Des pierres et cocktails Molotov jetés par de jeunes Palestiniens auxquels répondent des tirs à balles réelles de soldats israéliens. Les scènes de guerre urbaine qui se jouent depuis samedi dans nombre de localités de Cisjordanie et de Jérusalem-Est rappellent à s’y méprendre les deux intifadas de 1987 et de 2000, qui ont vu les Territoires palestiniens s’embraser contre l’occupant israélien. Et viennent clore une semaine particulièrement sanglante, marquée par trois attentats contre des citoyens israéliens.
Jeudi, un couple de colons a été criblé de balles dans sa voiture par plusieurs Palestiniens, sous les yeux de ses enfants, alors qu’il circulait près de la ville de Naplouse, en Cisjordanie. Samedi soir, ce sont deux autres Israéliens - un soldat et un rabbin - qui ont été abattus par un Palestinien de 19 ans, qui a également blessé une femme et un enfant, dans la vieille ville de Jérusalem. Dimanche encore, c’est un passant de Jérusalem-Ouest qui a sérieusement été blessé, à coups de couteau, par un Palestinien de 19 ans. Parmi les assaillants palestiniens, deux ont été abattus par la police. L’auteur de l’attaque de samedi a été présenté par le Jihad islamique, organisation farouchement anti-israélienne, comme l’un de ses membres. Concernant l’attaque de jeudi, Tsahal et le Shin Bet, le service de sécurité intérieure, ont annoncé avoir arrêté cinq suspects ayant avoué le meurtre. Ils appartiendraient au Hamas.
Des liens avec des organisations islamistes, clandestines en Cisjordanie, qui rendent sceptiques le chercheur Xavier Guignard : "Les circonstances des attaques, le mode opératoire au couteau ou au revolver ainsi que les lieux choisis poussent clairement vers l’hypothèse d’un effet d’auto-entraînement de ces assaillants palestiniens, mais pas de militants ou de combattants de ces organisations obéissant à un ordre politique", explique le spécialiste de la Palestine. "Toutefois, ces organisations qui appellent quotidiennement à la lutte armée contre Israël peuvent jouer sur un effet d’opportunisme qui fait écho à ce que ressent aujourd’hui la population palestinienne", ajoute-t-il.
"Combat jusqu’à la mort" de Netanyahu
La réponse de Benjamin Netanyahu n’a, en tout cas, pas tardé. Promettant "un combat jusqu’à la mort contre le terrorisme palestinien", le Premier ministre israélien a ordonné l’accélération des démolitions des maisons de terroristes ainsi qu’un recours plus large à la détention administrative – qui permet l’emprisonnement sans jugement pour les suspects. Fait rare, le chef du gouvernement israélien a interdit pour deux jours l’accès de la vieille ville à l’immense majorité des quelque 300 000 Palestiniens de Jérusalem-Est (partie de Jérusalem occupée en 1967 et annexée par Israël) qui n’y vivent pas.
"Ce n’est certainement pas avec des punitions collectives que l’on va régler le problème", insiste Yves Aubin de La Messuzière, ancien directeur Afrique-Moyen-Orient au Quai d’Orsay. "Au contraire, cela contribue à nourrir l’engrenage de violences." Le 24 septembre, le gouvernement israélien avait déjà autorisé l’utilisation de tirs à balles réelles contre les lanceurs de pierres, y compris mineurs. Au cours des 48 dernières heures, deux Palestiniens de 13 et 18 ans ont péri lors de heurts avec les soldats israéliens à Bethléem et à Tulkarem en Cisjordanie. Un autre jeune Palestinien était dans un état critique lundi soir après des accrochages à Jérusalem-Est. Au total, plus de 180 Palestiniens ont été blessés par des balles réelles ou caoutchoutées, selon le Croissant-Rouge. "Personne ne veut réprimer les Palestiniens", affirme pour sa part Emmanuel Nahshon, porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères. "Notre but est d’assurer la sécurité des habitants de Jérusalem."
Provocation des juifs ultra-orthodoxes
À l’origine de cette nouvelle fièvre de violences, l’accès des citoyens israéliens à l’esplanade des Mosquées, qui abrite la mosquée Al-Aqsa, troisième lieu de l’islam, mais qui se trouve aussi à l’emplacement du mont du Temple, premier lieu saint du judaïsme, détruit en 70 par les Romains. En l’absence d’avancée sur un hypothétique État palestinien, c’est ce lieu doublement sacré qui cristallise les tensions du conflit israélo-palestinien. Depuis la conquête de Jérusalem-Est par Israël en 1967, l’esplanade des Mosquées est régie par un statu quo : si les musulmans peuvent accéder au site à toute heure et que les juifs n’y sont pas autorisés, ces derniers peuvent depuis quelques années y pénétrer durant quelques heures de la semaine, mais ne peuvent y prier.
Or cet accord est désormais remis en cause par des juifs ultra-orthodoxes qui multiplient les visites, réclamant le droit de prier sur l’esplanade. Certains rêvent même d’y construire le troisième temple juif. Ils sont soupçonnés de bénéficier d’une relative mansuétude de la part des autorités israéliennes, dont le dernier gouvernement issu des législatives de mars fait la part belle aux nationalistes et aux ultra-orthodoxes. "Pour certains juifs très religieux, il est vrai que le mont du Temple revêt une signification religieuse profonde et que certains veulent changer le statu quo. Mais il en est hors de question", assure pourtant Emmanuel Nahshon.
Impunité des colons
Dans ce contexte explosif, le début des célébrations du nouvel an juif il y a trois semaines, qui ont vu le nombre de visiteurs juifs sensiblement augmenter sur l’esplanade, a servi d’étincelle. Depuis, les affrontements sont quasi quotidiens entre policiers israéliens, dont certains auraient pénétré dans l’enceinte de la mosquée Al-Aqsa, et jeunes manifestants palestiniens. En représailles, les autorités israéliennes ont décidé d’interdire l’accès à l’esplanade aux hommes palestiniens de moins de 50 ans.
"Il n’est pas normal de ne pas pouvoir circuler librement sur son territoire", s’insurge Ahmad, un jeune Palestinien de 25 ans, contacté sur place. "Notre sentiment est que la présence des colons devient normalisée, alors qu’au contraire nous ne sommes plus les bienvenus. Alors, si un colon agressif empiète sur ton territoire, soit tu manifestes politiquement, soit tu le combats", explique ce jeune Palestinien.
"Résistance populaire pacifique"
Étonnamment, le président palestinien Mahmoud Abbas n’a pas condamné l’assassinat des quatre Israéliens, dénonçant, au contraire, "les crimes de l’occupant israélien, des colons en Cisjordanie et à Jérusalem". "Cela fait vingt ans que l’on condamne ces attaques d’Israéliens, et rappelle notre attachement à la résistance populaire pacifique, répond une source officielle palestinienne. Mais cela devient difficile étant donné la recrudescence d’attaques de la part des colons. L’escalade, cela fait des mois qu’elle a en réalité commencé."
Depuis la fin de la guerre de Gaza, en août 2014, les humiliations de soldats israéliens et attaques de colons contre les populations palestiniennes se multiplient en même temps que les violences contre les civils et militaires israéliens. "Nous exerçons notre autorité légitime pour protéger les citoyens israéliens, dans les Territoires ou en Israël", souligne Emmanuel Nahshon.
Ces violences ont fait, depuis janvier 2015, au moins 8 morts du côté israélien, 31 morts du côté palestinien, dont 3 membres d’une famille palestinienne - parmi lesquels un bébé de 18 mois – brûlés vifs dans l’incendie par des colons de leur maison, le 31 juillet dernier, dans le nord de la Cisjordanie. Un mois plus tard, le ministre israélien de la Défense, Moshe Ya’alon, annoncera finalement l’arrestation de certains des auteurs présumés de l’incendie, sans pour autant qu’ils aient été encore inculpés. Mais, dans les faits, ces juifs extrémistes ne sont que rarement inquiétés par la justice israélienne. D’après l’ONG israélienne Yesh Din, 85 % des plaintes palestiniennes concernant des violences de colons sont classées sans suite. "Si notre gouvernement est incapable de nous protéger face à ces violences, alors il faut nous protéger nous-mêmes", affirme le jeune Ahmad.
Mahmoud Abbas discrédité
"Nous avons aujourd’hui affaire à une nouvelle génération de jeunes lanceurs de pierres, souvent mineurs et semblant agir de leur propre chef, qui ouvrent la voie à une nouvelle intifada, s’alarme Yves Aubin de la Messuzière. Ils n’ont plus aucune perspective, tout est fermé pour eux." En effet, la situation dans la bande de Gaza reste toujours problématique. Un an après l’opération Bordure protectrice, l’enclave palestinienne reste toujours soumise à un double blocus, tant israélien qu’égyptien, et peine à voir arriver l’aide promise par la communauté internationale, dont seuls 35 % des fonds ont été versés à ce jour, soit 1,1 milliard d’euros. Le chômage y est endémique, avec un taux de 42 % au premier trimestre, dont plus de 60 % chez les jeunes.
La situation est plus appréciable en Cisjordanie, où le chômage s’élève à 16 %. Toutefois, dans un rapport publié fin septembre, la Banque mondiale a mis en garde contre l’éclatement de "nouveaux conflits" si le statu quo économique et politique entre Israéliens et Palestiniens perdurait. D’après l’organisme, un quart des Palestiniens vivent aujourd’hui en situation de pauvreté.
Si le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a décroché une victoire à la Pyrrhus à New York en réussissant à hisser le drapeau palestinien sur le parvis de l’ONU, il demeure aujourd’hui largement discrédité aux yeux de son propre peuple. "Fondamentalement contre la violence, Mahmoud Abbas semble dépassé par son opinion qui ne le suit plus", décrypte Yves Aubin de la Messuzière. Si bien que, d’après une récente enquête du Centre palestinien pour la recherche politique et les études stratégiques, après vingt-deux ans de négociations stériles avec les Israéliens, une majorité de Palestiniens serait désormais favorable à un soulèvement armé contre Israël.