La communauté arabe israélienne est en colère. Le vieux contentieux autour des habitations illégales des Bédouins dans le désert du Néguev vient de connaître un développement dramatique. Des affrontements ont éclaté à l’aube, mercredi 18 janvier, dans le village d’Oumm Al-Hiran, lorsque la police, arrivée en masse, a voulu procéder à l’éviction des habitants et à la destruction de leurs logements de fortune. Une voiture conduite par un enseignant local a foncé sur des policiers. L’un d’eux, âgé de 34 ans, est décédé.
La version officielle évoque une attaque délibérée à la voiture-bélier, ce que contestent les villageois. Les forces de l’ordre ont ouvert le feu et tué le conducteur. Une polémique a rapidement vu le jour autour d’une question : les policiers ont-ils tiré avant ou après l’embardée ? Une vidéo aérienne semble contredire la version officielle et montrer, au ralenti, trois coups de feu partis de l’arme d’un officier, 20 mètres environ avant que le véhicule ne heurte ses collègues.
La police a fermé l’accès au village. Une dizaine d’habitations ont été détruites. Plusieurs députés israéliens de la Liste arabe unie se trouvaient sur place, pour intercéder en faveur des habitants, qui étaient en négociation avec les autorités depuis des semaines pour trouver un compromis. Leur chef de file, le député Ayman Odeh, a été blessé à la tête et évacué vers un hôpital, avant de revenir sur les lieux, avec un bandage impressionnant. Son assistante, Reut Moor, explique au Monde qu’il a été atteint dans le dos et à la tête par des balles en caoutchouc. « On était là pour éviter les violences, et pas les provoquer, dit-elle. On pensait que la police agirait de façon responsable en voyant un député. Mais on a eu le sentiment contraire, finalement, comme si elle le visait. »
Deux versions différentes
Dans un communiqué, le premier ministre, Benyamin Nétanyahou, n’a exprimé aucun doute sur l’« attaque à la voiture-bélier » commise par le villageois. Il a appelé les députés arabes à « être responsables, à cesser d’attiser les émotions et d’inciter à la violence. Le public bédouin fait partie de nous. Nous voulons l’intégrer dans la société israélienne et pas le radicaliser et le repousser loin du centre de notre expérience de vie. »
Les Bédouins sont d’anciennes tribus arabes nomades, qui se trouvaient dans le Néguev avant même la création d’Israël. Situé dans le district de Beersheva, le village a vu le jour sur ordre militaire en 1956, mais n’a jamais été officiellement reconnu par les autorités israéliennes, comme 34 autres dans le Néguev.
Le gouvernement souhaite détruire le village afin d’édifier à cet endroit une nouvelle communauté, entièrement destinée à des juifs religieux. Les habitants bédouins, eux, sont censés emménager dans la ville de Hura, l’une des sept communes bédouines en Israël, défavorisées et sous-développées. Ils ont épuisé leurs recours en justice, depuis que la Cour suprême a rejeté leur appel, en mai 2015, estimant qu’ils n’avaient « aucun droit » sur cette terre appartenant à l’Etat. Il s’agissait de « l’une des décisions les plus racistes jamais rendues par la Cour », estime Adalah, le centre pour les droits de la minorité arabe en Israël, qui accompagne les villageois dans leurs démarches depuis treize ans.
Deux versions radicalement différentes s’affrontent sur la rupture des négociations, survenue tard dans la soirée, mardi. Selon les députés arabes et les villageois, le gouvernement a interrompu les discussions peu avant minuit, sans explications. Il s’agirait d’une décision purement politique. Une présentation contestée par le président de l’Autorité pour le développement et l’installation des Bédouins dans le Néguev – organe public dépendant du ministère de l’agriculture. « Cela faisait quatre mois qu’on négociait, dit au Monde Yair Maayan. Les villageois avaient accepté notre offre. Ils étaient encore dans mon bureau hier soir pendant deux heures, puis ont soudain décidé de partir. »
Contraste saisissant avec Amona
L’Autorité dit avoir proposé des lots de terrain gratuits dans un quartier de Hura, ainsi qu’une somme d’argent pour chacune des quelque 50 familles du village bédouin, pour reconstruire leur logement. « En moyenne, cela représente environ 100 000 dollars par famille », dit Yair Maayan. Le président de l’Autorité évoque la nécessité de détruire encore « environ 5 000 logements illégaux dans le Néguev, sur une période de sept à dix ans, le temps de prévoir des solutions alternatives. »
Fadi Masamra était, jusqu’en septembre 2016, le chef du Conseil des villages bédouins non reconnus. Il rejette la présentation des faits par l’Autorité. Selon lui, celle-ci « défendait un accord uniquement bon pour sa politique, qui consiste à concentrer les populations bédouines dans des ghettos. Ils veulent toute la terre, en la nettoyant des Bédouins, alors que les villageois souhaitent préserver leur héritage, leur mode de vie rural. »
De nombreux commentateurs le relèvent : le contraste est saisissant entre les événements d’Oumm Al-Hiran et le sort réservé en décembre par le gouvernement à l’avant-poste d’Amona, une colonie sauvage en Cisjordanie devant être évacuée par décision de justice. Pour 40 familles de colons, des efforts politiques et financiers hors norme avaient été consentis, sans que le déménagement des habitants soit à ce jour effectif. L’objectif était à la fois d’éviter des violences et de ne pas s’aliéner la base des colons, piliers de la coalition de droite actuellement au pouvoir en Israël.
Pour donner des gages aux colons, Benyamin Nétanyahou avait posté une vidéo sur Facebook, demandant à son gouvernement d’accélérer les démolitions de constructions illégales « dans tout le pays ». « Je ne permettrai pas qu’il y ait deux poids, deux mesures dans l’application de la loi entre citoyens israéliens, entre juifs et arabes, entre une personne et une autre », disait-il. Cette opération de communication, visant clairement le secteur arabe selon l’expression consacrée en Israël, a connu rapidement une traduction dans les faits. Le 10 janvier, dans la commune arabe de Kalansua, 11 bâtiments ont été détruits. Le maire a annoncé sa démission dans la foulée, expliquant que le plan de développement de la ville était englué depuis longtemps dans des procédures bureaucratiques.