Les ministres des affaires étrangères d’une trentaine de pays, dont la Chine, l’Allemagne, l’Égypte, la Jordanie, l’Arabie saoudite, le Maroc, les représentants du Quartet pour le Proche-Orient (Nations unies, Union européenne, États-Unis, Russie) et une délégation de la Ligue arabe participent, ce 3 juin à Paris, à la première réunion prévue par l’Initiative pour la paix au Proche-Orient, lancée l’année dernière par Laurent Fabius et endossée par Jean-Marc Ayrault. L’objectif affiché est très ambitieux, voire utopique : « recréer un horizon politique favorable à la reprise des négociations bilatérales entre les deux parties aujourd’hui bloquées », selon le ministère des affaires étrangères.
La réalité, c’est-à-dire le rejet brutal par Israël de l’initiative française et l’impuissance historique de la communauté internationale à imposer au gouvernement israélien le respect du droit, des résolutions des Nations unies et même de ses propres engagements diplomatiques, incite pourtant à une posture plus modeste. En l’absence des « deux parties » – Israël et les Palestiniens – qui ne sont pas invitées, cette réunion ministérielle se bornera à dresser un état des lieux sur le terrain, à faire le point des négociations précédentes, et à ébaucher les modalités de la seconde conférence, annoncée pour la fin de l’année, avec la participation, cette fois, des principaux intéressés.
C’est en tout cas cette approche prudente que révèle le document de travail communiqué, depuis quelques jours, par le Quai d’Orsay aux participants. Ce texte de deux pages et demie, rédigé en anglais et titré « Réunion ministérielle du 3 juin sur le Processus de paix au Moyen-Orient », auquel Mediapart a pu avoir accès, préconise une « approche consultative, recherchant le consensus le plus large, plutôt qu’une approche prescriptive ».
« Le choix des Français est compréhensible, estime un diplomate étranger. Il s’agit à partir de ce document de préparer une déclaration finale qui traduira l’engagement des États présents à préparer leur participation à la seconde conférence et à en assumer les obligations. Il fallait éviter toutes les aspérités diplomatiques qui auraient pu fournir le prétexte à des réticences ou des refus, c’est-à-dire à un échec de la réunion. »
C’est sans doute pourquoi le « non-papier » français, c’est-à-dire en termes diplomatiques le projet de document actuellement en circulation, est aussi prudent dans les objectifs qu’il affiche que dans sa formulation. Il constate que « le conflit crée la précarité et l’insécurité, alimente la rhétorique radicale et la violence extrémiste ». Il rappelle que « la solution à deux États est la seule option viable » pour résoudre un « conflit qui n’a rien perdu de son acuité et constitue un problème clé symbolique dans la région ». Il souligne aussi que cette solution est « menacée au point d’être rendue presque impraticable par le développement incessant de la colonisation, y compris dans les zones les plus sensibles ».
Il énumère enfin les références sur lesquelles se fonde la recherche d’une solution, c’est-à-dire cinq résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, les principes de la Conférence de Madrid de 1991, l’initiative de paix arabe de 2002 et la Feuille de route du Quartet, rédigée en 2003. Il évoque enfin, à deux reprises, amabilité à destination de Washington, les « efforts » de John Kerry pour tenter de parvenir à une solution, demeurée « insaisissable ».
Mais il rappelle aussi, ce que ne cesse de proclamer Israël que « la paix sera faite par les parties et non par d’autres en leur nom ». Et il se garde de citer la liste des dossiers essentiels de la négociation, dont la plupart sont minés par les positions intransigeantes d’Israël : tracé des frontières, arrangements et garanties de sécurité, destin des réfugiés, partage de Jérusalem, question des colonies et des échanges de territoires, répartition des ressources en eau.
Le point majeur du texte français, aux yeux des Palestiniens, qui fondent de réels espoirs sur l’internationalisation de la négociation que constitue l’initiative de Paris – au point d’avoir renoncé, en avril, à faire présenter au Conseil de sécurité par un groupe de pays amis un projet de résolution condamnant la colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est – est la création d’un « groupe de pilotage ». Il sera chargé de coordonner la préparation de la seconde conférence et surtout la proposition de mise sur pied d’un calendrier de négociation rigoureux, assignant dès le départ des délais précis à chaque étape des pourparlers entre Israéliens et Palestiniens. Mais, et c’est la faiblesse essentielle du projet français, il n’est nullement prévu de dispositif de pressions, voire de sanctions pour faire respecter ce calendrier et ses dispositions.
Selon le point 4 du « non-papier » français, les ministres doivent, au minimum, se mettre d’accord sur 5 points essentiels : « Une estimation commune du fait que la solution à deux États est la seule option, qu’elle est gravement menacée et doit être préservée ; l’affirmation commune du soutien concret que les États participants sont disposés à fournir pour faciliter la préservation de la solution à deux États et sa mise en œuvre ; une volonté commune de ressusciter le processus de paix et de s’accorder sur le but de la conférence ; le choix d’une série de tâches et d’actions à accomplir d’ici à la seconde conférence ; une méthode et un calendrier pour la conférence. »
Méfiance américaine
Il restera aussi à vérifier si Israël est prêt à participer à cette seconde conférence élargie, où un « groupe de soutien » devrait accompagner les discussions, pour fournir l’aide ou les garanties requises. Pour l’instant, comme viennent de le constater à Jérusalem Jean-Marc Ayrault et Manuel Valls, qui n’ont pourtant pas ménagé leurs témoignages d’amitié à Israël, au point de renoncer à la reconnaissance de l’État palestinien évoquée en cas d’échec par Laurent Fabius, il n’y a pas lieu d’être optimiste. Benjamin Netanyahou, qui vient de conclure une alliance avec le parti ultranationaliste Israël Beitenou et de confier le ministère de la défense à son leader, Avigdor Lieberman, est à la tête d’une majorité désormais stabilisée, plus à l’extrême droite que jamais, c’est-à-dire moins disposée que jamais à accepter une négociation et la création d’un État palestinien.
Le premier ministre israélien risque d’être d’autant plus difficile à convaincre qu’une autre proposition de dialogue israélo-palestinien, plus conforme à ses vues, car dépourvue d’accompagnement ou de patronage international, a été formulée par le président égyptien Abdel Fatah al-Sissi. Étroitement associé à l’initiative française, le général-président égyptien s’est engagé auprès de Paris à ne pas parasiter l’initiative du Quai d’Orsay. Mais qu’en sera-t-il, si dans quelques mois, le refus obstiné israélien persiste et oblige à choisir entre la proposition cairote ou pas de négociation du tout ?
L’administration américaine, qui ne voit pas d’un bon œil l’intrusion de la France dans un dossier qui relève de la sphère d’influence américaine, n’est pas disposée à l’internationalisation de la solution. C’est d’ailleurs à cause d’une intervention énergique ces dernières semaines de Washington, répondant à de pressantes sollicitations israéliennes, que le rapport du Quartet sur la situation dans les territoires occupés palestiniens, qui devait être rendu public le 25 mai et s’annonçait comme très sévère pour Israël, a été ajourné, pour être réécrit. Et c’est pour ne pas endosser une version par trop édulcorée de ce document que le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, a refusé que ce nouveau rapport, attendu à l’ouverture de la conférence de Paris, soit rendu public en l’état.