Ecrasés depuis plus de dix ans par le blocus imposé par Israël, les habitants de Gaza sont désormais également pris en otage de la lutte fratricide que se livrent l’Autorité palestinienne (AP) et le Hamas (lire ci-dessous). L’enclave fait aujourd’hui face à une catastrophe humanitaire sans précédent.
Alors que la bande de Gaza ne vit plus qu’avec deux à trois heures de courant par jour depuis le mois d’avril, elle n’est aujourd’hui plus approvisionnée en médicaments. Le système de santé est à bout de souffle. Facteur aggravant : de moins en moins de malades sont autorisés à quitter le territoire pour se faire soigner en Cisjordanie ou en Israël. Le Courrier a interviewé par téléphone Ashraf Abu Mahadi, directeur du Département de coopération internationale au Ministère de la santé à Gaza.
Dans quelle mesure le système de santé est-il affecté par la crise de l’électricité ?
Ashraf Abu Mahadi : Tous les hôpitaux et infrastructures de santé publics sont fortement affectés par la situation actuelle. Nous compensons la pénurie grâce à des générateurs, mais là encore il nous faut trouver du fuel, et il faut pouvoir l’acheter à un prix raisonnable. De surcroît, la plupart de nos générateurs fonctionnent depuis quinze ans à un rythme effréné ; ils sont à bout de souffle.
Nous avons donc mis en place un certain nombre de mesures. La plupart des services ne fonctionnent maintenant que de 8h à 14h, horaires pendant lesquels nous recevons quelques heures d’électricité de la station centrale, complétée par nos générateurs de grosse capacité. Les machines de diagnostique, types scanners ou IRM, ainsi que les machines de stérilisation, très gourmandes en électricité, ne peuvent être utilisées que pendant ce créneau. Les patients non urgents sont mis en attente. En dehors de ces horaires, nous sommes en service minimum et utilisons nos générateurs de petite capacité.
A cela s’ajoute une pénurie de médicaments…
La situation est dramatique. Selon le dernier rapport de la Direction générale de la pharmacie publié fin juillet, 40% des médicaments essentiels ne sont plus disponibles. Deux cent quatre articles sont totalement épuisés depuis juillet. Et environ 34% du matériel médical jetable est manquant. C’est la première fois en dix ans que nous atteignons un tel niveau. La quasi-totalité des services sont affectés : les services de santé primaire, l’oncologie, la neurologie, les services pédiatriques, les services d’hémodialyse, les unités de soins intensifs, les services d’urgences, etc.
Certains médicaments, indisponibles dans le service public, se trouvent sur le marché ; les patients doivent alors les acheter eux-mêmes. Mais les prix se sont envolés et la plupart n’en ont pas les moyens. Enfin, de nombreux autres médicaments se trouvent aujourd’hui en quantités très limitées et seront prochainement en rupture de stock. Nous nous attendons donc à une aggravation de la situation si rien n’est fait.
De ce fait, de plus en plus de malades doivent être transférés hors de Gaza pour recevoir un traitement médical.
Combien de patients attendent d’être transférés ?
Habituellement, environ 2000 Gazaouis doivent être envoyés chaque mois à Jérusalem-Est, en Cisjordanie, en Israël, en Jordanie pour être soignés. En moyenne, 50% des demandes de sortie de territoire sont refusées par les Israéliens. Mais depuis le mois de mai, nous rencontrons un nouvel obstacle : l’Autorité palestinienne refuse désormais de valider ces demandes et de les transférer aux Israéliens. Par exemple, en juin, ils n’ont validé que 358 demandes sur 1715 ! Vingt-huit personnes sont mortes ces six derniers mois car elles n’ont pas eu accès aux soins nécessaires.
Comment répondre à cette crise ?
A ce jour, l’AP refuse de communiquer avec nous. Nous sommes donc en discussion permanente avec les agences de l’ONU et les ONG internationales. Nous comptons uniquement sur l’aide extérieure, mais elle ne suffit pas à couvrir tous les besoins du Ministère de la santé. Rien que pour les médicaments et les produits jetables, il nous faut plus de 41 millions de dollars par an. Pour l’électricité, nous avons besoin de 60 000 litres de carburant, soit un demi-million de dollars par mois si nous l’achetons via l’UNRWA, un million de dollars si nous l’achetons sur le marché local.
Pour l’instant nous avons peu de solutions, mais nous espérons sincèrement que le plaidoyer et la couverture médiatique aideront à changer la situation en faisant pression sur les gouvernements.