Le premier ministre israélien Benyamin « Netanyahou veut provoquer une troisième Intifada ». Ryad al-Malki, le ministre palestinien des Affaires étrangères, a lancé l’accusation lundi à Vienne. Il s’explique en détail ce mardi à Genève, dans le cadre d’une interview exclusive livrée en marge de la cérémonie organisée à l’ONU pour la levée du drapeau palestinien.
Vous accusez Netanyahou de provoquer une troisième intifada en violant le statu quo sur l’esplanade des Mosquées. Mais n’a-t-il pas, en l’occurrence, démenti tout changement ?
Il ment sans vergogne. Depuis trois semaines, tous les matins des soldats israéliens « nettoient » l’esplanade des Mosquées, s’assurant qu’il n’y reste aucun musulman, pour faire place à des groupes juifs qui viennent y prier. Or, depuis le Statu quo du XVIIIe siècle (ndlr : décrété par les Ottomans), cette esplanade est reconnue comme un lieu saint de l’islam et seuls les musulmans ont le droit d’y prier. Cela a d’ailleurs été respecté par Israël après l’occupation de Jérusalem-Est en 1967. Mais depuis 2000, l’Etat hébreu a introduit divers changements. D’abord des touristes ont pu y accéder sous la surveillance des gardes du Waqf (ndlr : fondation islamique gérant les lieux). Puis des officiels israéliens avec leur sécurité. Et enfin, même des extrémistes juifs très provocateurs, qui brandissent des drapeaux et parlent d’y reconstruire le Temple de Salomon. Netanyahou fait tout pour leur plaire.
Vous dites que Netanyahou a les mains liées par les extrémistes juifs ?
Ces extrémistes juifs, autrefois marginaux, sont à présent représentés au gouvernement et pèsent sur la fragile coalition de Netanyahou, dont la majorité au Parlement ne tient qu’à un seul siège. Résultat : pour ne pas perdre leur soutien, il construit des colonies en Cisjordanie, affirme qu’il n’y aura pas de solution à deux Etats, insiste que la Jérusalem unifiée restera toujours la capitale éternelle d’Israël et permet aux colons et aux extrémistes d’accéder à l’esplanade des Mosquées. Mais du coup, il transforme le conflit politique israélo-palestinien - auquel on peut trouver des solutions - en un conflit religieux entre juifs et musulmans - avec une dimension internationale.
Cela explique la colère. Mais pas les attaques au couteau ! Il y en a eu encore plusieurs ce mardi. Votre gouvernement se dit non violent. Que fait-il pour que ça cesse ?
Une vague d’attaques au couteau, ce n’était jamais arrivé. Pourquoi croyez-vous que, depuis dix jours, des hommes, des femmes, des jeunes, se réveillent le matin tout à coup transformés en tueurs ? Pourquoi maintenant ? Parce que Netanyahou a touché à l’esplanade des Mosquées bien sûr ! Quant au président Mahmoud Abbas, il n’arrête pas d’appeler les Palestiniens à la résistance non violente. Mais vous croyez vraiment que nous pouvons arrêter ça ? Regardez à Jérusalem-Est : il y a 30 000 soldats israéliens et ils n’arrivent pas à empêcher un adolescent de brandir un couteau et d’attaquer un juif. Comment Mahmoud Abbas, forcé de gouverner depuis Ramallah, pourrait-il faire cesser des attaques dans un territoire auquel ses forces n’ont même pas accès !
Comment arrêter les violences ?
La violence ne cessera qu’à deux conditions : d’une part, Netanyahou doit retirer les soldats supplémentaires qu’il a déployés en Cisjordanie et qui sont devenus une cible évidente pour les jeunes palestiniens en colère ; d’autre part, il doit évidemment revenir au Statu quo sur l’esplanade des Mosquées. S’il ne le fait pas, le monde verra bien que Netanyahou ne veut pas d’une solution au Proche-Orient. Il préfère le chaos.
En quoi donc le chaos serait-il avantageux pour Netanyahou ?
Cela détourne l’attention de l’occupation israélienne dans les Territoires palestiniens, du développement des colonies en Cisjordanie, de l’établissement d’un nouveau genre de statu quo sur l’esplanade des Mosquées… Il pousse le Hamas et le Djihad islamique à entrer en scène, ce qui lui donne ensuite une excuse pour renforcer sa politique sécuritaire. La peur et la menace lui rapportent toujours des voix.
Cette spirale de la violence, n’est-ce pas aussi le signe de votre échec ? Abbas parle de résistance non violente, mais les Palestiniens n’y croient plus, si l’on en croit les sondages…
Nous avons toujours réussi à maintenir la paix en Cisjordanie, même durant les guerres dans la bande de Gaza. Mais c’est vrai, Netanyahou nous met en échec. Mahmoud Abbas a été élu en promettant la paix et l’autodétermination. Il en a été empêché.
Les Palestiniens attendaient peut-être de leur président plus d’actes de résistance ? N’est-il pas jugé passif, impuissant ?
Des actions de résistance non violente, il y en a eu beaucoup. Comme les manifestations pacifiques durant la construction du mur de séparation. Ou les sit-in aux checkpoints de Cisjordanie. Mais ce sont les années de négociations infructueuses qui ont découragé les gens. Les jeunes palestiniens que vous voyez jeter des pierres contre des soldats israéliens sont tous nés sous l’occupation. Il faut comprendre que 60% de notre population n’a pas 30 ans. Si nous ne leur offrons pas d’espoir, nous les perdrons au profit des fanatiques. C’est pourquoi le président Abbas cherche par tous les moyens une solution.
A l’ONU, la Palestine est un Etat reconnu. Son drapeau flotte à New York, à Vienne depuis lundi et à Genève depuis ce mardi. Vous êtes membres de la Cour pénale internationale. N’avez-vous pas épuisé toutes vos « armes diplomatiques » pour faire pression sur Israël ?
Nous en avons encore beaucoup. Par exemple, nous n’avons pas encore saisi la Cour pénale internationale pour l’instant parce que nous voulons montrer que nous laissons une porte ouverte à une solution négociée. Nous voulons croire que l’Etat hébreu peut encore revenir à la raison. Il est urgent que la communauté internationale se réveille.