Interview avec Ahmet Saadat, FPLP dans la prison de Jéricho, Palestine.
En août dernier, nous nous sommes entretenus avec Ahmet Saadat dans sa prison de Jéricho [1], une prison palestinienne, surveillée par des Britanniques et des Nord-américains. Ahmet Saadat est devenu le secrétaire général du FPLP (Front Populaire pour la Libération de la Palestine) après l’exécution par un missile israélien du précédent responsable, Abou Ali Mustapha, dans son bureau à Ramallah en août 2001. Quand le FPLP a frappé « au même niveau » en tuant le ministre israélien du tourisme, connu pour ses positions d’extrême droite, Zeevi, le FPLP était dans le collimateur d’Israël. Le commando et Ahmet Saadat ont été condamnés par l’Autorité palestinienne dans une parodie de procès, faisant partie d’un marchandage entre l’Autorité palestinienne, Israël et les Etats-Unis pour pouvoir sortir de la crise de l’église de la Nativité à Bethléem.
Comment jugez-vous le retrait de Gaza ?
Le retrait de Gaza est avant tout le fruit de la résistance de notre peuple. Le coût de l’occupation pour les Israéliens était devenu très élevé et ils se trouvaient dans une impasse. Mais le retrait ne signifie pas pour autant la fin de l’occupation tant que la souveraineté sur le ciel, la mer et la terre n’est pas complète. On peut gagner d’autres batailles, parce qu’il n’y a que deux voies : soit la voie proposée par Israël ou par les projets internationaux comme la feuille de route, soit la voie de la lutte. C’est cette voie qui va nous permettre de mettre fin à l’occupation et de donner à notre peuple le droit à l’autodétermination et ses droits nationaux. Soit les droits nationaux pour construire un Etat palestinien en Cisjordanie et à Gaza, soit un Etat national et démocratique sur l’ensemble du territoire palestinien, un Etat qui rassemble les Arabes et les Juifs. Cet Etat ne sera pas établi sur une base ethnique, religieuse, de couleur ou de sexe. Mais pour y arriver, il faudra une vision palestinienne claire dans le cadre d’un programme combatif, qui refuse les projets politiques qui traitent la question palestinienne sur un plan sécuritaire, qui considèrent la lutte du peuple palestinien comme du terrorisme ou qui mettent la sécurité israélienne comme base de la négociation de paix.
La feuille de route par exemple est un projet de négociation et non de solution. Elle continue à être basée sur la sécurité. Ce n’est pas une solution pour la question palestinienne, donc il faut trouver une alternative.
Notre alternative se base sur la lutte diplomatique, politique, sur ce que l’Intifada a gagné et sur les résolutions internationales, surtout sur les recommandations de La Haie. Dans ce cadre-là, nous appelons à réunir une conférence internationale de paix sous le parrainage de l’ONU et sur la base des résolutions de l’ONU. Elles donnent à notre peuple ses droits à l’autodétermination, à l’indépendance et le droit au retour des réfugiés.
Soit on accepte les projets proposés et on accepte les conditions de Sharon, on accepte ainsi que Sharon nous impose ses conditions politiques qui se basent essentiellement sur le vol d’une grande partie de notre terre, surtout en Cisjordanie car Sharon a voulu sortir de Gaza pour avoir la main libre en Cisjordanie - avec la construction du mur de séparation, il veut imposer un autre fait accompli dans une éventuelle négociation politique - soit on continue la résistance. Il n’y a pas d’autre choix.
Le mur avale 58% du territoire de la Cisjordanie, en plus il sépare Jérusalem de la Cisjordanie et participe aussi à l’opération qui transforme Jérusalem en ville juive. Malheureusement, la politique de la colonisation de Sharon est soutenue par Bush, qui lui a donné de nouvelles garanties fin 2004. Dans ces garanties, le retour des réfugiés est considéré comme un obstacle à une solution de paix. Il considère que les colonies en Cisjordanie sont une réalité que l’on ne peut pas négliger dans les négociations pour la paix. Malheureusement, c’est la position de Bush. C’est un soutien clair à la politique de Sharon. Chaque jour, en lisant les journaux, on apprend qu’Israël va agrandir une colonie ou bien en construire une autre, et la construction du mur n’est pas encore terminée.
Sharon est clair dans sa politique. En retirant l’armée israélienne de Gaza, il veut se débarrasser d’une crise pour renforcer sa présence stratégique en Cisjordanie, parce que cela lui permet de contrôler la moitié ou 60% du territoire de la Cisjordanie. C’est comme l’avortement de la possibilité d’un Etat palestinien, de sa souveraineté. De cette façon, la Cisjordanie sera divisée en plusieurs bantoustans. D’après Sharon, pour lier les Bantoustans entre eux, on peut construire des routes qui passent dans des tunnels. Un Etat qui est divisé en plusieurs bantoustans et séparé par un mur n’est pas un Etat, parce qu’il n’a pas de souveraineté et d’indépendance et n’est pas capable de survivre. Ca c’est le projet de Bush.
Est-ce qu’il y aura une troisième Intifada ?
Pour parler d’une troisième Intifada, il faut déjà qu’on finisse la deuxième. Parce que nous pensons qu’elle n’est pas encore finie. Peut-être qu’elle est un peu affaiblie, mais le conflit n’est pas encore terminé. Je peux parler d’une autre étape de l’Intifada. Sur les moyens de la lutte de l’Intifada, il y a la lutte démocratique des masses sous la forme de la lutte populaire ou de la lutte armée. Ca dépend du contexte. Nous ne sacralisons aucune forme. Nous croyons en toutes les formes de lutte. Comme l’occupation et la colonisation israéliennes ne sont pas encore terminées, nous avons toutes les raisons de continuer l’Intifada. Toutes les formes de la lutte sont nécessaires et importantes. La lutte armée aussi est importante. Il ne faut pas qu’on l’abandonne.
Le maire FPLP à Bethléem à été élu avec le soutien du Hamas, est-ce un accord de tactique électorale uniquement pour Bethléem ou est-ce qu’on pourra prévoir d’autres accords tactiques ou stratégiques entre le FPLP et le Hamas ?
Sur la base d’une stratégie de lutte commune contre l’occupation israélienne et de construction de l’OLP, notre but n’est pas d’avoir un accord seulement avec le Hamas, mais avec tous les courants politiques du peuple palestinien. Concernant les élections municipales et notamment à Bethléem, les rapports de force ont obligé le Hamas à soutenir soit le candidat de Fatah, soit celui du Front Populaire. C’est normal dans le contexte du rapport de force actuel. Si le Front Populaire a une chance d’être à la tête de Bethléem, par le soutien du Hamas ou du Jihad Islamique ou d’une autre formation politique, même le Fatah, ça ne nous pose aucun problème.
Mais pour qu’on parle d’une alliance stratégique entre le Front Populaire et le Hamas, il faut qu’on soit d’accord sur un programme politique. Il y a bien des points communs et la même vision sur la façon de gérer la lutte contre l’occupation sioniste. Ailleurs dans le monde arabe il y a des mouvements de l’Islam politique qui militent contre l’impérialisme, contre le projet du grand Moyen Orient, contre la mondialisation et ses conséquences sur le monde arabe, comme le font des courants nationalistes ou de gauche. Mais sur le plan stratégique, nous voulons construire un pôle de gauche démocratique. Il y a un pôle islamique avec son projet et il y a un autre pôle de la bourgeoisie, c’est l’Autorité palestinienne et le Fatah. Nous de notre côté, nous essayons de toutes nos forces de construire un troisième pôle, un pôle de la gauche démocratique. Ce sera le troisième pôle entre le Hamas et Fatah en Palestine.
Hassan Youssef (porte parole du Hamas en Cisjordanie)
Hassan Youssef, que nous avions interviewé en août 2005, vient d’être arrêté par l’armée israélienne, lors d’une rafle massive de militants palestiniens de différents partis dans toutes les villes de Cisjordanie, dimanche 25 septembre 2005. Diabolisé par certains, le Hamas reste une composante de la résistance palestinienne, dont le poids politique est croissant. Publier son point de vue fait donc partie d’une information honnête sur les forces de résistance à l’occupation.
Quelle est votre opinion sur le retrait de Gaza ?
Pour commencer, nous sommes pour la libération de chaque parcelle de notre terre. Le retrait de Gaza est une victoire de notre peuple, le fruit de sa résistance et de son attachement à ses droits nationaux. On ne peut pas parler d’un retrait, parce que les Israéliens utilisent le terme « désengagement ou redéploiement ». Il ne faut pas aller plus loin et tomber dans le piège, dire qu’il y a retrait israélien, car dans le nord de la Cisjordanie il y a retrait de seulement quatre colonies qui sont très petites et isolées, plus une caserne.
Y a-t-il une alliance tactique ou stratégique entre le HAMAS et le FPLP ? Le maire de Bethléem (FPLP) a été élu avec le soutien du Hamas. Pour des marxistes européens, c’est une alliance étrange. Est-ce une alliance tactique ou est-elle stratégique ?
Sur le principe, il n’y a pas seulement une alliance avec le FPLP, mais aussi avec d’autres courants politiques, à Bethléem, à Beit Fourik où nous avons fait une alliance avec le Front Populaire pour la mairie, on s’est mis d’accord pour une alternance à la présidence, deux ans pour le Hamas et deux ans pour le Front Populaire. Nous sommes pour l’ouverture envers les autres, nous ne sommes pas sectaires. Nous croyons qu’il y a une possibilité de vivre avec l’autre et de discuter. C’est la raison de l’alliance avec le Front Populaire et avec d’autres courants politiques. Ce n’est pas quelque chose d’exceptionnel. Depuis Madrid et les accords d’Oslo et l’après Oslo, nous avons des positions en commun avec le Front Populaire. Et dernièrement, il y a eu des rencontres entre la direction du Hamas et le Front Populaire en Cisjordanie et à Gaza pour discuter de la possibilité d’une alliance entre le Hamas et le Front Populaire pour les élections municipales et législatives. Nous, les Palestiniens, nous pensons que la seule solution c’est l’unité contre l’occupation qui veut frapper toute la résistance palestinienne comme Hamas et le Djihad Islamique et le Front Populaire, les forces qui luttent contre l’occupation. Nous pensons que le Front Populaire, malgré toutes les divergences idéologiques que nous avons avec eux, est l’organisation la plus crédible et la plus cohérente sur la question des droits de notre peuple palestinien.
En tous cas, nous voulons chercher les points communs avec toutes les forces politiques palestiniennes, nationalistes ou de gauche ou autres. Si nous partageons les buts, les moyens et les tactiques, nous voulons travailler avec ces gens-là et nous coordonner avec eux, joindre nos efforts à leurs efforts dans l’intérêt de notre peuple. C’est notre vision et l’orientation que nous appliquons.
Si vous êtes au pouvoir, allez-vous installer un pouvoir islamique fondamentaliste comme les Talibans ?
En ce qui concerne les Talibans, nous respectons tout le monde, mais nous ne souhaitons pas que notre modèle ressemble au modèle des Talibans ou d’Al Qaida. Leur philosophie n’est pas construite sur une compréhension correcte de la religion islamique qui est interprétée par eux comme un slogan. Nous croyons que l’Islam veut vivre et dialoguer avec les autres ; un Islam qui veut dialoguer avec d’autres civilisations, sans conflits entre elles ; un Islam qui croit dans la science, la découverte et l’origine du monde ; un Islam qui respecte la femme, un Islam qui croit à l’égalité sociale et au partage, un Islam qui croit à la suprématie de la loi et à l’indépendance de la justice, à égalité des chances entre les gens et aux droits des citoyens, un Islam qui croit à la liberté, c’est ça l’Islam. C’est ça l’Islam comme nous l’interprétons et donc les Talibans, nous ne souhaitons pas que ce soit notre modèle, parce que cette interprétation de l’Islam n’est pas correcte.
Il semble que vous ayez plus de relations avec le Hezbollah ? Quels sont les points communs entre le Hezbollah et le Hamas ?
En ce qui concerne le Hezbollah, son orientation est claire. Il appartient à la communauté shiite, mais nous ne regardons pas ces détails-là, parce que nous pensons que le Hezbollah est un mouvement avec un projet et des buts qui sont les mêmes que les nôtres. Nous avons des divergences secondaires. C’est très normal, leur programme et leur vision sont très proches de la nôtre. Je pense qu’ils reprochent la même chose à Al Qaida et aux Talibans que nous.
Si vous êtes au pouvoir, les femmes n’auront plus de droits et vous allez jeter les juifs à la mer ?
(Il rit). Ce n’est pas vrai, parce que la femme fait partie de notre mouvement et de notre réalité, car elle fait le même effort que l’homme. Elle est dans le bureau politique de notre organisation. Nous avons permis aux femmes de combattre l’occupation aux côtés des hommes. Nous avons des martyres, des sœurs prisonnières à vie. La femme condamnée à la plus longue peine de prison est une femme de Hamas, Alham Tamimi. Elle a été condamnée à 17 fois la perpétuité. Il y a des dizaines de prisonnières femmes.
Lors des dernières élections municipales, parmi les 180 femmes qui se sont présentées aux élections, il y avait environ 140 femmes militantes du Hamas ou proches du Hamas. C’est bien la preuve que nous soutenons les femmes. Nous avons des femmes ingénieures, avocates, médecins, docteur de l’université, dans la religion et dans la politique. Nous ne posons pas des restrictions à la femme, au contraire, on la pousse à prendre tout son rôle comme le fait l’homme.
En ce qui concerne les juifs « qu’il faut jeter à la mer », ce sont des propos qui ne sont pas corrects, qui sont faux. Nous ne sommes pas contre la religion juive, mais nous sommes contre l’occupation israélienne qui contrôle notre terre et nos lieux sacrés. Ils ont chassé notre peuple, ils ont assassiné notre peuple, c’est avec eux que nous avons un conflit.
La situation des Palestiniens est pire tous les jours. Avez-vous un espoir pour l’avenir ? Quelle est votre stratégie politique et militaire à court terme ?
Il y a l’occupation. Il faut utiliser tous les moyens pour les faire sortir de notre terre. Il y a eu des négociations, à Oslo et à Madrid et plusieurs rencontres, mais il n’y a pas eu de résultats. Le retrait de Gaza n’est pas le résultat d’une négociation, mais de la résistance, des missiles et des opérations effectuées par notre peuple. Comme le peuple palestinien n’a pas encore retrouvé ses droits nationaux, c’est notre droit de résister pour arriver à un Etat palestinien entièrement souverain. Nous ne comptons pas beaucoup sur les négociations, parce que l’occupation les utilise pour manipuler et pour créer des faits accomplis sur le terrain. Depuis Oslo, la colonisation n’a pas seulement doublé, elle a explosé. Jérusalem est judaïsé et isolé. L’escalade des attaques contre notre peuple continuent, avec des négociations comme couverture. Nous pensons que les négociations ne sont pas utiles sous l’occupation israélienne.
Quelle est la principale différence entre la résistance palestinienne et irakienne ?
Nous croyons que l’occupation israélienne est totalement différente de toutes les occupations dans le monde. L’occupation israélienne est une occupation colonialiste qui veut éliminer l’existence du peuple palestinien. Cette occupation pense que c’est sa terre, ses lieux saints et pour nous aussi c’est notre terre, nos lieux saints. Notre contradiction avec cette occupation est basée sur des principes, sur la religion et là-bas en Irak, c’est différent. Nous considérons que les Etats-Unis, l’Angleterre et les autres armées qui se trouvent en Irak sont des forces occupantes et nous croyons au droit à la résistance des Irakiens, mais il y a des opérations qui ciblent des civils et qui provoquent des problèmes interconfessionnels, la guerre confessionnelle et la guerre civile. Nous sommes contre ces opérations qui visent les innocents et qui provoquent une guerre entre les confessions.
Propos recueillis par Mireille Court pour Rouge (France) et Chris Den Hond pour La Gauche (Belgique)