Il y a 15 ans, j’étais au milieu des champs dans le village de Cisjordanie de Bil’in quand un numéro israélien apparaît sur mon téléphone. Au bout du fil, quelqu’un me parle dans un sabir d’arabe et d’hébreu. A cette époque, l’armée israélienne venait tout juste de désigner Bil’in pour y construire le mur de l’apartheid et alors que les bulldozers commençaient leur besogne dans le village voisin de Budrus, des militants avaient fait leur apparition dans notre village aussi.
Une des premières personnes à rejoindre notre lutte à Bil’in était justement celle qui me parlait au téléphone. J’admettrai plus tard que je l’ai d’abord trouvé particulier, un peu bizarre même : il ressemblait à un ado punk, avec ses fringues étranges et ses cheveux emmêlés teints en différentes couleurs. Plein d’énergie et d’esprit, il s’est approché de nous et s’est mis au boulot.
« Nous sommes un groupe d’anarchistes contre le mur », a-t-il dit, « et nous voulons vous soutenir dans votre lutte. »
J’ai regardé ce drôle de visiteur venu de Tel Aviv, mon esprit aux prises à la fois avec les contradictions et le respect que je ressentais. Qui est ce garçon qui pense qu’il peut stopper le mur ? Il fait partie de l’occupation ! Pourquoi est-il vraiment là ? Pourtant, dès la première rencontre, il fut évident qu’il était passionné et décidé à travailler sans relâche. Il communiquait avec les gens autour de lui avec tant de facilité et de rapidité que ça n’a pas pris trop de temps avant qu’il ne gagne ma confiance.
Voilà comment j’ai rencontré mon ami Jonathan Pollak – actuellement emprisonné en Israël parce qu’une organisation d’extrême-droite le poursuit pour avoir apporter son soutien militant à des villages comme le mien.
Jonathan a joué un rôle de premier plan dans de nombreux villages de Palestine. Chaque jeune qui a participé à des manifestations en Cisjordanie contre la colonisation d’Israël le connaît comme Jonathan, le défenseur des droits de l’homme. Jonathan, qui refuse de normaliser l’occupation. Jonathan, le défenseur des droits des animaux. Jonathan, qui refuse d’être identifié par sa citoyenneté ou sa religion, mais comme une personne libre.
Le 13 février 2015, j’ai été arrêté sous de fausses accusations au cours de l’une de nos manifestations hebdomadaires à Bil’in. Les militaires israéliens ont expliqué que je participais à un rassemblement illégal, empêchant la police des frontières de faire son travail, attaquant les militaires présents sur place. La vérité est qu’un de ces officiers m’a attaqué avec une bombe au poivre, sans raisons, ce qui tombe sous le coup de la loi en Israël ; il a menti et a objecté que je l’avais poussé. Mon arrestation était une punition politique pour couvrir un acte illégal.
J’ai été jugé pour ces faits depuis. Mon avocat et moi avons apporté des preuves filmées pour démontrer que l’officier en question mentait, mais elles ont été ignorées jusqu’à présent. Dimanche dernier, après 4 ans, j’ai finalement été acquitté et les charges retenues contre moi ont été annulées.
Ce n’est pas la première que je suis arrêté – et acquitté – sur de fausses accusations. Une autre fois, des soldats israéliens m’ont accusé de leur lancer des pierres et d’inciter les autres à faire pareil. J’étais pourtant à l’étranger ce jour là …. J’ai eu de la chance, mais pas mes amis Abdallah et Adeeb, condamnés à 16 mois de prison.
Mon acquittement a été prononcé par un tribunal militaire. C’est un privilège rare : selon l’organisation israélienne de défense des droits de l’homme B’Tselem, la proportion d’acquittement prononcé par le système judiciaire militaire est de 4%. Même acquitté, je sais bien que ce système est intrinsèquement injuste et corrompu, construit pour nous garder tous comme des prisonniers politiques. C’est un régime d’oppression destiné aux seuls Palestiniens : le juge est un officier israélien ; le procureur est un soldat israélien ; même les traducteurs et les employés font partie de l’armée israélienne.
Mon ami Jonathan a été arrêté le 6 janvier (ce n’était pas la première fois) sur des accusations similaires à celles qui m’étaient reprochées. Pourtant, contrairement à moi, à Abdallah, à Adeeb et à tous les Palestiniens arrêtés pendant les manifestations, il va comparaître devant un tribunal civil, de ceux supposés protéger les droits des citoyens mais qui, en pratique, protègent les droits des colons, des soldats et de tous ceux qui contribuent à l’application et au maintien de l’apartheid et de l’occupation. Parce qu’il soutient notre cause, je ne m’attends pas à ce que justice soit faite dans son cas.
A cause de la nature de cette arrestation, et parce qu’il n’est pas Palestinien, Jonathan pourrait payer 500 shekels de caution et sortir de prison. Mais c’est une personne de principe. Il nous a vus, mes amis et moi, se faire arrêter sur de fausses accusations, impuissants à démontrer notre innocence. Alors il a décidé de refuser la caution et de rester en prison. Il ne jouera pas selon les règles du système qui a été échafaudé contre la justice.
J’ai vu les photos de l’arrestation de Jonathan, je me suis souvenu d’une manifestation à Bil’In quand un soldat a tiré une grenade lacrymogène au milieu des manifestants. La grenade a frappé le crâne de Jonathan, provoquant un traumatisme dont i souffre encore aujourd’hui. Ces grenades ont tué tant de manifestants, dont Bassem Abu Rahma originaire de mon village.
Les bombes lacrymogènes, les matraques, les balles ne font aucune différence entre la tête de Jonathan et celle d’un manifestant palestinien, même si les soldats qui tirent, la font. Même s’il y a de profondes différences entre le tribunal militaire où comparait le Palestinien et la cour civile devant laquelle est traduit Jonathan, je rejoins mon ami quand il dit que tout ça fait partie d’un seul et même système d’injustice.
Malgré les nombreux obstacles qu’Israël essaie de dresser entre nous, nous sommes unis dans la lutte. Jonathan s’est tenu à nos côtés depuis ce jour où il n’était que cet ado punk avec ses fringues étranges et ses cheveux en pétard. Aujourd’hui, en tant que militant des droits de l’homme et personne de principe, je suis fier de me tenir aux côtés de Jonathan Pollak.
*Mohammed Khatib est avocat et fondateur du PSCC (Comité de coordination de la lutte populaire) qui mène le mouvement de résistance pacifique à l’occupation israélienne en Cisjordanie.
Traduction AFPS
Voir aussi le communiqué de l’AFPS