L’actuel port de Gaza, le 18 août.
Face au terrain vague qui s’étend sur 120 mètres le long du littoral de Cheikh Ejline, au sud de Gaza, Ziad Obaid n’a aucun mal à imaginer la digue qui s’élance vers la Méditerranée et les cargos, battant pavillon étranger, amarrés dans le bassin en eau profonde. Le vice-directeur des autorités maritimes de l’Autorité palestinienne connaît chaque détail des plans du port commercial, promis aux Palestiniens depuis les accords d’Oslo de 1993.
Depuis qu’il est entré dans ce service du ministère des transports, alors fraîchement diplômé en 1997, l’ingénieur de 43 ans a suivi pas à pas le projet devenu, au gré des accords non tenus, celui de toute une vie. Avec un optimisme mesuré, il a suivi les négociations pour un accord de cessez-le-feu permanent, entamées au Caire début août, où la délégation palestinienne a une nouvelle fois fait du port, symbole du désenclavement de la bande de Gaza, une exigence. La reprise des hostilités entre Israël et les factions de l’enclave, mardi 19 août, a éloigné la perspective d’un accord et davantage encore celle d’un port.
UNE PREMIÈRE PHASE LANCÉE EN 2000
D’autres avant lui avaient déjà rêvé d’offrir à un futur Etat palestinien ce débouché maritime et de redonner à Gaza son statut de grand port de la Méditerranée. « Quand Yasser Arafat est arrivé à Gaza en 1994, il a amené avec lui des études de projet pour un port », raconte M. Obaid. En 2000, le projet a été à deux doigts de prendre vie. « Un accord avait été trouvé avec Israël sur ce site, près de l’ancienne colonie de Netzarim », explique-t-il. L’Autorité palestinienne a racheté le terrain de 2 km2 à leurs propriétaires. La France était très impliquée dans le projet, et Lionel Jospin, alors premier ministre, s’était rendu à Gaza pour signer un chèque de 100 millions de francs (15 millions d’euros) au président Arafat. En avril 2000, la première des trois phases de développement du projet, également financé par les Pays-Bas, la Banque d’investissement européenne et l’Autorité palestinienne, était lancée.
Un contrat de 70 millions d’euros est signé avec la coentreprise franco-néerlandaise EGDG 2000 pour construire, en deux ans, un bassin de douze mètres et une digue de 730 mètres. Installés dans des locaux flambant neufs, ses employés n’ont pu travailler que trois mois avant que n’éclate la seconde Intifada, en octobre 2000. « Les tanks et les bulldozers israéliens ont envahi le site et tout détruit. L’entreprise a invoqué un cas de “force majeure” et évacué le personnel. L’Autorité palestinienne a dû lui verser environ 4 millions d’euros de compensation », se souvient M. Obaid. Le projet a été définitivement remisé dans les tiroirs avec la prise de pouvoir du Hamas dans la bande de Gaza en juin 2007 et le bouclage total de l’enclave par Israël.
Aujourd’hui, Ziad Obaid supervise vingt ingénieurs prêts à relancer « en un mois » le projet, une fois donné « le feu vert politique ». « C’est une priorité pour l’Autorité, insiste M. Obaid. Ce serait une pierre angulaire de notre économie et la seule véritable fenêtre de transit des biens et des personnes en cas de maintien du siège par Israël et l’Egypte. » Au Caire, Israël a insisté pour que la question ne soit abordée que dans une seconde phase de négociations, la conditionnant à la démilitarisation de la bande de Gaza.
Négociations entre mareyeurs et pêcheurs, le 18 août à Gaza.
« IL NOUS FAUT LA GARANTIE QUE LE PORT NE SERA PAS DÉTRUIT »
M. Obaid balaie l’argument israélien selon lequel le port pourrait servir au Hamas à se réarmer. Dans les différents projets évoqués, des garanties sont offertes pour une supervision internationale du transit des biens et personnes. Le dernier, formulé par la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, suggère la mise en place d’un contrôle préalable, à Chypre ou sur un port flottant, avec un corridor sécurisé vers Gaza.
Les donateurs internationaux se sont déjà engagés à financer ce projet dont la première phase est désormais estimée à 100 millions d’euros. « Mais il nous faut la garantie que le port ne sera pas détruit », précise l’ingénieur, qui évoque les 110 millions d’euros engloutis dans l’aéroport de Rafah, qui n’aura fonctionné que trois ans avant d’être détruit par Israël en 2001.
Son regard s’anime à l’évocation des potentialités d’un port pour les 1,8 million d’habitants de Gaza. « On n’aurait plus toutes ces histoires dramatiques de gens empêchés d’aller à l’étranger pour étudier ou se faire soigner parce qu’elles n’ont jamais reçu de permis de passage », dit-il. Sa construction offrirait 5 000 à 8 000 emplois temporaires et son fonctionnement, 2 000 emplois permanents et des milliers d’autres indirects. Les économies seraient colossales pour les chefs d’entreprise de la bande de Gaza, qui importent sept millions de tonnes de marchandises par an via le port israélien d’Ashdod.
« Ça me prendrait une demi-journée pour sortir ma marchandise. Aujourd’hui, il me faut entre trois et dix jours et je paie plus de 20 % de taxes, sans parler des frais de stockage, de transport et de transvasement des marchandises au point de passage de Kerem Shalom », explique Mohammed Talabani, chef d’une entreprise alimentaire. Couplé à la levée du siège de Gaza et à l’ouverture d’un corridor sécurisé entre l’enclave et la Cisjordanie, le développement du port pourrait permettre à ces entrepreneurs de renouer avec leur marché naturel en Cisjordanie et en Israël, qui composait 85 % de leurs débouchés avant 2006, et même, suggère M. Obaid, avec la Jordanie et l’Irak.