Imaginez qu’un beau matin, quelqu’un s’installe sur votre terrain sans autorisation, y construise sa maison, y fasse venir ses amis, et bénéficie d’un soutien sans faille de l’Etat pour retarder les procédures en justice que vous intenteriez. Cauchemardesque ? Pourtant, ce scénario se déroule quotidiennement en Cisjordanie depuis la conquête de ce territoire par Israël en juin 1967 (guerre des Six Jours). En effet, en plus des 131 colonies fondées par l’Etat hébreu et considérées comme illégales par le droit international, une centaine d’« avant-postes », ou « colonies sauvages », ont été créés sans l’accord des autorités israéliennes sur des terres privées palestiniennes volées à leurs propriétaires.
A partir du début des années 1990, plusieurs agriculteurs spoliés par les colons « sauvages » ont entamé des procédures devant la Cour suprême d’Israël afin de récupérer leurs terres et certains ont obtenu gain de cause. C’est d’ailleurs grâce à cela que la colonie d’Amona (200 personnes) a été évacuée manu militari le 1er février par la police de l’Etat hébreu.
Or, il existe au moins 55 autres colonies sauvages semblables à Amona en Cisjordanie occupée. Elles s’étalent sur 800 hectares de terrain et plus de 2 500 logements y ont été construits au fil des années. Afin d’empêcher leur évacuation éventuelle sur ordre de la Cour suprême, le « Yecha » (le lobby des colons), le Foyer juif (le parti représentant ses intérêts à la Knesset), ainsi que le Likoud ont élaboré un projet de loi passant l’éponge sur le vol des terres privées palestiniennes par les colons.
« Hold-up d’Etat »
Baptisé « loi de régularisation », ce texte est âprement discuté depuis des mois. Il a été définitivement adopté lundi soir par la Knesset. En substance, il considère les propriétaires spoliés comme « expropriés d’office » et leur propose une compensation financière ou un terrain d’une superficie identique à celui qui leur a été volé, en échange de leur renoncement à toute procédure en justice.
« C’est un hold-up d’Etat », fulmine Zeava Gal-On, leader du petit parti progressiste Meretz. Moins virulente, la députée Tzipi Livni (centriste d’opposition), estime, elle, que « cette loi rendra service aux colons mais pas à Israël, puisqu’elle permettra à la Cour pénale internationale d’inculper certains de nos militaires et de nos dirigeants ». Quant au procureur général de l’Etat hébreu, il est également hostile à ce projet de loi. Il a d’ailleurs fait savoir qu’il ne le défendrait pas si des ONG de défense des droits de l’homme introduisaient un recours en suspension devant la Cour suprême.
Même Benyamin Nétanyahou est mal à l’aise face à ce texte car il prend la mesure du tort que causera la « régularisation » à l’image de son pays. Mais la base du Likoud, son groupe parlementaire et la plupart de ses ministres préfèrent s’aligner sur la position du Foyer juif. Portés par leur ferveur mystique, ils proclament qu’il faut « profiter de l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche pour enraciner la présence juive en Judée-Samarie [la Cisjordanie occupée, ndlr] ».