Regards.fr. Dans votre dernier long-métrage Omar vous abordez un sujet tabou dans la culture palestinienne : la collaboration. Comment avez-vous eu les informations nécessaires à l’écriture de votre scénario ?
Hany Abu-Assad. Les histoires sur ce sujet ne manquent pas en Palestine. L’une d’elle est personnelle. Lorsque je tournais Paradise Now à Naplouse, l’armée d’occupation arrivait systématiquement sur les différents lieux de tournage. Cela a pris une telle proportion que mon équipe et moi-même commencions à croire qu’il y avait un collaborateur parmi nous, donnant ces informations aux Israéliens. Nous sommes devenus vraiment paranoïaques. Je me suis ensuite inspiré d’histoires lues ou entendues. La scène finale par exemple est tirée d’une histoire vraie. Je voulais comprendre comment des innocents peuvent devenir si coupables. Ce qui m’intéressait également c’était d’étudier comment l’être humain, lorsqu’il perd confiance, gère sa paranoïa. La meilleure manière de rendre cette suspicion compréhensible, c’était de raconter une histoire d’amour.
Le film vient d’être présenté en Palestine. Quels retours avez-vous eus du public palestinien ?
Ils sont majoritairement bons. Les gens trouvent le film fidèle à la réalité et il leur a donné de l’espoir. Le cinéma peut avoir beaucoup d’influence, souvent plus négative que positive. Les films hollywoodiens par exemple entretiennent le mythe du « rêve américain », et donc laisse à penser que le système capitaliste reste le modèle à suivre. Le cinéma alternatif, celui qui essaie d’ouvrir les esprits et les yeux du public a moins de portée, car il n’atteint que rarement une audience massive. Il est pourtant celui qui sème les graines du changement. Dans le cas d’Omar, mieux comprendre la collaboration ne rend pas celle-ci plus acceptable. Mais une meilleure compréhension permet de la combattre de manière plus efficace. J’espère avoir contribué à cela.
Omar et Paradise Now ont en commun de dresser le portrait de jeunes hommes impliqués dans la lutte armée. Sur le terrain, pourtant, ces actions sont rares.
La majorité des Palestiniens ont une conception non violente de la résistance, c’est vrai, surtout si on compare cela avec la violence qu’ils subissent au quotidien. Pour la plupart, résister consiste à survivre et à rester sur leurs terres. Dans mes films je m’intéresse à des personnes d’exception évoluant dans une situation anormale. Ceux qui s’engagent dans la lutte armée sont très vulnérables. Rien ne les protège, alors que les actions de ce type contre des militaires d’occupation sont légales au regard du droit international. Cependant, l’occupation de la Palestine n’étant pas classique, puisque elle nie la légitimité des Palestiniens à vivre sur leurs terres, il y aura toujours ponctuellement des insurrections populaires (« intifada »).
À ma connaissance, vous êtes un des rares réalisateurs palestiniens de 1948 à situer vos films en Cisjordanie. Est-ce un choix ?
L’occupation y est plus évidente à visualiser. À Nazareth ou Haïfa, nous vivons également sous occupation, dans la mesure où nous n’avons pas les mêmes droits que les autres citoyens. Mais cela n’est pas visible de prime abord. Cela dit, le film ne précise pas où se situe l’action. Nous avons tourné à Nazareth, Jérusalem, Naplouse et dans le camp de réfugiés d’Al Farah. Je voulais créer une Palestine fictive permettant de donner corps à une réalité : le mur ne sépare pas Israël de la Cisjordanie, il sépare les Palestiniens entre eux.