En diplomatie, les petits pas comptent lorsqu’ils semblent dessiner un mouvement. Israël aura, pour la première fois de son histoire, un représentant officiel à Abou Dhabi, la capitale des Emirats arabes unis. L’information, révélée par le quotidien Haaretz vendredi 27 novembre, a été confirmée au Monde par le ministère des affaires étrangères. Il ne s’agira pas à ce stade d’une ambassade, mais d’un représentant auprès d’un organisme dont le siège se trouve à Abou Dhabi : l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (Irena).
Le directeur général du ministère des affaires étrangères israélien, Dore Gold, s’est rendu sur place cette semaine pour finaliser cette ouverture, qui était en discussion depuis plusieurs années. En janvier 2009, Israël avait soutenu la candidature des Emirats, aux dépens de l’Allemagne, pour accueillir le siège de l’Irena, à la condition que soit envisagé sur place un bureau diplomatique. L’Etat hébreu sera le seul membre de l’Irena à dépêcher un représentant permanent sans avoir par ailleurs d’ambassade dans le pays. « On a déjà eu dans les années 1990 des présences non officielles dans les pays du Golfe. Là, il s’agit d’un diplomate accrédité, c’est un geste important », souligne-t-on au ministère. A l’heure actuelle, Israël ne dispose d’une ambassade que dans deux pays de la région, la Jordanie et l’Egypte, avec lesquels elle a signé un traité de paix.
« Diplomatie champignon »
Cette présence inédite à Abou Dhabi est annoncée alors que les dirigeants israéliens n’ont cessé, ces derniers mois, d’insister sur une convergence de vues et d’intérêts avec les pays arabes de la région, qui ont traditionnellement considéré Israël comme un Etat ennemi. Ces pays restent très critiques au sujet de la question palestinienne, totalement embourbée. Mais d’autres priorités ont émergé. Les échanges sur le plan sécuritaire se sont intensifiés. « Nos contacts avec les Etats sunnites pragmatiques sont plus forts que jamais, soulignait il y a quelques jours un haut responsable israélien. Il s’agit d’une révolution silencieuse, d’une diplomatie champignon. Les champignons poussent dans le noir. Si on allume, leur croissance sera perturbée. »
L’un des rares signes publics de cette convergence a été la poignée de main à Washington, début juin, entre Dore Gold et Anwar Eshki, ancien général et conseiller de haut rang du régime saoudien. Les deux hommes s’exprimaient devant le cercle de réflexion Council on Foreign Relations. Anwar Eshki a cité comme objectif majeur la normalisation des relations avec Israël, en rappelant la pertinence de l’initiative de paix arabe (2002) sur la question palestinienne, à laquelle l’Etat hébreu n’a jamais formellement répondu.
Cette nouvelle donne est due à la menace représentée par l’organisation Etat islamique, mais aussi aux ambitions de l’Iran après l’accord sur son programme nucléaire signé en juillet. Les puissances sunnites s’inquiètent de son implication en Syrie pour sauver le régime. Elle ne passe plus seulement par son sous-traitant, le Hezbollah libanais, mais par une présence militaire directe sur le terrain. Si le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a cessé de parler en boucle de la « menace existentielle » que représenterait l’Iran pour Israël depuis son discours à l’ONU en septembre, il n’a pas pour autant changé de grille d’analyse. Le premier ministre partage l’inquiétude de Riyad ou du Qatar sur les prétentions hégémoniques de Téhéran.