Les partis rassemblés dans la Liste arabe unie ont créé la surprise en Israël en 2015, dopant le taux de participation habituellement très bas des Palestiniens israéliens (20 à 22% de la population), devenant du même coup la troisième force du pays, avec 12 députés arabes et un juif. L’Express a interrogé son dirigeant, Ayman Odeh, de passage à Paris, sur les dossiers israélo-palestiniens les plus chauds.
Que signifie pour vous le retrait américain et israélien de l’Unesco ? Les États-Unis et Israël l’accusent d’être anti-israélienne...
Le retrait de l’Unesco n’est pas une décision des États-Unis ou d’Israël en tant qu’États. C’est celle de deux leaders, Benyamin Netanyahu et Donald Trump, dénués de vue sur le long terme. Dans les décisions qui lui sont reprochées, l’agence n’a fait que rappeler les positions des Nations Unies, qui ont toujours défendu la solution à deux États et considèrent Jérusalem-Est et Hébron comme des villes palestiniennes occupées. L’ONU elle-même a voté à l’unanimité la résolution 2334 sur la colonisation, en décembre dernier. Même les États-Unis ne s’y sont pas opposés.
Le Fatah et le Hamas ont signé il y a quelques jours un accord de réconciliation. A-t-il plus de chances d’aboutir que les précédents ?
Je suis en contact régulier avec Mahmoud Abbas, le président palestinien et Ismaël Haniyeh, le chef du Hamas. Je crois qu’ils sont déterminés à aller jusqu’au bout, cette fois. Dans la région, la contradiction principale n’est pas entre les mouvements palestiniens, mais entre ceux-ci et les responsables israéliens de l’occupation. La réconciliation était souhaitée par une très large majorité de Palestiniens. Elle a été facilitée par la défaite de l’islam politique dans la région. Désormais, la porte est ouverte pour la création d’un État palestinien sur les frontières de 1967.
Netanyahu dénonce cet accord avec le Hamas...
Parce qu’il le considère comme une organisation terroriste. Pour ma part, j’estime que le premier responsable du terrorisme chez nous, c’est l’occupation militaire israélienne. Je suis moi-même en désaccord avec le Hamas, mais il évolue. Sa charte a été amendée de manière significative.
Netanyahu demande que la réconciliation prévoie la reconnaissance de l’État d’Israël, ce qui a été fait depuis longtemps. De son côté, il fait l’impasse sur la reconnaissance mutuelle. Les Palestiniens doivent reconnaître Israël dans des frontières sûres et reconnues, mais il faut aussi qu’Israël reconnaisse la Palestine.
On assiste ces dernières années à une droitisation de la vie politique en Israël. Quelles difficultés cela pose-t-il à votre coalition ?
Cette droitisation a plusieurs explications. Ehud Barak en est en partie responsable. En déclarant qu’il "n’y a pas de partenaire pour la paix" en Palestine, il a donné raison aux partisans du tout sécuritaire, pas à ceux qui oeuvrent pour la paix. Il y a aussi une explication démographique, avec la hausse du nombre de colons -passés de 200 000 à la fin des années 1980 à près de 700 000 aujourd’hui. Parmi eux, les Haredim, les juifs religieux, ont, pour beaucoup, choisi de s’installer en Cisjordanie pour des raisons économiques. Alors ils récompensent dans les urnes la droite qui leur a permis de profiter de logements bon marché au-delà de la ligne verte.
L’arrivée de ressortissants des Pays de l’Est a également renforcé la droite. Aigris par l’expérience soviétique, ils en veulent à tout ce qui vient de la gauche. Enfin l’apparition de la menace djihadiste dans la région a aussi renforcé la demande du "tout sécuritaire".
Le projet de loi sur la définition d’Israël comme État nation du peuple juif s’inscrit-il dans cette logique ?
Oui. C’est très inquiétant. Défini comme un "État juif et démocratique" depuis 70 ans, Israël deviendrait un État "pour les juifs". Ce changement coïncide avec les 100 ans de la déclaration Balfour, le 2 novembre prochain (Londres apportait son soutien à la création d’un foyer national pour le peuple juif en Palestine, une étape-clé vers la création d’Israël). Les termes du projet de loi correspondent à l’esprit colonial de 1917, quand Arthur Balfour envisageait un État nation pour les juifs, et pour les non-juifs, des droits civiques et religieux.
Pourquoi devrions nous être définis de manière négative, en tant que non-juifs ? Nous avons une histoire, une langue, un espace géographique dans lequel nous vivons depuis des générations. Pourquoi ne pas nous considérer comme des citoyens à part entière ? Dans ce texte, il est aussi question d’ôter à l’arabe son statut de langue officielle. L’hébreu et l’arabe sont langue officielle depuis 1922 (début du mandat britannique en Palestine). Netanyahu veut-il être plus sioniste que Sharon et Ben Gourion ? La langue arabe ne représente pas une menace pour la sécurité d’Israël ! Plus inquiétant, encore, l’article 1-C établit une suprématie de la loi sur l’État-nation sur toutes les autres. N’importe quelle norme dans le futur devra être en conformité avec ce texte.
Pensez-vous qu’il sera adopté ?
Je le crains, en effet. Pour autant, Netanyahu n’est pas un danger pour les seuls Palestiniens : il s’en prend à la Cour suprême, aux ONG, aux médias. Récemment, son gouvernement a voulu encadrer l’expression politique dans les universités. L’idéologie de l’extrême droite qu’il laisse prospérer s’attache aux symboles, comme la langue ou le concept d’État-nation. De notre côté, nous voulons mettre en avant les principes, le contenu. L’intérêt de la population d’Israël, c’est la paix, la sécurité, les conditions économiques, la démocratie. C’est pour ça que nous souhaitons constituer un bloc le plus large possible pour défaire l’extrême droite en Israël.
Il suffirait que 30% de citoyens juifs se joignent aux 22% citoyens arabes pour constituer une majorité en faveur de la paix. Seuls, nous ne pouvons agir sur les questions liées à la guerre, à la ségrégation, omniprésentes en Israël. Mais sans nous, il n’y aura pas de changement sur ces sujets essentiels.