Le 24 mars à Hébron, en Cisjordanie, un soldat israélien a abattu d’une balle dans la tête, à quelques mètres de distance, un Palestinien gisant déjà à terre. Celui-ci avait, peu avant, commis une agression au couteau contre un militaire, avec un autre homme. Ils avaient été atteints par balle en réponse. Une vidéo, tournée par un militant de l’ONG B’Tselem, montre l’absence de menace directe pour l’auteur du coup de feu fatal, l’immobilité de l’agresseur à terre, la présence d’autres soldats, tranquilles, à proximité. Le militaire incriminé a été arrêté. Pourtant, les réactions outrancières que cet événement a suscitées traduisent l’impossibilité de débattre, en Israël, du coût humain et moral de l’occupation en Cisjordanie.
Depuis le début de la nouvelle vague de violences palestiniennes, en octobre 2015, 28 Israéliens et près de 190 Palestiniens – dont une bonne partie d’agresseurs avérés ou supposés – ont été tués. Or, selon les responsables palestiniens et certaines ONG, plusieurs cas d’exécutions sommaires de suspects palestiniens ont été constatées, sans toutefois être confirmées de façon aussi éclatante, par une vidéo. L’acte d’Hébron est « horrible, immoral et inique » selon Nikolaï Mladenov, envoyé spécial des Nations unies pour le processus de paix. Amnesty International, de son côté, évoque « un crime de guerre potentiel ».
Extrémiste juif
Il s’est passé de longues minutes entre le moment où l’agression palestinienne a eu lieu et celui où Abed Al-Fatah Al-Sharif a été achevé. Trois officiers ont été mis en cause par la hiérarchie pour ne pas avoir porté secours à l’homme à terre, alors que la situation était sous contrôle. Selon les premiers éléments de l’enquête disciplinaire, rapportés par la presse, le soldat qui a abattu le Palestinien avait expliqué au préalable à ses camarades que celui-ci « devait mourir », parce qu’il avait agressé au couteau l’un de ses amis en uniforme. Contrairement à ce qu’a prétendu l’avocat du mis en cause, rien n’indiquait que l’homme à terre pouvait porter une veste d’explosifs.
Une nouvelle vidéo diffusée dimanche soir par le quotidien Haaretz montre le soldat, auteur du coup de feu, serrant la main d’un extrémiste juif notoire, juste derrière le cordon de sécurité, alors que le corps était évacué. Cet extrémiste est Baruch Marzel, disciple du rabbin Meir Kahane, fondateur du mouvement raciste Kach, interdit en Israël en 1994. Arrêté à de nombreuses reprises, Baruch Marzel est une célébrité dans les milieux d’extrême droite, en raison de ses appels à la haine et de ses actions violentes.
Les organisations non gouvernementales documentant l’occupation en Cisjordanie ont exprimé une condamnation unanime après cet assassinat. Mais le débat a surtout eu lieu au-dessus de leur tête, entre l’extrême droite, solidement représentée au sein du gouvernement, et l’institution militaire, qui a des règles d’engagement et des procédures disciplinaires. Or, la première fait semblant de minorer, voire d’ignorer ces procédures, au nom de la « guerre » qui serait engagée contre le terrorisme palestinien. Les hauts gradés, eux, redoutent tout dérapage individuel pouvant conduire à un embrasement.
Solidarités avec le soldat
Une campagne a été initiée sur les réseaux sociaux pour attaquer une nouvelle fois les ONG, dites de gauche, comme B’TSelem, mais aussi l’état-major et les responsables politiques, jugés trop mous. Dans un premier temps, jeudi 24 mars, Benyamin Nétanyahou avait estimé que cet incident grave « ne reflétait pas les valeurs de l’armée ». Mais il a fait marche arrière, sentant qu’une partie de sa formation, le Likoud, et la base nationaliste exprimaient une solidarité décomplexée avec le soldat. « Toute mise en cause de la moralité de l’armée est révoltante et inacceptable », a dit le premier ministre dimanche.
Le ministre de l’éducation, Naftali Bennett, leader du parti extrémiste Le Foyer juif, a eu une algarade lors du conseil des ministres avec Benyamin Nétanyahou, selon la presse. Il lui a reproché de ne pas soutenir les soldats. Le ministre refuse toute mise en cause du soldat pour « meurtre » et évoque un simple « incident opérationnel en territoire dangereux ». Son collègue à la défense, Moshe Yaalon, lui a répondu sans le citer. « Toute personne encourageant la violation de la loi pour contenter une minorité extrême et violente pourrait nous conduire à l’anarchie. » Dès jeudi, il avait promis « la plus grande sévérité » dans l’enquête.