Le flou et l’incertitude. Quatre jours après la conclusion à Amman, la capitale jordanienne, sous les auspices du secrétaire d’Etat américain John Kerry, d’un accord entre Israël, l’Autorité palestinienne et la Jordanie prévoyant que le statu quo serait désormais respecté sur le Haram al-Sharif (l’esplanade des Mosquées, à Jérusalem), le calme semble revenir progressivement dans la Ville sainte.
Pourtant, rien n’est réglé et le feu couve sous la cendre. Certes, l’accord prévoit que seuls les musulmans seront autorisés à prier sur ce lieu saint musulman et que les juifs auront seulement le droit de le visiter. Mais en Israël, les ultras du gouvernement le digèrent mal.
Vice-ministre des Affaires étrangères et figure de proue de l’aile droite du Likoud, Tzipi Hotovely a ainsi souhaité lundi « voir flotter le drapeau israélien sur le Mont du Temple » (l’esplanade). Quant à la ministre de la Culture et des Sports, Miri Regev (du Likoud), elle a déclaré « vouloir monter sur l’esplanade avec un drapeau israélien pour y prier ». Un camouflet pour Nétanyahou, qui a « recadré » Hotovely en lui rappelant qu’elle est censée appliquer la politique du gouvernement dont elle est membre.
Statu quo
L’accord négocié par Kerry, Nétanyahou, Abbas et le roi Abdallah de Jordanie prévoit qu’un système de vidéo fonctionnera vingt-quatre heures sur vingt-quatre sur l’esplanade des Mosquées, pour s’assurer que le statu quo est respecté. Mais rien n’a été décidé quant à l’installation de ces caméras et à la surveillance des écrans. Lundi, lorsque le Waqf, le comité religieux musulman gérant l’esplanade, a voulu placer les siennes, la police israélienne l’en a empêché, en affirmant qu’il « n’y a pas eu concertation ». C’est que l’Etat hébreu veut garder la haute main sur ce système. Il accepte que les Jordaniens y jettent un œil mais certainement pas les représentants de l’Autorité palestienne.
De toutes façons, caméras vidéo ou pas, rien n’est résolu sur le fond, puisque l’occupation de Jérusalem-Est (les quartiers arabes de la ville) ainsi que de la plus grande partie de la Cisjordanie sont toujours en cours. A en croire les analyses des divers services de renseignement israéliens, l’accalmie enregistrée ces derniers jours dans la Ville sainte ainsi que la légère diminution des attaques à l’arme blanche constatée en Israël et en Cisjordanie n’est que provisoire. D’autant que deux Palestiniens ont poignardé un soldat israélien, en Cisjordanie mardi avant d’être abattus. En outre, les perspectives de reprise du processus de paix sont nulles.
Lorsqu’il était Premier ministre à la fin des années 80, le faucon du Likoud, Yitzhak Shamir, répétait à son entourage qu’il fallait « parler de la paix pour ne pas la faire ». A l’époque, Nétanyahou, alors jeune diplomate, était son protégé, membre de son premier cercle. Trente ans plus tard, il n’a manifestement pas oublié la leçon du maître, puisqu’il ne cesse de proclamer son « intention de rencontrer Abbas pour négocier », tout en prenant discrètement des mesures enflammant le terrain et empêchant la reprise des pourparlers. Parmi les dernières en date : l’autorisation d’agrandir une colonie proche de Naplouse et l’inclusion de nouvelles implantations dans la liste des « municipalités » israéliennes dont les résidents bénéficient de larges avantages fiscaux.
Dans la même veine, le Premier ministre a laissé filtrer en début de semaine son intention de retirer la carte de résident aux 80 000 Palestiniens de Jérusalem vivant du mauvais côté (en Cisjordanie) de la barrière de sécurité qui coupe leurs quartiers en deux.
« Schémas mentaux »
Faute d’intervention américaine pour restaurer un dialogue positif entre Israël et l’Autorité palestinienne (où Mahmoud Abbas semble en fin de course), le Quai-d’Orsay multiplie ces dernières semaines les efforts visant à organiser une rencontre à Paris entre Nétanyahou et le « raïs » palestinien.
L’intention est louable. Sauf qu’à Jérusalem comme à Ramallah, personne ne croit sérieusement à la reprise de pourparlers de longue haleine. Voilà pourquoi de nombreux commentateurs estiment que, faute d’une solution globale du conflit imposée aux parties par la communauté internationale, il faudra attendre l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle génération de dirigeants politiques israéliens et palestiniens susceptibles de faire bouger les lignes pour débloquer le sac de nœuds régional. « Il faudrait des gens qui ne fonctionnent pas avec les mêmes schémas mentaux que leurs prédécesseurs et qui soient prêts à envisager un autre modèle relationnel entre les parties », rêve le politologue et historien palestinien Adel Mana. Pour l’heure, il s’agit d’un vœu pieu.