Le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et son nouveau ministre de la défense, l’ultranationaliste Avigdor Lieberman, ont annoncé dimanche 3 juillet la construction de 800 nouveaux logements dans des colonies de Cisjordanie et de Jérusalem-Est. La majorité d’entre eux – 560 logements – sont prévus à Maale Adoumim, une colonie créée en 1975 à l’est de Jérusalem et qui compte aujourd’hui plus de 37 000 habitants. Les autres logements – 240 – seront répartis dans plusieurs colonies de la périphérie de Jérusalem. Selon le bureau du premier ministre, cette décision est une réponse à deux attaques de « terroristes palestiniens » dont des colons israéliens ont été victimes en Cisjordanie occupée.
La première visait jeudi dernier une jeune Israélo-Américaine de 13 ans, Hallel Yaffa Ariel, poignardée à mort dans sa chambre, dans la colonie de Kyriat Arba, aux portes de Hébron. La seconde avait pour cible, le lendemain, un rabbin de 48 ans, Michael Mark, directeur d’une école talmudique dans la colonie d’Otniel, tué par balles, au volant de sa voiture. Pour confirmer le caractère de représailles donné à ces décisions, les services du premier ministre ont précisé qu’en outre, un appel d’offres pour la construction de 42 nouveaux logements à Kyriat Arba, où résidait Hallel Yaffa Ariel, serait lancé. Et que tous les ministères devaient être mobilisés pour aider les colonies de Cisjordanie.
Livrée au public comme une punition des actes de terrorisme, ce qui n’est jamais impopulaire en Israël, l’annonce de l’ouverture de ces nouveaux chantiers répondait aussi à une autre préoccupation : apaiser les reproches adressés au premier ministre par plusieurs membres de l’aile la plus extrémiste de son gouvernement, qui déploraient une décision récente du Tribunal de Jérusalem, acceptée par Netanyahou. En application de cette décision, le premier ministre avait dû se résigner à permettre la construction, par des promoteurs palestiniens, de 600 logements dans le quartier de Beit Safafa, entre les colonies de Gilo et Givat Hamatos, à la périphérie sud de Jérusalem.
Considérée par les stratèges de la colonisation comme inacceptable, car cette décision judiciaire renforce un « coin » de population palestinienne dans la ceinture de colonies destinée à séparer Jérusalem de la Cisjordanie, cette extension de Beit Safafa avait, dans un premier temps, été refusée par le gouvernement israélien au prétexte de « considérations diplomatiques secrètes » sur lesquelles il ne pouvait être plus précis. Cet argument mystérieux n’a pas convaincu le juge. D’autant qu’au moment où le gouvernement s’opposait à l’extension du quartier palestinien de Beit Safafa, il autorisait l’extension du quartier juif voisin de Givat Hamatos. Le déni de justice était si flagrant que plusieurs ambassades étrangères influentes avaient manifesté leur indignation et le projet israélien avait finalement été mis en sommeil.
Un mois après la décision du juge reconnaissant le bien-fondé du projet palestinien, Benjamin Netanyahou et Avigdor Lieberman, assiégés notamment le ministre de l’éducation, Naftali Bennett, et par le ministre pour les affaires de Jérusalem, Ze’ev Elkin, ont saisi l’occasion de ces deux attentats pour répondre en partie à leurs exigences en permettant la construction de 800 logements dans les colonies de la périphérie de Jérusalem. « Quiconque tient à une majorité juive dans la capitale d’Israël, ne peut promouvoir la construction au seul bénéfice de la population arabe, avait tonné Elkin. J’appelle le premier ministre à approuver aussi la construction pour les juifs dans le quartier de Givat Hamatos. Jérusalem a un besoin urgent de ce quartier et de 2 000 logements de plus. »
Que Benjamin Netanyahou annonce une nouvelle progression de la colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est n’a rien d’étonnant. Sous n’importe quel prétexte et même sans le moindre prétexte, le premier ministre n’a cessé d’annoncer l’extension de colonies existantes ou la « légalisation » de colonies « sauvages ». Prétention et arrogance d’autant plus choquantes que les colonies « officielles » ne sont pas plus légales, au regard du droit international, que les avant-postes « sauvages ».
Mais l’impunité dont a bénéficié, sur ce point comme sur d’autres, l’État d’Israël est telle que depuis le retour de Netanyahou à la tête du gouvernement, il y a sept ans, la population des colonies s’est accrue de plus de 80 000 personnes. Le poids des colons dans la vie politique comme au sein de la coalition parlementaire et du gouvernement est allé croissant.
Ce qui est plus surprenant, mais aussi très révélateur du mode de fonctionnement politique et psychologique du premier ministre israélien, c’est que cette décision a été annoncée trois jours après la publication d’un rapport du Quartet (États-Unis, Nations unies, Russie, Union européenne). Le Quartet tient le développement de la colonisation par Israël et la poursuite des actes de violence, du côté palestinien, pour les principales causes de la mort du processus de paix.
Lire le texte intégral ici : Le rapport du Quartet (pdf, 53.1 kB)
Décidée en février, la préparation de ce bref document – il ne compte que 8 pages – a été confiée à quatre rédacteurs principaux : Frank Lowenstein, envoyé spécial américain pour les négociations israélo-palestiniennes, Fernando Gentilini, représentant de l’Union européenne, Nicolas Mladenov, envoyé spécial de l’ONU au Proche-Orient, et Sergueï Vershinin, représentant de la Russie. Plusieurs dizaines de versions ont été préparées, discutées, amendées avant qu’un texte recueille l’accord des quatre parties.
214 Palestiniens et 34 Israéliens tués depuis octobre 2015
Le retard pris par la recherche du consensus indique à quel point l’affaire a été délicate. À l’origine, le rapport devait être rendu public le 25 mai, une dizaine de jours avant la réunion à Paris de la trentaine de ministres des affaires étrangères mobilisés par l’Initiative française pour la paix au Proche-Orient. Il a été indiqué ensuite qu’il serait rendu public pendant la conférence. Mais le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, en personne, s’y est opposé pour ne pas avoir à endosser une version par trop édulcorée du document. Annoncé depuis des mois comme accablant pour Israël, le rapport a été l’objet, dès le printemps, d’une véritable offensive diplomatique israélienne auprès des gouvernements amis et de très fortes pressions américaines.
Le résultat tel qu’on peut le lire aujourd’hui reflète une pesante volonté d’établir un équilibre artificiel des responsabilités dans l’agonie du processus de paix, entre les deux parties, c’est-à-dire entre l’occupant et l’occupé, le colonisateur et le colonisé. En témoigne l’ordre symbolique dans lequel sont énumérés les facteurs qui « minent gravement les espoirs de paix ». Selon les documents annuels de l’Union européenne, la poursuite assidue et impunie de la colonisation est clairement le principal responsable du naufrage du processus de paix. Mais le rapport du Quartet, lui, impute d’abord cet échec à « la poursuite des violences et des attaques terroristes » palestiniennes. Selon le document, on a recensé depuis octobre 2015 plus de 250 attaques et tentatives d’attaques palestiniennes contre des Israéliens.
« Au moins 30 Israéliens » – en fait, aujourd’hui 34 – ont été tués lors de cette vague de violences qui a frappé Israël, Jérusalem et la Cisjordanie. Dans le même temps, rappelle le document, 200 Palestiniens – en fait aujourd’hui 214 – ont été tués par des soldats, des policiers ou des civils israéliens, parce qu’ils se livraient à ces actes de violence ou étaient soupçonnés de s’y être livrés ou d’en être les complices. Le rapport note aussi que « la violence des colons contre les Palestiniens – y compris les agressions, le vandalisme et la destruction des biens – demeure une grave préoccupation » et déplore l’attitude ambiguë de l’Autorité palestinienne. Mais il s’abstient de noter que l’écrasante majorité des actes de violences contre des Israéliens ont eu lieu à Jérusalem, à Tel-Aviv, ou dans la zone C de la Cisjordanie, c’est-à-dire en des lieux où la sécurité relève du seul gouvernement israélien.
En deuxième position parmi les facteurs contribuant à « éroder la viabilité de la solution à deux États » viennent « la poursuite de la colonisation et son extension en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, l’affectation de terres à l’usage exclusif d’Israël et le déni de développement dont les Palestiniens sont victimes ». Près de 70 % de la Zone C, qui constitue plus de la moitié de la Cisjordanie et relève toujours du contrôle militaire et sécuritaire total d’Israël, ont été « unilatéralement affectés à l’usage exclusif d’Israël » et le reste est « inutilisable pour le développement de l’économie palestinienne car il requiert des permis d’accès des autorités militaires israéliennes qui ne sont presque jamais délivrés ».
Depuis la signature des accords d’Oslo, en 1993, rappelle le rapport, la population des colonies a plus que doublé. Elle a même triplé dans la Zone C où vivent désormais 370 000 Israéliens dans près de 130 colonies – à côté, le rapport ne le mentionne pas, de près de 200 000 Palestiniens, soumis aux humiliations quotidiennes de l’occupation et exposés aux attaques, la plupart du temps impunies des colons. Constatant qu’Israël conserve une autorité absolue sur le développement et la planification territoriale de la Zone C – qui devrait être le cœur d’un éventuel État palestinien –, le rapport rappelle qu’il n’y a pratiquement plus de délivrance de permis de construire au bénéfice des Palestiniens. Un seul aurait été approuvé en 2014 et aucun, apparemment, en 2015. « Entre 2009 et 2013, écrivent les auteurs du document, 34 permis de construire seulement ont été délivrés à des Palestiniens dans le Zone C, sur plus de 2 000 demandes. »
En revanche, on constate un accroissement spectaculaire des démolitions de constructions palestiniennes dans la Zone C comme à Jérusalem-Est, relève le rapport. Depuis le début de l’année près de 500 bâtiments ont déjà été rasés, c’est-à-dire davantage que pendant toute l’année 2015. « Le développement palestinien est aussi entravé, estime le rapport, par les restrictions physiques et administratives complexes au mouvement des personnes et des biens, qu’Israël justifie comme nécessaires à sa sécurité, y compris celle des colonies. »
Déplorant aussi l’accumulation d’armes dans la bande de Gaza par le Hamas et d’autres mouvements armés, le rapport juge « capitale pour la réalisation des aspirations nationales du peuple palestinien » la réunification sous une même Autorité palestinienne démocratique et légitime des Palestiniens de Cisjordanie, Jérusalem-Est et de la bande de Gaza, ces derniers souffrant, en outre, d’une situation humanitaire désastreuse : « 1,3 million d’habitants de Gaza [sur 1,8 million, environ – ndlr] ont besoin d’une assistance humanitaire continue, notamment de nourriture et d’hébergement provisoire. »
Après avoir appelé « chaque partie à démontrer, par ses choix politiques et ses actes un engagement sincère en faveur de la solution à deux États, et à s’abstenir de mesures unilatérales qui préjugent du résultat des négociations » – ce qui n’engage pas à grand-chose –, le rapport s’achève par 10 recommandations, certes judicieuses et respectables, mais qui ressemblent davantage à un catalogue de vœux pieux qu’à des rappels à la réalité et au droit. Il en va de même des cinq prises de position du Quartet, qui concluent le document.
On y apprend que le Quartet « juge urgent de faire progresser la solution à deux États sur le terrain », qu’il souligne l’intérêt de l’initiative de paix arabe de 2002, qu’il salue le communiqué de la conférence de Paris, qu’il encourage la communauté internationale à aider le peuple palestinien, y compris en versant le montant des aides annoncées et qu’il invite les parties à mettre en œuvre les recommandations du rapport et à créer les conditions d’une reprise des négociations.
Comment mettre en œuvre ces bonnes intentions ? Comment contraindre les parties à respecter le droit et leurs engagements antérieurs ? Quelles sanctions la communauté internationale, à commencer par les membres du Quartet, pourrait-elle décider pour imposer les conditions d’une négociation équitable ? Sur tous ces points, les représentants du Quartet, comme d’habitude, sont silencieux. Pourquoi s’étonner que le gouvernement israélien, à l’abri d’une impunité persistante, poursuive en toute quiétude la politique de colonisation qui rend chaque jour plus utopique une solution à deux États, seule garante de la paix entre Israéliens et Palestiniens ?