« Lorsque la blessure se calme, viennent les vraies douleurs. » Ce proverbe arabe traduit bien la profonde désillusion des habitants de Gaza, six jours après l’entrée en vigueur d’un cessez-le-feu illimité, mardi 26 août. L’arrêt des combats, présenté comme une « victoire » par le Hamas, au terme de cinquante et un jours de conflit contre Israël, n’a pour l’instant apporté aucun changement majeur au quotidien des Gazaouis. Le blocus n’a pas été allégé et le passage des frontières reste largement inaccessible aux habitants de l’étroite enclave.
- Le 31 août, dans les décombres du quartier de Chadjaiya (est de la ville de Gaza), bombardé par les Israéliens. | SUHAIB SALEM/Reuters
Appuyé contre la grille du poste-frontière de Rafah, Abed laisse éclater son exaspération : « Nous n’avons vraiment rien gagné. » En costume, le professeur transporte un attaché-case et une élégante valise bleue. Depuis un an, c’est la quatrième fois qu’il essaie de franchir la frontière entre la bande de Gaza et l’Egypte, pour rejoindre l’Allemagne : « J’ai un visa égyptien valide. Je ne demande pas l’impossible. Je pensais que cette fois-ci serait la bonne. On nous a dit que le cessez-le-feu allait permettre l’ouverture des points de passage, au moins celui avec l’Egypte. En réalité, nous sommes revenus au point de départ. »
Assis dans la petite cafétéria à quelques mètres du poste-frontière, Rami, 30 ans, fait ses comptes, dépité : « C’est le retour du business as usual, je vais devoir à nouveau graisser la patte des Egyptiens pour passer. » Il habite à l’est de Khan Younès, qui fut le théâtre de durs combats. « J’espérais un effort des Egyptiens, après le lourd tribut que nous avons payé. » Les cinquante et un jours de conflit ont causé la mort de plus de 2 140 Palestiniens, 72 du côté israélien, dont 7 civils.
Pour unique horizon, des quartiers en ruine
Six jours après les célébrations de la « victoire » des factions du Hamas et du Jihad islamique, de nombreux Palestiniens n’ont pour unique horizon que des quartiers en ruine. Près de 10 % de la population de Gaza n’a toujours accès à l’eau du réseau qu’une seule fois par jour, et l’étroite enclave se trouve toujours soumise à des coupures d’électricité atteignant dix-huit heures, voire vingt heures par jour.
A Beit Hanoun, ville dévastée dans le nord de la bande de Gaza, la famille d’Achraf Al-Masri survit, à plus de 60 membres, dans les étages inférieurs d’une maison partiellement effondrée, sans eau ni électricité. Chauffeur de taxi, ce Palestinien de 40 ans perçoit le seul revenu de la famille. S’il gagne plus que ses confrères grâce aux journalistes étrangers qu’il accompagne depuis le début de la guerre, les 400 shekels (85 euros) qu’il perçoit chaque jour restent bien peu : « Acheter du pain chaque jour consomme déjà le quart de mon salaire. »
En désespoir de cause, la famille a instauré un système de roulement : pour bénéficier des aides alimentaires, une partie des membres va dormir, chaque semaine, dans les écoles tenues par l’UNRWA, l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens. C’est dans ces refuges que se fait l’essentiel des distributions d’urgence depuis l’annonce du cessez-le-feu.
200 T de matériel médical pour les hôpitaux de Gaza
Le 27 août, le Programme alimentaire mondial des Nations unies (PAM) a fait entrer, via la frontière égyptienne, des denrées de première nécessité pour cinq jours à destination de 150 000 Gazaouis. L’Arabie saoudite et le sultanat d’Oman ont, par ailleurs, fait parvenir près de 200 tonnes de matériel médical pour les hôpitaux de Gaza. Des camions transportant matelas ou produits d’hygiène franchissent chaque jour le point de passage de Kerem Shalom.
Mais, chez les naufragés de Gaza frustrés par un cessez-le-feu sans avancées concrètes, on dénonce la lenteur et les insuffisances d’une aide humanitaire qui profite souvent en priorité aux familles liées aux factions armées : « Dans le quartier, des proches du Hamas ont déjà reçu des couvertures, des matelas, des bouteilles de gaz, des vêtements. Nous, nous attendons toujours », se désole Achraf Al-Masri.
La plupart des organisations internationales doivent solliciter l’ancien ministère des affaires sociales du Hamas pour disposer d’une liste de bénéficiaires des aides – le gouvernement d’union nationale du Fatah et du Hamas n’ayant pas eu le temps de mettre en place une administration à Gaza avant le conflit.
Le contrôle de l’aide humanitaire, un enjeu politique
- Des Palestiniens dans les ruines de leur habitation, le 31 août, à l’est de la ville de Gaza. | SUHAIB SALEM/Reuters
Dans le territoire dévasté, le contrôle de l’aide humanitaire est devenu un enjeu politique, dans un contexte de luttes de pouvoir entre le Hamas et le Fatah de Mahmoud Abbas, réactivée par l’enjeu des négociations qui devront reprendre dans quelques semaines au Caire dans le cadre d’une délégation unifiée.
A Rafah, des organisations palestiniennes indépendantes du Hamas dénoncent des descentes de police musclées dans leurs bureaux de redistribution pour saisir leur liste de bénéficiaires du sud de Gaza : « Le Hamas ne veut pas de concurrents sur le terrain de l’aide humanitaire, car il veut conserver sa popularité auprès des habitants de Gaza. Il n’y a pas de place pour une aide indépendante », dénonce Nafez Ghoneim, membre du Parti du peuple palestinien (PPP), composante de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) dominée par le Fatah.
« Au final, qu’a-t-on gagné ? Rien »
Ces critiques sont largement partagées par d’autres ONG locales qui dénoncent un contrôle accru du Hamas sur le terrain : « Nous essayons d’organiser des distributions sauvages, sans en référer aux autorités, pour éviter qu’elles ne soient contrôlées et dirigées par le Hamas », explique une militante, qui déplore une aide humanitaire désordonnée : « Seule l’entrée en action du gouvernement d’union nationale pourrait assurer une meilleure coordination. »
Assise en bord de mer, près de Gaza, Nabila a quitté son quartier en ruine de Beit Lahia, dans le nord de la bande de Gaza. Elle prend une profonde inspiration. « Le cessez-le-feu nous libère les poumons. C’est la fin des bombes, de cette angoisse terrible qui te prend aux tripes » explique cette jeune professeure, dont une partie de la famille a péri dans les bombardements. « Mais aujourd’hui, c’est comme si on dessaoulait après l’ivresse. Au final, qu’a-t-on gagné ? Rien. Pour ce résultat, nous aurions pu arrêter dès la première trêve, lorsque nos morts ne dépassaient pas la centaine, » lâche la jeune femme, désabusée.