Le plan israélien de désengagement de la bande de Gaza stipule qu’au terme de son application, « il ne sera plus possible de prétendre que la Bande est un territoire occupé. » [1] Quelle est la stratégie qui sous-tend ce plan ?
Israël cherche à mettre fin à l’occupation ostensible de Gaza afin de se débarrasser de toutes ses obligations légales de « puissance occupante » tout en maintenant un contrôle militaire effectif de la bande de Gaza et de ses habitants. De plus il espère obtenir le soutien international pour garder et étendre ses colonies illégales en Cisjordanie occupée en échange de son retrait de Gaza. Le succès de cette stratégie est apparu le 14 avril 2004 quand Bush a approuvé le plan de Sharon et déclaré que « les centres de population israéliens existants » dans les territoires palestiniens occupés seraient rattachés à Israël dans tout accord sur le statut final [2].
Enfin, selon Dov Weissglass, le but est de geler définitivement le processus de paix. Ce n’est pas nouveau : pendant la période intérimaire d’Oslo, Israël s’était déjà extrait des centres urbains palestiniens tout en continuant à contrôler toutes les ressources palestiniennes. Israël maintenait un contrôle militaire effectif sur les zones évacuées (A) et était donc légalement tenu à ses devoirs de puissance occupante, mais des conseillers israéliens arguaient que les zones A n’étaient plus occupées et se dédouanaient de toute responsabilité légale [3]. Le territoire occupé devenant territoire « contesté », le conflit se muait en une dispute entre deux parties à égalité et n’opposait plus une puissance occupante et une population occupée.
Malgré tout, après le désengagement de Gaza, Israël restera une puissance occupante au regard du droit international, et donc tenu à ses obligations de puissance occupante selon le droit coutumier international et la Quatrième Convention de Genève.
I. Israël occupe la bande de Gaza
A. Israël occupe les territoires palestiniens
Le terme « occupation » décrit le contrôle d’un territoire et d’une population par l’armée d’une puissance étrangère [4]. « Un territoire est occupé quand il est réellement placé sous l’autorité d’une armée hostile. » Le droit international oblige une telle puissance à respecter des critères de base pour protéger la population et le territoire qu’elle contrôle (La Haye, 1907) [5].
En 1967 l’armée israélienne a pris le contrôle de la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, et de Gaza. Depuis cette date, Israël a maintenu son emprise et occupe donc en termes de droit les territoires palestiniens de manière belliqueuse.
B. La communauté internationale reconnaît Israël comme puissance occupante des territoires
palestiniens
Depuis 1967 la communauté internationale, incluant les Etats-Unis [6], a systématiquement réaffirmé que les territoires palestiniens, y compris Jérusalem- Est, sont « occupés » en termes de droit [7].
C. La Cour suprême israélienne reconnaît Israël comme la puissance occupante des territoires palestiniens
La cour parle régulièrement des territoires palestiniens comme étant occupés. Ainsi, en 1979, « Le statut (d’Israël) est celui d’une puissance occupante » [8], ou, en 2002, « La Cisjordanie et Gaza sont soumises à “une occupation belliqueuse par l’Etat d’Israël”. » [9]. En juin 2004, à propos de confiscations de terres pour ériger le Mur, les « territoires sont occupés au regard du droit international » [10] et « depuis 1967 Israël maintient une occupation belliqueuse » [11]. En fait les tribunaux israéliens reconnaissent régulièrement que l’armée israélienne est la puissance occupante des territoires palestiniens.
D. La Cour internationale de Justice reconnaît Israël comme puissance occupante
En juillet 2004 la CIJ affirme que « les territoires occupés par Israël sont depuis 37 ans soumis à sa juridiction territoriale en tant que puissance occupante. » [12]
E. Israël reste puissance occupante au regard des accords d’Oslo
Pendant la période d’Oslo (1993-2000) Israël a maintenu un contrôle militaire sur les territoires palestiniens, a continué à confisquer des terres, à construire des routes de contournement et a doublé le nombre de ses colonies illégales. Il a rendu les déplacements des Palestiniens plus difficiles et mené des opérations militaires dans les zones qu’il avait théoriquement évacuées.
Le Mur israélien à l’intérieur de la Cisjordanie est un autre exemple du contrôle israélien sur les Palestiniens et leur terre.
De plus les accord d’Oslo stipulent que la Cisjordanie et Gaza (considérés comme une unité territoriale) restent sous occupation militaire israélienne jusqu’à la conclusion d’un traité de paix définitif [13]
II. La bande de Gaza restera un territoire occupé même après l’application du plan de retrait
Selon le plan de « désengagement », les Gazaouis resteront soumis au contrôle effectif de l’armée israélienne qui gardera la capacité et le droit d’entrer dans la bande de Gaza à volonté. Israël gardera le contrôle de l’espace aérien et des frontières maritimes et terrestres et décidera si Gaza peut ou non ouvrir un port et un aéroport. Il contrôlera tous les passages de frontières et continuera son activité militaire au large de Gaza. Ainsi tous les biens et les personnes entrant dans Gaza ou en sortant seront sous contrôle israélien. Enfin, Israël empêchera Gaza d’ouvrir des relations internationales.
A. Israël restera la puissance occupante tant qu’il gardera la capacité d’y exercer son autorité
Quand une occupation se termine-t-elle ? Selon les Règlements de La Haye (à propos du cas de l’occupation allemande de la Grèce et de la Yougoslavie), « la preuve de l’application d’un régime juridique d’occupation n’est pas de savoir si la puissance occupante n’exerce pas un contrôle effectif sur le territoire, mais si elle a la capacité d’exercer ce contrôle ».
B. En tant que puissance occupante, Israël doit protéger les Palestiniens et leurs terres
Israël est tenu à ses obligations par les Règlements de La Haye, la Quatrième Convention de Genève et le droit coutumier international : une puissance occupante doit maintenir le statu quo dans le territoire occupé, ne doit jamais annexer de territoire unilatéralement ni transférer sa population dans le territoire occupé et ses activités doivent se faire dans l’intérêt de la population occupée [14].
III. La stratégie qui sous-tend le plan de désengagement
A. La motivation démographique
En 2020 la population sur le territoire d’Israël/ Palestine sera composée majoritairement de Palestiniens musulmans et chrétiens [15]. Pour désamorcer la « bombe à retardement » démographique, une seule solution : « abandonner Gaza et ses 1,3 million d’Arabes, afin de gagner 50 ans supplémentaires » pour Israël [16]. Tout en confisquant illégalement autant de terres palestiniennes que possible.
B. Consolider les acquis en Cisjordanie contre des « concessions » à Gaza
Pendant que le monde discute du plan de retrait, Israël construit le Mur en Cisjordanie occupée et y étend ses colonies illégales. Le 14 avril 2004, Bush a entériné le projet israélien de maintenir ces colonies dans tout accord sur le statut final. Il s’est aussi opposé au droit des réfugiés palestiniens, garanti par le droit international, de retourner dans leurs foyers et propriétés en Israël.
Conclusion : des solutions constructives
Israël va conserver le contrôle total de la bande de Gaza, il continuera à l’occuper même après le « désengagement » et sera donc contraint à ses obligations par le droit international. Le respect du droit international rapproche les Palestiniens de leur libération et la région de la stabilité. En offrant des moyens non-violents pour amener à des résultats justes, le droit international permet de réduire au silence les extrémistes tout en rapprochant les deux parties d’une paix négociée.
De plus, le respect du droit international affirme la crédibilité des nations qui l’invoquent fréquemment comme base légitime de leurs propres actions.
Mais le plan israélien de désengagement ne représente pas un effort de bonne foi vers la paix. L’apparente acceptation de certains critères internationaux à Gaza vise à empêcher les critiques contre les violations massives du droit en Cisjordanie. Israël fait ainsi en sorte que le conflit se poursuive et même s’intensifie.
Par le contrôle total sur Gaza, Israël peut y créer une situation humanitaire encore plus catastrophique. En faisant de Gaza l’Etat de Palestine, Israël peut éloigner encore plus les Palestiniens de la liberté que leur garantit le droit international.