"Je suis fatigué. Non pas en raison du manque de sommeil - les Forces de l’Occupation israéliennes sont venues plusieurs nuits cette semaine - bien que cela y soit dû en partie, ni en raison de l’anémie dont je souffre actuellement. Je suis fatigué par la frustration et l’immense chagrin d’avoir vu l’armée israélienne abattre Khalid Mohammed Msyme, 16 ans, le frère de l’un de nos amis, alors que je me tenais à seulement 50 mètres de lui.
Un jour, l’un de mes amis a décrit notre rôle ici comme du babysitting : observer les jeunes Israéliens âgés de 18 ans armés de fusils pour qu’ils ne pensent pas qu’ils peuvent abattre les enfants palestiniens dans les maisons en toute impunité. Je crains que la vérité soit qu’ils agissent en toute impunité.
Je ne compte plus le nombre de témoignages outragés que j’ai lu au sujet des enfants tués par des soldats israéliens qui envahissent les villes palestiniennes. Je ne compte plus le nombre de fois où nous avons rendu compte des invasions, des arrestations et des meurtres en infraction de l’accord Sharm Al Sheikh et je ne compte plus le nombre de fois où j’ai espéré que cette infraction serait celle que le monde remarquerait enfin.
Avant que l’armée ne vienne cette nuit, un ami palestinien me racontait tous les meurtres et les atrocités dont il a été témoin. De temps en temps, il pense à l’odeur de la chair carbonisée ou à la sensation de ce qu’il a appelé "la viande de leurs corps" dans ses mains mais la plupart du temps ces souvenirs précis ne le dérangent pas. Il dit que c’était choquant au début mais c’est devenu normal pour lui maintenant J’espère que je n’arriverai jamais à ce point-là.
Voir l’armée assassiner ne devrait jamais être normal. Quand je l’ai appelé pour lui raconter ce qui s’était passé ce soir, il a pressenti ma frustration et mon sentiment de culpabilité.
Je n’ai rien dit, je savais que ce n’était pas juste mais je voulais en quelque sorte m’excuser de l’avoir pas pu les empêcher d’abattre le garçon. Quand je lui ai dit avec lassitude qu’ils avaient tué un autre garçon, il a dit doucement : "Tout va bien."
A ce moment-là, j’étais submergé de ressentiment pour tout ce qui avait été à travers et absolument humilié parce qu’il voulait me protéger et me rassurer. Pourquoi devait-il vivre tout cela et ensuite s’occuper d’un étranger stupide ?
Il fait jour maintenant, je n’ai pas dormi ; mes émotions sont toujours trop fortes. En colère, frustré, irrité, déçu.
L’armée israélienne était encore dans les rues du camp de Balata. Au coeur de la Cisjordanie.
- Incursion militaire israélienne à Balata le 30 juin 2005
- Les volontaires du Secours Médical Palestinien (PMRS) évacuent un blessé.
Les habitants sont des réfugiés, des gens déjà déplacés une première fois par Israel.
Les enfants sont continuellement la cible d’attaques dans ce camp de réfugiés, leur maison.
Je n’ai jamais été optimiste sur Sharm mais je suis encore désespérément déçu.
Je suis frustré, triste et las qu’un autre enfant soit mort. Nous étions quelque mètres trop loin.
J’aimerais que cela n’arrive plus jamais mais une partie de moi souhaite que tout le monde vive cette expérience. Si tout le monde ressentait cette tristesse et cette frustration, on ferait tous pression sur nos gouvernements et nos sociétés pour que cesse le financement de l’occupation israélienne de la Palestine. La mosquée a diffusé du bruit toute la nuit. Je ne sais pas si c’était un défaut de fonctionnement ou une stratégie de l’armée.
À l’appel pour la prière d’avant l’aube, j’entendais encore les jeeps et une femme pleurer.
Puis les échos éthérés des mosquées plus éloignées, les messages des muezzins fusionnaient et revenaient en écho des collines. Enfin la mosquée de Balata les a rejoint après 4h du matin. C’était rassurant.
À 7h25, la mosquée a annoncé la mort d’un autre garçon, le combattant Khalid Mohammed Msyme âgé de 16 ans. Il est mort dans un accrochage avec l’armée pendant la nuit.
- Balata, Naplouse 7 juillet 2005
- Funérailles de Khaled
Le premier garçon, Noor Njam, 14 ans, qui a reçu une balle réelle dans la tête n’est pas encore mort mais on pense qu’il ne vivra pas longtemps.
Un troisième garçon, aussi âgé de 16 ans, de la famille Sanegre, est aussi dans un état critique, après avoir reçu une balle dans l’estomac.
A la morgue, des garçons pas plus haut que mon coude se bousculent pour voir le corps de Khalid. Les copains adolescents de Khalid sont assis dehors en silence, ils sont stupéfaits et choqués. Un ami plus âgé a essayé d’offrir un peu de réconfort mais il était bouleversé lui-même.
Khalid était un combattant et un martyr à tout juste 16 ans. Les hommes mènent le cortège funèbre qui revient au camp, en décernant à l’enfant le rang de héros.
Pendant ce temps, les femmes attendaient près de sa mère à la maison. Un de ses fils est mort avant l’Intifada, un autre est emprisonné par les Israéliens depuis 3 ans. Puis un deuxième frère est mort et aujourd’hui Kahlid. Sa mère a perdu trois fils maintenant.
Pendant le service funèbre, nous étions assis en silence, accablés. De nouveaux visiteurs étaient accablés et choqués. Les amis palestiniens étaient silencieux dans leur chagrin.
Pour ma part, je suis juste très las. La futilité de tous ces morts est déchirante.
Les décès d’encore d’autres enfants dans un prétendu cessez-le-feu sont dévastateurs.
Je crains que les meurtres ne s’arrêtent pas tout de suite."
Noor Njam,14 ans, qui a reçu une balle dans la tête dans l’incursion du 6 juillet est décédé des suites de ses blessures aujourd’hui.