Avec la préparation de la Pâque juive, David Wilder, porte-parole de la communauté juive d’Hébron, n’a pas de temps à perdre : « Si cela peut aider à torpiller les négociations, alors je serai très content. Moshé Yaalon a donc pris la meilleure décision, au meilleur moment ! », se félicite-t-il en termes laconiques. Le 13 avril, le ministre israélien de la défense a pris une décision qui va à l’encontre des efforts déployés par John Kerry. Alors qu’il reste moins de deux semaines au secrétaire d’Etat américain pour obtenir l’accord des Israéliens et des Palestiniens en vue d’une prolongation des pourparlers de paix au-delà de la date butoir du 29 avril, l’ancien chef d’état-major israélien a décidé d’autoriser une nouvelle colonie dans la vieille ville d’Hébron. Cette décision ne peut qu’aviver la tension dans cette ville palestinienne de 185 000 habitants, dont le climat communautaire est le plus volatil de la Cisjordanie.
Huit cent cinquante colons vivent au cœur de la vieille ville, dans quatre minicolonies situées de part et d’autre de la rue des Martyrs, protégés nuit et jour par 650 soldats et policiers. Dimanche, M. Yaalon en a donc ajouté une cinquième : connue comme la « Maison Rajabi » (du nom de la famille palestinienne qui en était propriétaire), mais aussi « Maison de la paix » (pour les colons) ou « Maison du conflit » (pour la presse), c’est un immeuble de quatre étages situé de l’autre côté d’un vallon dominé par les premières maisons de la colonie juive de Kiryat Arba (8 000 habitants), qui jouxte Hébron. Ce lundi 14 avril, l’enthousiasme manifesté par le lobby des colons devant la « victoire » que leur a donnée M. Yaalon avait un parfum de revanche.
Le 11 mars, la Cour suprême d’Israël avait mis un point final à sept années de disputes judiciaires, en statuant que la transaction ayant permis à des colons d’acquérir la « Maison Rajabi » était légale. Pour être exécutoire, il fallait le feu vert du ministre de la défense, lequel a choisi de ne pas attendre le 29 avril. Trois familles juives se sont installées dans la nuit de dimanche à lundi, apportant lits, réfrigérateurs et nourriture, avec la ferme intention de partager le séder (repas rituel pour la Pâque juive) dans leur nouveau domicile.
« Accord parfaitement légal »
La « Maison de la paix » est entourée de hauts blocs de béton couverts de barbelés, dans un environnement communautaire hostile : à 40 mètres, une petite mosquée ; à 50 mètres, un cimetière musulman… Sur le toit de l’immeuble, des soldats armés surveillent les maisons palestiniennes alentour. Des caméras et des projecteurs complètent ce dispositif. On entre par une porte en métal, avant d’être refoulé sans ménagement par les militaires : les familles n’ont rien à dire aux quelques journalistes présents !
Un peu plus tard, Yehusha Shani, le « porte-parole des propriétaires », s’explique : « A l’avenir, entre vingt et trente familles pourront s’installer dans l’immeuble. Les prix seront raisonnables. L’accord est parfaitement légal, et les familles veulent vivre une vie normale, tranquille. » Dans cette ville chaudron qu’est Hébron, il ne peut s’agir que d’un vœu pieux. Quant à la transaction, qui date de 2004, elle reste obscure. David Wilder assure que l’immeuble a été acheté, pour une somme comprise entre 700 000 et 1 million de dollars (506 000 et 723 000 euros), à la famille Rajabi par un financier américain.
Les anciens propriétaires affirment que certains documents ont été falsifiés – ce que la police et une décision de justice ont reconnu –, qu’ils ont dénoncé l’accord et rendu une partie de l’argent. Les colons rétorquent que c’est faux et que les Rajabi ne se sont ravisés qu’après cette révélation : l’intermédiaire, le Palestinien Assaf Nechmad, travaillait pour Morris Abraham, un homme d’affaires juif de New York. Ce qui faisait d’eux des criminels aux yeux de la loi palestinienne. Les deux explications sont probablement complémentaires. Car le stratagème n’est pas isolé. Dans la vieille ville de Jérusalem, des colons juifs s’efforcent de racheter discrètement des maisons palestiniennes, par le truchement d’hommes de paille.
Assurer une continuité territoriale juive
Toujours est-il qu’à Hébron, la justice a tranché en faveur des colons. Fort de sa certitude que les juifs « vivent ici depuis quatre mille ans », M. Wilder exulte : « C’est une décision historique ! Il y aura d’autres ventes de propriétés à Hébron, parce que les Palestiniens voient maintenant que c’est possible. » Le porte-parole de la communauté juive n’a aucune hésitation à reconnaître qu’il s’agit d’une étape « stratégique », dont l’objectif est d’assurer une continuité territoriale juive entre le cœur d’Hébron et la colonie de Kiryat Arba. Quant aux négociations de paix, il n’a aucun doute : un Etat palestinien est « un suicide pour Israël ».
Moshé Yaalon pense peu ou prou la même chose, et sa décision, soutenue par la droite et l’extrême droite israéliennes, ne doit donc rien au hasard : outre qu’elle intervient à un moment critique des négociations israélo-palestiniennes, elle vient tempérer une première décision qui a déclenché une levée de boucliers du lobby des colons. Le 11 mars, M. Yaalon avait ordonné à l’armée d’investir la yeshiva (école talmudique) d’Yitzhar, au sud de Naplouse, bastion le plus extrémiste des colonies juives de Cisjordanie.
Cette sanction sans précédent avait été prise à la suite d’une confrontation entre de jeunes colons radicaux et des soldats israéliens. Les premiers avaient saccagé un poste militaire sous les yeux des seconds, qui n’avaient pas réagi : « Mes hommes sont stationnés ici pour protéger la vie des résidents de Yitzhar », avait tenté d’expliquer l’officier du détachement. Le ministre de la défense a voulu faire passer un double message : toute attaque contre des soldats ne sera pas tolérée ; en revanche, les colons d’Hébron et d’autres lieux peuvent compter sur la protection de l’armée face aux Palestiniens