L’escalade politique et verbale entre Israéliens et Palestiniens, mais aussi entre Israéliens et Américains, réduit chaque jour davantage les chances de survie du processus de paix au Proche-Orient. Mettant à exécution sa menace de répondre par des " mesures unilatérales à toutes les mesures unilatérales " des Palestiniens, le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a ordonné, jeudi 10 avril, le gel du transfert des taxes collectées par Israël pour le compte de l’Autorité palestinienne.
Ces sommes, qui atteignent chaque mois environ 100 millions de dollars (72 millions d’euros), représentent les deux tiers du budget de l’Autorité palestinienne (hors donations étrangères) et servent, notamment, à payer les salaires de ses quelque 150 000 fonctionnaires. Israël a précisé que le produit de ces taxes servira à rembourser une partie de la dette palestinienne, en particulier à la compagnie israélienne d’électricité.
Cette arme économique a été utilisée à plusieurs reprises dans le passé, notamment en novembre 2012, lorsque la Palestine est devenue Etat observateur non membre des Nations unies, et en octobre 2011, lorsqu’elle a été admise à l’Unesco. En complément de ces mesures fiscales, les autorités israéliennes ont annoncé un plafonnement des dépôts palestiniens dans les banques israéliennes et une suspension de leur participation dans le projet de prospection gazière au large de Gaza, lequel, de toute façon, est en panne.
Ces représailles israéliennes s’ajoutent au blocage de l’extension dans la bande de Gaza du réseau de téléphonie mobile Wataniya (que dirige l’un des fils de Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne) et à la suspension du projet de mise en place du réseau 3G en Cisjordanie. Mercredi, M. Nétanyahou avait ordonné à ses ministres de cesser tout contact avec leurs homologues palestiniens, une mesure à laquelle échappent les discussions diplomatiques et la coopération sécuritaire, lesquelles représentent l’essentiel des relations bilatérales.
Toutes ces dispositions visent à sanctionner M. Abbas pour avoir demandé l’adhésion de la Palestine à quinze conventions internationales, dont les Nations unies sont, pour certaines, dépositaires. Jeudi, l’ONU a jugé les requêtes palestiniennes recevables, et celles-ci pourraient être effectives le 2 mai. L’initiative de Mahmoud Abbas était elle-même une réplique au refus du gouvernement israélien de libérer, le 29 mars, un dernier groupe de 26 prisonniers palestiniens comme il s’y était engagé, dans le cadre d’un accord global pour prolonger les négociations de paix au-delà de la date butoir du 29 avril.
Les Israéliens ont été ulcérés de constater que le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, a paru donner raison aux Palestiniens, en soulignant que le refus israélien s’était accompagné de l’annonce de " 700 logements de colonisation " à Jérusalem-Est. Israël s’est déclaré " profondément déçu " de la réaction américaine. Nul doute que Washington, qui a qualifié de " fâcheuse " la décision israélienne de cesser les contacts officiels avec les Palestiniens, va réagir négativement aux représailles financières qui viennent d’être adoptées à Jérusalem.
Encore que la Maison Blanche est placée dans une situation contradictoire : une disposition votée par le Congrès oblige en effet l’administration à suspendre l’aide financière américaine aux Palestiniens, dès lors que ceux-ci demandent leur adhésion à des agences de l’ONU. Si cette épée de Damoclès frappe l’Autorité palestinienne, celle-ci pourrait connaître une grave situation financière, voire politique. Incapable de subvenir à ses besoins, la direction palestinienne pourrait être tentée de jeter l’éponge c’est-à-dire de se dissoudre, ce qui reviendrait à rendre Israël responsable de la gestion de la Cisjordanie, tant sur le plan économique que sécuritaire.
C’est en se plaçant dans la perspective d’une crise financière que M. Abbas a demandé mercredi aux pays de la Ligue arabe d’honorer leur promesse de fournir 100 millions de dollars par mois à l’Autorité palestinienne. Le président palestinien a également obtenu le feu vert de ses pairs pour poursuivre les pourparlers avec Israël au-delà du 29 avril, à condition toutefois que ceux-ci aient clairement pour objectif la création d’un Etat palestinien avec Jérusalem-Est pour capitale.
Autant dire qu’à ce stade, les chances d’une prolongation des discussions s’amenuisent, même si une nouvelle rencontre tripartite (avec l’émissaire américain Martin Indyk) a eu lieu jeudi 10 avril, à Jérusalem. A Washington, l’exaspération devant ce sur-place diplomatique s’accentue, le président Barack Obama ayant fait savoir qu’il partageait la frustration de son secrétaire d’Etat. Les Etats-Unis sont en train de " réévaluer " leur rôle dans le cadre du processus de paix, en particulier, a souligné John Kerry, parce que le temps que l’administration peut consacrer à ce dossier est limité.
D’autant que ces atermoiements israélo-palestiniens ne doivent pas faire illusion : toute cette énergie diplomatique n’a plus pour but de négocier les contours d’un Etat palestinien, ni même un " accord-cadre ", pas plus que de se mettre d’accord sur les grands principes d’une négociation, mais de trouver une issue à la question de la libération de 26 prisonniers palestiniens, ce qui pourrait permettre, peut-être, d’envisager une prolongation des discussions jusque-là stériles , au cours des prochains mois.