En équilibre sur un pied, Mohtasem el-Mazloum tente de s’engouffrer dans un 4 x 4 tout en essayant de ne pas plier sa jambe droite, entourée de bandages. Entré le 14 mai dernier dans l’hôpital al-Shefa du nord de Gaza, cet étudiant de 20 ans a dû sortir ce jeudi matin, faute de place au bloc opératoire. Son genou perforé par une balle doit pourtant être totalement reconstruit. « Je n’ai reçu que les soins de première urgence et je prends des antibiotiques en attendant », explique le jeune homme. Les médecins lui ont dit de revenir la semaine prochaine, en espérant avoir un créneau pour lui remplacer ses articulations détruites.
Quatre jours après la journée la plus meurtrière des marches du Retour, déclenchées le 30 mars dernier, le plus grand hôpital de Gaza est toujours submergé. Et pour cause, au moment où les États-Unis célébraient l’ouverture de leur ambassade à Jérusalem, l’équipe médicale d’al-Shefa a vu affluer 500 blessés d’un coup. En théorie, elle ne peut en accueillir que 25.
Dilemmes
« S’il en arrive ne serait-ce que quelques dizaines demain, on est morts ! On n’a plus aucun médicament en stock », se lamente Ayman Sahabani, directeur des urgences d’al-Shefa. Un appel à manifester est lancé après la prière du vendredi midi. Ce jeudi, plus de 50 blessés ont été priés de libérer leurs lits. « Ils vont essayer d’être transférés dans un hôpital étranger, mais peut-être que trois ou quatre seulement y arriveront », estime Ayman Sahabani. Pour les jeunes hommes de moins de 40 ans, il est quasiment impossible d’obtenir une permission de sortie auprès des autorités israéliennes. Or, les plus téméraires, qui viennent narguer les snipers israéliens postés de l’autre côté de la clôture de sécurité, atteignent à peine la trentaine. Depuis le début des marches du Retour le 30 mars dernier, la plupart des blessés restent donc à Gaza.
Mais la décision de ne pas garder des blessés à peine rétablis crée des dilemmes. Comment être sûr qu’ils ne vont pas déclencher des infections et revenir aux urgences encore plus mal en point ? L’hôpital est à court d’antibiotiques et tous n’ont pas les moyens de s’en acheter en pharmacie. Plusieurs sont déjà revenus avec des plaies purulentes ou des septicémies. Près d’une trentaine ont dû subir des amputations, selon Ayman al-Djaroucha, vice-coordinateur de Médecins sans frontière à Gaza. Pour venir en aide aux 14 hôpitaux débordés de Gaza, l’ONG MSF a ouvert une quatrième clinique et quadruplé le nombre de médecins sur place. Pourtant, cela ne semble pas suffisant. « Nous travaillons jour et nuit », confirme Ayman al-Djaroucha.
À la suite de l’indignation internationale provoquée par la mort d’une soixantaine de Palestiniens le 14 mai, le gouvernement israélien a voulu envoyer 53 tonnes de matériel médical à Gaza. Une opération filmée et diffusée sur le compte Twitter de l’armée israélienne.
Israel is currently working to send humanitarian aid to Gaza. Six trucks with humanitarian aid packages will be sent through Kerem Shalom Crossing, in coordination with COGAT pic.twitter.com/TeWVvMEFPU
— IDF (@IDFSpokesperson) 15 mai 2018
En réalité, le convoi n’est jamais arrivé. Le Hamas a bloqué la cargaison. « Ils nous tirent dessus et nous envoient des pansements après. Cette aide est inacceptable », estime une Palestinienne.
Pas d’aide du Hamas
D’après plusieurs patients et leurs familles rencontrés à al-Shefa, le Hamas ne semble pas non plus venir en aide aux blessés. Dans la population israélienne, l’idée que l’organisation islamiste offre de l’argent à ceux qui prennent le plus de balles est pourtant largement répandue. Selon le porte-parole de l’armée israélienne, Ronen Manelis, chaque famille allant manifester se serait même vu proposer 100 dollars par le Hamas.
Abdelrahim Ashour a reçu deux balles dans la jambe et une dans le bras en décembre dernier lors des premières manifestations organisées après l’annonce du transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem. Le tibia maintenu par des broches métalliques, cet ouvrier du bâtiment est depuis au chômage, mais n’a reçu aucune pension d’invalidité.
En théorie, l’autorité palestinienne aurait dû lui verser une aide mensuelle. Avant que le Fatah n’engage un bras de fer avec le Hamas et ne lui coupe les vivres, les blessés mariés recevaient 200 euros et les amputés entre 350 à 420 euros, nous explique Emad Hassan, un jeune qui a perdu une jambe lors de la guerre de 2014. La coalition de partis, qui organise la grande marche du Retour et à laquelle participe le Hamas, a commencé à prendre le relais. Cinq personnes blessées le 14 mai dernier ont reçu une aide de 200 dollars, assure Amr Abu el Qomsan, porte-parole et coordinateur des unités d’action. Mais ce mouvement, créé il y a seulement un mois et demi, tient à s’assurer que les blessés l’ont été réellement lors des manifestations organisées pour réclamer les terres conquises par Israël en 1948. Un processus long dont n’a pas encore bénéficié Abdelrahim. Il doit se débrouiller seul pour trouver les 80 euros que coûte son traitement chaque mois. « Un homme du Hamas m’a croisé dans la rue avec mes béquilles et m’a lancé que j’allais pouvoir mendier et gagner de l’argent comme ça. »