.../(de pouvoir s’adjoindre 8 400 dounams au territoire municipal [1]) et de n’en approuver que 1 700 dounams d’un territoire problématique, cette décision n’est pas territoriale. Elle constitue un rappel du fossé permanent et dangereux creusé, en Israël, entre des règles démocratiques dont on tire gloriole et la tyrannie de la majorité.
- Vue du Village
Sakhnin est une ville provinciale de 25 000 habitants qui offre des services à une large zone rurale dans l’est de la Basse Galilée. La décision de la Commission de lui adjoindre un territoire restreint et montagneux à l’Est dépourvu, pour l’essentiel, de possibilités de développement, ne tient intentionnellement pas compte de son potentiel de croissance naturelle au nord et à l’ouest.
Il ne s’agit pas d’une maladresse dans la planification ni d’une compréhension insuffisante de ce qu’est une dynamique urbaine normale, mais d’une visée délibérée. L’étranglement territorial de Sakhnin décrété par la Commission fait partie du jeu à somme nulle qui caractérise les rapports de l’Etat depuis ses origines à l’égard de la population palestinienne.
Car en Galilée, comme partout, tout ce qui ne va pas aux Arabes va aux Juifs. Ici, le grand bénéficiaire, c’est le comité local Misgav. Au sein du Misgav, la quantité de territoire municipal par habitant (juif bien sûr) atteindra, suite à cette décision, 36 fois la quantité de territoire par habitant (arabe) à Sakhnin.
La décision de la Commission ressemble aux dizaines de décisions prises au cours des dernières décennies par ce genre de forums qui, appelés à arbitrer entre autorités juives et arabes, ont systématiquement choisi de perpétuer l’étranglement territorial des Arabes. La logique reflétée ici voit dans le territoire une idée essentielle : si la lutte contre les Arabes porte sur le droit de vivre ici, alors encore un dounam plus encore un dounam est un impératif exclusif. C’est eux ou nous.
- Sakhnin
- réunion dans le village Arabe-Israélien de Sakhnin, se renseignant sur la justice environnementale et le secteur arabe.
Si ce n’est que, dans l’Israël d’aujourd’hui qui est une puissance économique et militaire régionale, il y a bien longtemps que ce n’est plus eux ou nous, mais nous et eux. Et que les deux côtés sont composés de gens qui sont des citoyens. Pour les citoyens arabes dont le Premier Ministre, Ariel Sharon, a dit seulement cette semaine que l’égalité à laquelle ils ont droit était une condition fondamentale à la normalisation et à la prospérité d’Israël tout entier, le problème des terres a été et continue d’être la plaie béante de leur existence ici. La majorité des familles arabes en Israël ont perdu leurs biens du jour au lendemain en 1950, lorsque la Loi sur les biens abandonnés a décrété que les biens des réfugiés, y compris les réfugiés de l’intérieur, devenaient propriété de l’Etat. Une autre législation a défini les territoires ouverts entre les localités comme terres d’Etat et a, en réalité, volé la plus grande partie des réserves territoriales des localités arabes restées sur place après 1948.
En 1949, les citoyens arabes d’Israël représentaient environ 18% de la population du pays. Le nombre des Arabes a depuis lors été multiplié par six, au même rythme que la croissance de la population juive. Mais dans le même temps, la quantité de territoire disponible pour les localités arabes a baissé de 50%. Une communauté comptant quelque 17% de la population du pays (sans compter les Arabes de Jérusalem-Est) ne détient actuellement que 3,5% du territoire du pays et les localités arabes seulement 2,5% des territoires municipaux. Depuis 1948, Israël a fondé 700 nouvelles localités juives. Les seules nouvelles localités arabes sont les villes bédouines du Néguev, dont la finalité n’est d’ailleurs pas d’accorder un espace de vie mais tout au contraire de faire renoncer les Bédouins qui y résident à leur propriété sur des territoires bien plus vastes dans l’étendue du Néguev. Il en est de même des localités non reconnues dont certaines sont très anciennes : l’Etat cherche à les étouffer, à les évacuer et à hériter de leurs territoires.
Celui qui, avec cette image en arrière-plan, voudrait s’accrocher à ce principe territorial tenace et ignorer aveuglément les principes de citoyenneté et d’égalité, devra vivre avec sa conscience. Celui qui tient la morale et la conscience pour un luxe ne convenant pas à quelqu’un vivant dans un voisinage violent comme le Proche Orient, est invité à méditer un peu sur Sakhnin, sur la politique, la colère, les mouvement de protestation. C’est dans la vallée de Sakhnin qu’a débuté la première Journée de la Terre, en mars 1976. C’est à Sakhnin, qu’en mars 2000, une vieille dame est décédée au cours de la manifestation de la Journée de la Terre, peut-être pour avoir inhalé des gaz lacrymogènes lancés par la police. L’incident avait provoqué les grandes manifestations étudiantes dans les universités qui ont été dans une large mesure l’accord d’ouverture des événements d’octobre, six mois plus tard.
La question des terres, à Sakhnin et en d’autres endroits, est une question explosive et dangereuse comme nulle autre. Quand une misère réelle se combine à des sentiments évidents d’injustice délibérée, tout peut arriver. A la suite des événements d’octobre 2000, la police a appris un certain nombre de choses au plan tactique et elle s’abstient d’attiser les flammes comme elle le faisait dans le passé. Des décisions comme celle prise par la Commission des Limites Territoriales éveillent un doute obsédant sur le fait de savoir si et jusqu’à quel point la majorité juive a appris quelque chose au niveau de la structure d’une citoyenneté et de sa signification ou encore sur le prix à payer pour la négation de droits fondamentaux des citoyens arabes.