Conseil de la FIFA, à Zurich, le 13 et 14 octobre prochains. L’année dernière, par un ultime tour de passe-passe, Sepp Blatter avait réussi à désamorcer une première grenade liée à une éventuelle exclusion d’Israël au motif qu’il rend pratiquement impraticable le football en Palestine.
Gianni Infantino, son successeur à la tête de la FIFA a depuis lors répété qu’il allait mettre les questions des droits de l’homme « en tête de l’agenda ». La fédération israélienne de football avait voté en faveur d’Infantino. Et voilà plusieurs semaines qu’elle fait son possible pour mettre les bâtons dans les roues des travaux du « Comité Israël-Palestine », mis en place par son prédécesseur, et dont le rapport devrait être, théoriquement, débattu par le Conseil.
La Crimée n’est pas le seul territoire où le football a eu son mot à dire « pour déterminer les frontières d’un pays », pour reprendre les mots de l’Israélien. Pêle-mêle : le Nagorno-Karabakh, le nord de Chypre, l’Abkhazie ou l’Ossétie du sud. Martin Konecny conclut : « Ici, il ne s’agit pas de négocier ou d’infléchir une règle, mais de l’appliquer, tout simplement. »