Il avait déclamé son « amour des colonies » aux quarante familles juives évacuées de la colonie sauvage d’Amona en Cisjordanie, qu’il avait promis de reloger. Trois mois plus tard, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a tenu parole. Et de quelle manière ! Pour la première fois depuis la conclusion des accords d’Oslo en 1993, Israël a annoncé la création d’une nouvelle colonie, au cœur de la Cisjordanie occupée. Baptisée Geulat Tzion, l’implantation doit être construite dans le secteur de Shilo, une colonie située au nord de Ramallah, en Cisjordanie. Or, d’après l’ONG israélienne la Paix maintenant, cette nouvelle construction, située au cœur du territoire palestinien, va « fragmenter la Cisjordanie en assurant une continuité géographique d’une série de colonies avec pour objectif d’empêcher la création d’un État palestinien viable ».
Jusqu’ici, les 14 017 logements construits depuis l’arrivée au pouvoir de Benyamin Netanyahou en 2009 l’avaient été dans des colonies de Cisjordanie existantes, même si, comme le rappelle Le Monde , des dizaines de « colonies sauvages » (créées sans autorisation, NDLR) ont été régularisées. Selon un rapport de l’Office central de statistiques israélien publié le 22 mars, ces constructions ont connu une nette accélération en 2016, avec 2 630 chantiers qui ont été lancés, soit 40 % de plus qu’en 2015. Toutefois, ces données ne prennent pas en compte la colonisation israélienne à Jérusalem-Est, où vivent plus de 200 000 Israéliens. Depuis la guerre des Six Jours de 1967, Israël occupe illégalement Jérusalem-Est (annexé en 1980) et la Cisjordanie, où elle a construit 131 colonies, rassemblant aujourd’hui quelque 630 000 colons.
Illégal selon le droit international... et israélien
Exaspéré par cette accélération des constructions, illégales selon le droit international, le Conseil de sécurité a adopté en décembre 2016, grâce à l’abstention de l’administration Obama, une résolution appelant Israël à « cesser immédiatement et complètement toute activité de colonisation en territoire palestinien occupé, dont Jérusalem-Est », qui « met en péril la viabilité de la solution à deux États ». Problème : depuis l’adoption de ce texte non contraignant, le locataire de la Maison-Blanche a changé. Le nouveau président américain Donald Trump a rompu avec la position officielle des États-Unis au Proche-Orient, à savoir « deux États vivant en paix et en sécurité ». Et le message semble être passé à Tel-Aviv.
Rien qu’au cours du mois de janvier, Benyamin Netanyahou a annoncé cinq extensions de colonies portant sur plus de 6 000 logements en Cisjordanie et à Jérusalem-Est occupées. Et s’il a consenti à démanteler début février l’« avant-poste » d’Amona, le Premier ministre a soutenu pendant ce temps un projet de loi – adopté le 6 février par la Knesset –, permettant la régularisation de 53 « colonies sauvages » en Cisjordanie, qui portent sur au moins 800 hectares de terres palestiniennes. Illégal, cette fois selon le droit israélien, ce texte, s’il est appliqué, anéantirait définitivement sur le terrain tout espoir d’État palestinien.
L’ONU impuissante
Dans son premier rapport au Conseil de sécurité depuis l’adoption de la résolution condamnant la colonisation israélienne, l’émissaire de l’ONU pour le Proche-Orient Nickolay Mladenov a regretté que l’État hébreu n’ait pris « aucune mesure » pour se conformer au texte. Au contraire, l’expert a constaté une « augmentation » des annonces de colonisation, qualifiées de « profondément inquiétantes ». Si la nouvelle administration américaine a fini par appeler Israël à la retenue, elle n’a pour l’heure pas trouvé de terrain d’entente avec Tel-Aviv.
Après quatre jours de discussions infructueuses entre les deux parties, la délégation américaine a réitéré le 24 mars les « inquiétudes (de Donald Trump) sur la colonisation ». De leur côté, les Israéliens ont rappelé qu’ils souhaitaient adopter une « politique qui prenne en compte ces inquiétudes ». Problème : le nouveau chef de la délégation américaine, Jason Greenblatt, est considéré comme un défenseur notoire de la colonisation israélienne. En visite le 16 mars en Israël, l’émissaire, qui n’a pas prononcé une seule fois l’expression « solutions à deux États », a poursuivi la politique de rupture de son président en rencontrant pour la première fois les représentants du Conseil Yesha, la principale organisation de colons.
« Tout droit vers l’apartheid » (ONG israélienne)
Les nationalistes religieux sont en effet omniprésents dans le gouvernement de Benyamin Netanyahou, le plus à droite de l’histoire d’Israël. Poussé à l’intransigeance par ses ministres notamment sur la colonisation, le Premier ministre doit multiplier les gages s’il ne veut pas que sa coalition, qui ne possède qu’une majorité de six sièges à la Knesset, éclate. L’annonce de la création de la nouvelle colonie de Geulat Tzion a d’ailleurs été saluée par le ministre de l’Agriculture Uri Ariel (membre du parti le Foyer juif), qui a déclaré sur la radio publique israélienne que cette décision allait « permettre le développement de la Judée-Samarie », le nom biblique de la Cisjordanie. À en croire le quotidien Haaretz , le Premier ministre israélien aurait assuré à ses ministres qu’il ne construirait pas d’autre colonie.
Néanmoins, son gouvernement a profité de l’occasion pour annoncer qu’il avait approuvé la mise en vente de 2 000 logements dans les colonies de Cisjordanie, dont l’extension avait été annoncée en janvier. Israël a également annoncé qu’il allait prendre possession de 90 hectares de terres palestiniennes, permettant de légaliser, a posteriori, trois « colonies sauvages ».
« Monsieur Netanyahou est l’otage des colons et place sa survie politique au-dessus des intérêts de l’État d’Israël », estime sur son site l’ONG La Paix maintenant. « En cédant aux pressions des colons, Netanyahou conduit Israéliens et Palestiniens tout droit à une réalité à un seul État, synonyme d’apartheid. » Ce mot, lourd de sens, a déjà été utilisé le 15 mars dans un rapport de la Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale (Cesao), un des cinq organes régionaux de l’ONU, basé à Beyrouth et composé de dix-huit pays arabes.
Rédigé par les professeurs Richard Falk, enseignant à l’université de Princeton et ex-rapporteur de l’ONU sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens, et Virginia Tilley, enseignante à l’université de l’Illinois et spécialiste de l’Afrique du Sud, il affirme notamment qu’« Israël a mis en place un régime d’apartheid qui institutionnalise de façon systématique l’oppression raciale et la domination du peuple palestinien dans sa totalité ». La publication le 15 mars du rapport, qui appelle les Nations unies à soutenir la campagne internationale de Boycott de l’État hébreu (BDS) a provoqué l’ire d’Israël et des États-Unis, et le nouveau secrétaire général de l’ONU, le portugais Antonio Guterres, s’en est désolidarisé. Dénonçant les « pressions incessantes » subies par le nouveau patron des Nations unies, la Jordanienne Rima Khalaf, secrétaire générale adjointe de l’ONU et chef de la Cesao, a retiré le rapport de son site avant de démissionner de son poste.