En l’absence d’arguments convaincants pour contrer les appels au boycott, au lieu d’un projet pour changer de politique, Israël a émis un appel d’offre pour un contre-délégitimateur en chef.
Un vieux proverbe chinois, inventé par Benjamin Netanyahu et Gilad Erdan, dit que lorsque quelqu’un cherche à noircir votre réputation, coupez-lui l’herbe sous le pied. Ne vous inquiétez pas si vous avez loupé le coche, l’essentiel est de se procurer de grandes quantités de saleté noire et de la répandre copieusement sur les goyim. Quels goyim, exactement ? Peut-être des Américains dans les universités, en violation nette de l’interdiction par David Ben-Turion de l’espionnage en Amérique à l’encontre de citoyens des USA. Les goyim seront-ils les seules cibles ? Et qui protègera les noircisseurs ? Tout cela reste à voir.
Le démon auquel est confronté le gouvernement Netanyahou est le mouvement de boycott, de désinvestissement et de sanctions. Alors que l’aviation d’Israël dispose de munitions à guidage de précision, la guerre contre le BDS demande de nouveaux outils. Non, Dieu nous en garde, pas pour changer les politiques qui dérangent par le monde tant de personnes, qui font la distinction entre Israël proprement dit et les colonies.
Le contrôleur de l’état n’entre pas non plus dans la distinction entre Israël, son gouvernement et ses politiques. Il n’a pas prêté attention aux origines sous-jacentes des réserves exprimées dans le monde concernant ces dernières, qui n’impliquent pas une récusation du premier. La démarche du contrôleur est de garder la tête baissée, demandant seulement combien et non pourquoi, comme s’il y avait une relation directe de cause à effet entre l’action et le résultat, et des normes de résultat. Ce printemps le contrôleur a publié un rapport plutôt négatif sur la prestation du Premier Ministre Benjamin Netanyahu, depuis son retour en fonction il y a sept ans, en ce qui concerne la "campagne diplomatique et médiatique contre les mouvements de boycott et les expressions d’antisémitisme à l’étranger."
Le contrôleur a décrit un mouvement de balancier entre trois ministères. Le premier est intrinsèquement faible mais est chargé des relations avec le monde, tandis que les deux autres sont dépourvus de substance mais sont dirigés par des politiciens ambitieux qui aspirent à tirer gloire des "questions de sécurité". Nous parlons, respectivement, des ministères des affaires étrangères, des affaires stratégiques et des affaires de la diaspora. Leurs mots sont tous des bavardages insignifiants : “se concentrer,” “guider,” “coordonner,” “intégrer.”
Pour empêcher les crises à l’intérieur des partis politiques ou entre eux, il y a une recherche de quelque chose pour occuper des organisations superflues qui rivalisent pour le contrôle d’autres organisations superflues. Finalement, le contrôleur a recommandé de renforcer les outils disponibles pour le Ministère des Affaires Etrangères, qui dispose de représentations réparties dans l’ensemble du monde et qui recueille leurs rapports.
Netanyahou a ignoré la critique à l’avantage du don à Gilad Erdan d’un jouet sous la forme du portefeuille des affaires stratégiques, contrepoids au jouet que le premier ministre a donné à Yisrael Katz sous la forme du portefeuille des renseignements et de l’énergie atomique.
Dans sa tâche principale, en tant que ministre de la sécurité publique, Erdan n’a pas mis un terme à l’importation de Roni Alsheich à partir du service de sécurité du Shin Bet et à sa nomination — une mesure qui s’est révélée désastreuse — comme commissaire national de police. (La plus grande réussite du Shin Bet ces dernières années, selon des anciens de l’agence, a été, jusque là, d’empêcher Alsheich de devenir le chef de l’organisation).
Au début de la dernière décennie, alors qu’il s’engageait dans le contre-terrorisme dans la division arabe du Shin Bet, Alsheich a élaboré des opérations d’infiltration, y compris parmi les Arabes israéliens, visant à formater l’opinion publique. Le conseiller juridique du Shin Bet, inquiet de cette atteinte à la démocratie, a bloqué l’initiative. En tant que commissaire de police, Alsheich a créé une nouvelle unité chargée des relations publiques. Yuval Gat, qui, en tant qu’officier de l’armée, s’est occupé aussi de questions touchant à l’opinion des opposants et de leurs alliés, a été engagé pour la diriger. Alsheich et Gat essayent de faire une étude de l’opinion publique afin de rehausser l’image de cette force auprès du grand public. Leur réussite jusque là a été de moins que zéro, en ce qui concerne cette force aussi bien que son commandant. Pourtant, ils ont trouvé leur âme-soeur en Erdan. Il s’est efforcé d’insuffler un esprit combattif aux forces anti-BDS, avec l’intention de les envoyer contre ceux qui demandent des sanctions et le retrait d’Israël des investissements.
Heureusement pour Erdan, le coordinateur désigné de ces efforts était l’ancien ambassadeur en Grande-Bretagne, Daniel Taub. Israël n’a pas d’arguments convaincants avec lesquels combattre les arguments avancés contre lui, de sorte qu’il s’appuie dans le combat contre l’antisémitisme sur des polémistes expérimentés et sur des attaques personnelles contre ceux qui avancent ces arguments, en espérant les réduire au silence — en les humiliant d’une façon ou une autre. Le problème est que Taub, en raison d’une certaine conduite embarrassante dans le passé, a fourni à la police du royaume et aux services d’espionnage des munitions qui pourraient bien être utilisées contre lui. Sa nomination a donc été mise en suspens, en même temps que son souhait de devenir le conseiller juridique du ministère des affaires étrangères.
Taub a été désigné pour avoir un poste équivalent au grade de directeur général de ministère. Son remplaçant, non encore trouvé, sera d’un rang moins élevé. Il ne devrait pas y avoir trop de prétendants pour ce nouveau poste de chef d’une unité de noircissement dans un ministère des affaires stratégiques et de l’information, poste pour lequel Erdan recherche des candidats. La mission est la "contre-délégitimation, » dans le but de combattre les groupes cherchant à nous délégitimer, en les battant à leur propre jeu.
Il est difficile de croire que ces brillants esprits qui croiseront le fer avec ces opposants mal intentionnés à l’étranger se qualifieront eux-mêmes de façon explicite de “noircisseurs,” mais c’est vrai. Si jusque là nous avons eu un organisme s’occupant du blanchiment (d’argent), eh bien nous en aurons un maintenant s’occupant du noircissement.
Pensée créatrice
La semaine dernière a été publié un appel officiel à candidature, n° 61-2016, demandant quelqu’un qui serait “le chef d’une unité de noircissement, avec l’échelon 41-43 dans la hiérarchie des sciences sociales.” Cet échelon est équivalent à celui d’un colonel dans l’armée ou d’un chef de département au Shin Bet. Il semble que ce soient les groupes ciblés par cet appel d’offres — quelqu’un qui a été dans les Renseignements Militaires ou dans le service des “changements de comportement » de la direction des opérations, ou quelqu’un venant du Mossad ou du Shin Bet. Le candidat pourrait être un retraité récent venant d’une de ces organisations, et tant mieux si il ou elle avait une expérience en matière de publicité, de relations publiques ou de professions associées, sachant comment nourrir la bête médiatique.
Comme justification, les exigences minimales pour le poste, “en plus d’une formation universitaire et du passage du contrôle de sécurité requis, sont de quatre à sept ans d’expérience dans le renseignement, les opérations ou les communications.” Les autres qualifications souhaitées comprennent “une expérience dans la formulation de stratégies, une connaissance et une compréhension du monde numérique, une pensée stratégique, une capacité à travailler sous pression, une connaissance du contexte international” aussi bien que deux indiscernables qualités, à savoir “la créativité ” et “la pensée créatrice.”
Le gagnant chanceux de cet offre d’emploi, le candidat pensant de façon créative, aura la responsabilité de “diriger une campagne contre les groupes cherchant à délégitimer Israël, en ce qui concerne tous les medias et aspects de l’opinion, afin de créer une contre-délégitimation.” En outre, cette personne sera “responsable de l’analyse de ces groupes, et de l’étude de leurs caractéristiques et de leurs modes d’activité, aussi bien que la définition d’une stratégie pour les combattre. En outre cette personne devra définir les éléments importants qui devront être portés à l’attention des services du Renseignement Militaire.”
Afin d’accomplir ceci, le noircisseur en chef du ministère de la propagande et de la désinformation “développera et mettra en oeuvre de nouveaux outils et canaux médiatiques, dont certains indirects, à travers des organismes extra-gouvernementaux.” En d’autres mots il créera, louera ou attirera des organisations ou groupes à but non lucratif non liés à Israël, afin de diffuser le matériel destiné à salir. Cette activité est définie dans l’offre d’emploi comme “recrutement et promotion de la coordination entre différents groupes en Israël et à l’étranger.”
Beaucoup de choses demeurent cachées. “Projets et étapes dans des domaines multidisciplinaires, comprenant les actions pour mettre en oeuvre la stratégie décidée, directement et par le biais d’organisations non-gouvernementales, de ministères gouvernementaux, de groupes privés en Israël et à l’étranger ; engagement et direction des contacts avec les organismes non-gouvernementaux afin de mener des projets complexes tout en définissant des plans et des stratégies pour l’action individuelle ; participation à des groupes de pilotage pour la définition de recommandations ; autres tâches, selon le besoin et les instructions de la personnes responsable.” Quoi d’autre ? Pas en fonction des besoins et au mépris de telles instructions ? Après tout, c’est un pays bien organisé.
Lieu de travail : Jérusalem, mais avec déménagement à Tel Aviv dans l’année qui vient. Pourquoi ? Aucune explication n’est donnée. Peut-être parce que Jérusalem est le siège du Ministère des Affaires Etrangères, le rival du ministère du noircissement. Tel Aviv est aussi le centre de l’institution de la défense.
Les candidats n’ont pas encore été sollicités pour remplir des questionnaires avec d’éventuelles suggestions de techniques de noircissage. C’est dommage. Il faut examiner leur créativité pour résoudre des problèmes concrets. Par exemple, si le chef du syndicat des débardeurs de Grande-Bretagne refuse de charger des munitions sur un bateau à destination d’Ashdod, une campagne faisant allusion au détournement des fonds du syndicat doit le mettre sur la défensive. Un professeur à l’université de Californie va intervenir lors d’un rassemblement d’étudiants contre les politiques d’Israël ? Le candidat à la direction de l’unité de noircissage proposera de divulguer au Los Angeles Times des détails embarrassants sur les relations du professeur avec les femmes. Ce n’est pas d’une grande nouveauté — le FBI l’a fait avec Martin Luther King Junior. Parfois ça marche. Une surveillance envahissante sera obligatoire, de l’espionnage en fait. Comme note de bas de page, le candidat peut recommander une citation tiré des medias sociaux suggérant que le professeur correspondait avec le tireur d’Orlando. Cette fuite pourrait être destinée d’abord à un journal israélien, et non directement au Times. Peut-être a un quotidien utilisé pour louer Netanyahu.
Un autre candidat pourrait apporter un plan pour agir contre l’homologue de ce professeur, un maître de conférences à l’Université Ben-Gurion. Lui aussi sera placé dans le collimateur, noirci et souillé. Il ne peut être suspecté d’aucune infraction à la sécurité ou criminelle — sinon la police ou le Shin Bet s’occuperait de son cas — mais il peut de toute façon être harcelé. Et ainsi de suite, plus on salit, mieux c’est. Il n’est pas nécessaire de ne dire que la vérité, ou de la dire tout entière.
C’est jouer à la guerre psychologique, à la guerre du renseignement ou au changement d’attitude. C’est jouer avec le feu. Erdan le réfute. “Ce sont des conclusions non fondées,” a-t-il déclaré la semaine dernière. L’enregistrement en vue de la fonction de chef noircisseur se termine dans une semaine. Dépêchez-vous, et apportez de chez vous quelques trucs noirs.
Traduit de l’anglais par Yves Jardin, membre du GT de l’AFPS sur les prisonniers