Pourriez-vous nous rappeler le contexte et les motifs de l’intervention israélienne, « Barrière protectrice », lancée le 8 juillet 2014 dans la bande de Gaza ?
Au fur et à mesure de son opération contre la bande de Gaza, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a mis en avant différents motifs. Dans un premier temps, il s’agissait de venger les trois jeunes colons enlevés et assassinés, au nom desquels l’armée a arrêté des centaines de militants du Hamas en Cisjordanie. Puis il s’est agi d’une riposte aux roquettes lancées sur Israël – et presque toutes arrêtées par le système anti-missiles dit « Dôme de fer ». Ensuite, Tel-Aviv a invoqué la destruction des tunnels creusés sous la frontière. Enfin il a été question de « démilitariser » la bande de Gaza, que Benyamin Netanyahou lui-même a fini par qualifier de « déraisonnable ».
Si chacun de ces objectifs joue un rôle, le but principal de « Bordure protectrice » est à mon avis ailleurs. Comme l’a écrit mon ami, le militant pacifiste Michel Warschawski, « L’ennemi d’Israël, ce n’est pas le Hamas, mais la négociation ». De fait, Benyamin Netanyahou avait littéralement saboté les négociations impulsées pendant neuf mois par le secrétaire d’État américain John Kerry. Le Fatah et le Hamas avaient répondu en constituant un gouvernement d’union, alors même qu’Israël exploitait, depuis 2006, la division du mouvement national palestinien. Casser ce gouvernement et, au-delà, la dynamique unitaire, telle était, à mon avis, l’objectif principal de cette « guerre » - le terme « massacre » conviendrait mieux.
Le 26 août 2014, après 50 jours de combats entre l’armée israélienne et le Hamas, un cessez-le feu a été prononcé, quels sont les termes de cet accord ? Est-il plus ambitieux que les précédents d’un point de vue des objectifs ?
Il faudra attendre les résultats des négociations israélo-palestiniennes du Caire pour apprécier le contenu réel du cessez-le-feu. Sur le papier, il ne diffère guère de celui de 2012… qui n’a pas été appliqué par Israël (et l’Égypte). Outre le doublement de la zone de pêche, l’accord parle d’une levée « progressive » du blocus. Mais, si le nombre de camions ravitaillant la bande de Gaza a effectivement augmenté, le passage à Erez comme à Rafah se fait toujours au compte-gouttes.
Notons néanmoins que le bilan stratégique de ces 50 jours de combats ne juge pas seulement aux termes du cessez-le-feu. Parler d’une « victoire » du Hamas serait indécent, au regard du nombre considérable de victimes, tués et blessés. En revanche, Israël a bel et bien « perdu », comme la majorité de ses citoyens le pensent. L’État juif, une fois de plus, a démontré qu’une des plus puissantes armées du monde, la sienne, ne parvenait pas à en finir avec une guérilla. Les crimes de guerre, voire contre l’Humanité qu’elle a commis ont profondément entaché son image. Le coût, direct et indirect, de l’opération se monte à plusieurs milliards de dollars. Bref, il n’y a rien d’étonnant à ce que Benyamin Netanyahou plonge dans les sondages.
Moins d’une semaine après l’annonce du cessez-le feu, Israël a annoncé l’annexion de 400 hectares de terres en Cisjordanie à proximité de Bethléem, cette annonce ne rend-elle pas l’accord de cessez-le feu fragile entre les deux parties ?
La principale leçon de cette guerre comme des précédentes, c’est que le conflit israélo-palestinien n’a pas de solution militaire. Aussi difficile que cela soit, il faut donc travailler à une solution politique, fondée sur la création, aux côtés d’Israël, d’un État palestinien dans les frontières des armistices de 1949, avec Jérusalem-Est pour capitale. C’est ce à quoi les dirigeants israéliens s’opposent de toutes leurs forces. En annonçant la plus grande annexion de l’histoire de l’occupation, ils le manifestent à la fois symboliquement et concrètement. Comme un défi aussi bien aux Palestiniens qu’à la communauté internationale, pour qui la colonisation des territoires est illégale, a fortiori leur annexion.
Quel est le bilan humain et matériel des frappes israéliennes sur la bande de Gaza ? Comment s’organise la reconstruction ?
Selon le Bureau de la coordination des Affaires humanitaires des Nations unies (OCHA), le bilan du côté palestinien s’élève à 2 131 morts dont 1 473 civils dont 501 enfants, 18 000 immeubles détruits ou très endommagés, 108 000 personnes sans logis [1]. Du côté israélien, on recense 71 morts, dont 66 soldats. Quant à la reconstruction, les autorités palestiniennes en évaluent le coût à 7,8 milliards de dollars. Pour l’instant, elle n’a pas vraiment commencé, faute des matériaux nécessaires : Israël s’oppose à leur transfert, prétendant qu’ils serviraient à réparer les tunnels.
Des organisations civiles palestiniennes ont fait part de leur intention de poursuivre certains dirigeants israéliens pour crimes de guerre, dans quelle mesure une telle démarche peut-elle aboutir ?
La condition sine qua non, c’est que l’État de Palestine signe le statut de Rome et adhère ainsi à la Cour pénale internationale (CPI). Le fait qu’il ait été reconnu comme État, même observateur, par l’Assemblée générale des Nations unies facilite évidemment cette démarche.
Mais deux facteurs la freinent. Le premier, c’est sa durée : le processus en question peut durer des mois, sinon des années. Le second, c’est son coût politique prévisible. La possibilité pour les Palestiniens de traîner Israël sur les bancs de la justice internationale constitue pour Tel-Aviv un véritable cauchemar. Les dirigeants israéliens feront donc tout, avec leurs alliés, pour écarter cette éventualité.
D’où un débat parmi les dirigeants palestiniens, y compris au sein du Fatah. Certains défendent une démarche immédiate auprès de la CPI. D’autres préfèrent la faire au moment approprié, sachant qu’il s’agit d’un tir à un seul coup.
Aujourd’hui, peut on envisager la levée du blocus sur la bande de Gaza ?
Les négociations devraient permettre de faire quelques pas dans cette direction. Mais je ne crois pas à une levée totale du blocus à court terme. Comme tous les autres éléments d’une solution politique du conflit israélo-palestinien, tout dépend de la pression internationale exercée sur Israël. Plus les opinions se saisiront – notamment – de la campagne Boycott-Désinvestissement-Sanctions, plus les gouvernements seront tenus de prendre en compte cette mobilisation populaire, et plus Tel-Aviv sera isolée. Seul cet isolement peut contraindre les dirigeants israéliens à se plier au droit international.