Fadwa Barghouthi, avocate palestinienne, était présente au tribunal militaire de Ofer, près de Ramallah, le 4 mai 2004 pour l’audition de son fils Qassam , arrêté le 24 décembre 2003, dont elle est l’une des défenseurs.
Elle a oublié son téléphone portable sur son siège et cela a servi de prétexte à son arrestation à la sortie du tribunal. Pendant quelques heures en cellule, elle a subi interrogatoire, pressions, menaces, car « elle aurait voulu remettre son téléphone à son fils ».
Cela pourrait n’être qu’un harcèlement désagréable et inacceptable de plus. Mais les autorités militaires israéliennes ont déclaré Mme Barghouthi indésirable à Ofer dorénavant. Elle ne pourra plus y entrer, que ce soit pour assister son fils ou tous les autres détenus et prisonniers qu’elle défend. De la même manière elle s’était vu interdire la défense de son mari Marwan en 2002.
Elle ne peut donc les voir ni en tant que membre de la famille immédiate puisque les visites leur sont interdites, ni en tant qu’avocate, ce qui a pour but de peser psychologiquement sur les deux prisonniers afin de les affaiblir. Le Comité pour la défense de Marwan Barghouthi et des autres prisonniers en appelle aux organisations humanitaires, juridiques, aux parlementaires étrangers afin qu’ils imposent le respect du droit international et la protection du peuple palestinien.
Quant à Qassam Barghouthi, il attend toujours de connaître la suite de son « affaire ». Rappelons que Qassam, 18 ans, fils aîné des Barghouthi, étudiant en Egypte, avait été menacé à plusieurs reprises depuis l’enlèvement et l’arrestation de son père. Pour faire céder Marwan, les autorités militaires israéliennes qui lui infligeaient des interrogatoires inhumains, le menaçaient de s’en prendre à son fils, de le tuer ou de l’arrêter. Les soldats israéliens l’ont effectivement arrêté au poste « frontière » alors qu’il venait à Ramallah retrouver sa famille pour des vacances.
Cela fait plus de 4 mois que Qassam est détenu avec de nombreux autre Palestiniens qui croupissent dans la prison militaire du camp d’Ofer, sans jugement, sans parfois de chef d’accusation.
Lieu sinistre, c’est là aussi que Abla Saadat, la femme du dirigeant du Front Populaire de Libération de la Palestine, incarcéré dans la prison palestinienne de Jéricho sous contrôle anglo-américain depuis fin avril 2002(1), a passé plusieurs semaines l’an passé. Sans raison officielle. Même tactique des autorités d’occupation, harceler, faire céder les résistants. Mais les résistants ne cèdent pas.
En ce qui concerne Qassam Barghouthi, il se trouve que le jour de son audition, les avocats palestiniens à Ofer étaient en grève.
Pas une grève professionnelle, non, une grève pour les droits humains, pour les droits de la défense. Une grève pour le droit.
Ils protestaient ainsi contre les brutalités dont ont été victimes 9 d’entre eux. A Ofer, les militaires israéliens ne se contentent plus de maltraiter les Palestiniens arrêtés et présentés au tribunal ou détenus dans le centre militaire ( 2), ils frappent aussi leurs avocats.
Les atteintes au droit par les autorités israéliennes et les soldats qui suivent leurs ordres n’ont décidément pas de limite.
Les avocats palestiniens prévoient d’ailleurs une grève nationale cette semaine pour dénoncer ces violences.
En ce qui concerne Marwan Barghouthi, les nouvelles sont aussi inquiétantes. Il est toujours détenu au secret, sans contacts avec l’extérieur sinon parfois avec ses avocats à travers une vitre. Sa santé reste précaire et ses demandes répétées d’être examiné par un médecin restent sans réponse. Cela fait maintenant 7 mois qu’une équipe sanitaire a pu le rencontrer, qui ne comportait pas de médecin mais seulement des infirmiers et les médicaments prescrits ne lui ont pas été donnés. Rien depuis.
Cela fait plus de deux ans que Marwan Barghouthi a été kidnappé à Ramallah et arrêté, puis, comme le député de Balata à Naplouse Hussam Khader un an après lui, détenu en Israël en contravention avec le droit international.
L’interdiction d’accès aux soins médicaux est une autre violation du droit qui est imposée à de nombreux prisonniers ou détenus administratifs palestiniens tout comme les violences répétées à leur encontre. (3)
Les organisations humanitaires, médicales et légales, la Croix Rouge Internationale, les représentants démocratiques des peuples d’Europe, les autorités politiques internationales doivent faire pression sur le gouvernement Sharon pour que les prisonniers palestiniens soient traités selon le droit et que leurs avocats puissent exercer librement.
Au delà de cette exigence immédiate, nous demandons avec force la libération de tous les prisonniers politiques palestiniens, qu’ils soient détenus en Israël ou en Palestine occupée dans des colonies ou autres camps militaires.
(1)suite aux pressions imposées à l’Autorité Palestinienne par Sharon, pour lever le siège de la Muqata’a en avril 2002 pendant la réoccupation meurtrière des villes et zones autonomes palestiniennes (notamment Naplouse, Jenine, Bethléem et Ramallah) et finalement acceptées par le président Arafat.
(2)voir article de Amira Hass ci-dessous, publié dans Haaretz du 9 mai 2004
(3)voir sur le site l’article sur les prisonniers du 16 avril 2004
Silence au tribunal
Amira Hass, de Ramallah - 09-05-2004
Les détenus palestiniens qui voulaient dire bonjour à leurs familles au tribunal militaire ont été agressés et battus par la police, déclarent leurs avocats.
Les avocats qui se trouvaient assis dans la salle d’attente du tribunal militaire de la base des Forces israéliennes de défense au sud-ouest de Ramallah ont tout d’un coup entendu crier. C’était le dimanche 2 mai vers 13h. Ils ont couru pour voir.
"J’ai vu un groupe de policiers peut-être huit ou dix, tapant et tapant encore, et j’ai vu les têtes, les jambes, les bras des détenus battus, peut-être trois ou quatre d’entre eux, allongés par terre". Les avocats ont crié "Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?" et l’officier de police responsable à crié : "Les gars, les gars, flanquez tous les avocats hors d’ici" a déclaré l’avocat Khaled Kuzmar de Ramallah.
L’avocat Faiz al-Shami de Be’er Sheva était à l’intérieur du tribunal (qui se trouve dans un préfabriqué) quand tout a commencé et il raconte : "Il y avait cinq détenus au tribunal. Les familles étaient là aussi. Un des détenus, j’ignore son nom, parlait avec sa famille, à sa mère. Il était là et parlait de loin..
Un policier (responsable de la prison) a dit au détenu "Ne parle pas. Assieds-toi. C’est moi qui décide ce qui se passe ici" et ils ont commencé à discuter.
Le policier l’a assis de force et l’a fait tomber sur le banc. Après avoir été poussé le détenu s’est relevé pour lui dire de le laisser parler à sa famille et alors une dizaine de policiers sont entrés. L’un des policiers, un homme âgé, qui venait de l’extérieur a essayé de calmer les choses et a tendu la main vers l’un des détenus pour le faire asseoir. Mais les autres policiers ont fait sortir les détenus en les frappant, les ont traînés dehors et ont fermé la porte. Toute la famille était en larmes.
Le juge n’était pas dans le tribunal. Il y avait seulement le procureur militaire , l’interprète, la sténo et quelques avocats. "Nous n’avons rien pu faire pour les empêcher de frapper" ont-ils dit.
L’avocat Saleh Ayoub de Jérusalem se trouvait aussi au tribunal militaire : "Six détenus sont entrés et ils se sont assis à leurs place. Ils étaient accompagnés d’une unité de police. L’un des détenus, assis au centre, s’est levé pour dire bonjour à sa mère, à distance. Il ne risquait pas de la toucher.
Les détenus étaient assis derrière une barrière basse. Les familles assises sur les bancs derrière. Il y avait des soldats qui les séparaient. Le détenu a fait signe, le policier l’a attrapé par le cou et l’a assis de force.
Le détenu a demandé : "Qu’est-ce que vous faites ?"
Et le policier a crié : "Ils se mutinent, ils se mutinent".
Des renforts de police sont entrés, et les ont battus. Les familles, d’où elles étaient, pleuraient. Elles ne pouvaient strictement rien faire. Elles ont aussi été éjectées du tribunal.
Dimanche après midi les avocats, Mohammed Shadsan de Al-Aroub et Khaled lAraj de Wallaja, ont transcrit ce que les hommes battus avaient à dire sur tous ces évènements.
Ahmad Yusuf, 18 ans, du camp de réfugié d’Aida, se trouvait parmi les détenus battus. Il est détenu au Compound Russian à Jérusalem depuis le 25 mars.
Usuf : "J’étais dans le bloc des détenus et j’ai essayé de parler à ma mère ; le policier m’a hurlé "Assis !" et il m’a appuyé dessus durement pour que je m’asseye. Il a déchiré ma chemise. Un groupe de policiers est venu et a commencé à me battre, m’a traîné par terre et m’a jeté hors du tribunal. L’un d’eux m’a poussé avec les pieds pour me faire sortir du tribunal.
J’ai été cogné contre la barrière, en face de l’entrée, j’ai été jeté dans un coin et le policier (Yusuf a donné son nom qu’il avait lu sur sa plaque. A.H) a dit à ses collègues que c’est moi qui avais provoqué l’incident.
Ils ont commencé à me donner des coups de pieds sur tout le corps, sur le visage et sur la poitrine. Ensuite ils m’ont menotté et m’ont mis dans un véhicule, en continuant de me battre en route.
Muhammad Karaj de Bethlehem, 19 ans, qui est incarcéré au Russian Compound depuis le 15 mars, a aussi voulu parler à sa mère.
"Mes mains et mes pieds étaient attachés. Parce que j’essayais de parler à ma mère qui était dans le tribunal, j’ai été agressé et frappé violemment. Les policiers m’ont emmené et m’ont jeté dans les escaliers. J’ai roulé par terre, le visage baissé, et ils m’ont frappé à coups de pieds et m’ont marché dessus ; je n’avais pas la force de résister à tant de policiers, et leur officier a aussi participé aux coups".
Adnan Nasser, 26 ans, du camp de réfugiés de Balata est arrêté depuis le 11 mars.
Il a déclaré aux avocats :"J’étais dans le bloc des détenus. A côté de moi un autre détenu du nom de Ahmad Lufi, dont la mère, qui était dans le tribunal , a essayé de lui parler. Je me suis aussi levé pour parler à ma mère.
C’est là que tout a commencé ; quand à plusieurs reprises, ils nous ont ordonné de nous rasseoir et d’arrêter de parler, un policier a essayé d’appuyer sur lui pour le faire rasseoir et ils ont déchiré sa chemise.
Alors d’autres policiers sont arrivés et ont commencé à battre les détenus dans le tribunal. Le commandant de l’unité m’a demandé de me rasseoir et pendant que je lui parlais les policiers nous ont éjectés, nous ont frappés et nous ont jetés, l’un après l’autre, hors du tribunal.
J’ai parlé au commandant et essayé de lui dire que j’avais subi une opération du rein et que la cicatrice est visible, mais il n’a pas répondu et m’a aussi frappé au visage. Les soldats continuaient à me battre, et j’étais allongé par terre ; après quoi, ils m’ont attaché les mains et traîné dans une voiture, sans cesser de me battre et m’ont menacé avec leurs armes."
Munjid Suleiman, 23 ans, de Beit Our al-Tahta, est détenu au Russian Compound depuis le 18 mars.
Il a déclaré que pendant qu’on le battait, l’un des policiers a chargé son arme. "J’ai été frappé au genou droit, sur le dos et aussi dans la région de l ’oeil droit" dit-il.
Ismail al-Farajin d’Al-Aroub, 39 ans, est arrêté depuis le 18 mars.
Il a déclaré aux avocats que l’"un des proches d’Ahamd Yusuf est entré au tribunal, Ahamed l’a salué de loin, et après lui toutes les familles sont entrées et nous avons tous fait bonjour à nos familles ; soudain la bataille commencé. Nous nous sommes retrouvés éjectés de force du tribunal.
J’ai été poussé contre le mur. D’abord j’ai été battu , mais je ne suis pas tombé. Après seulement, ils nous ont traînés jusqu’à la voiture, ils m’ont frappé violemment, surtout au niveau de l’oreille droite et sur le dos".
Iyad Abu Jouda, 32 ans, du camp de réfugiés de Deheisheh, est en détention au Russian Compound depuis le 24 février.
Il était assis sur une chaise à l’extérieur du bloc fermé des détenus (prévu pour cinq mais généralement on amène six détenus en même temps au tribunal) :
"J’ai vu l’un des deux soldats qui étaient au tribunal attaquer Ahmad et le pousser violemment contre le mur. Soudain, ils sont tous entrés et ils m’ont poussé tout droit, et ont fini par m’expulser du tribunal. Je suis tombé, et quand l’un d’eux a braqué son arme sur moi et l’a chargée, j’ai été terrorisé.
Ils m’ont traîné par les cheveux du tribunal à une cellule (une petite pièce où les détenus sont gardés- A.H.) et ils m’ont enchaîné les mains avec les menottes. Quand on a été mis dans un véhicule ils ne m’ont pas battu, mais je les ai vus battre les autres.
Le commandant de l’unité qui était assis avec moi a demandé aux soldats (des policiers) d’arrêter de taper, mais ils ne l’ont pas écouté".
Ofer Lefflet, le porte-parole de la prison, a déclaré : "Les combattants de Nashon Unit of the Prison Service, qui ont la charge des terroristes, détenus de sécurité, dans les prisons militaires, ont maîtrisé six terroristes qui se mutinaient au tribunal Militaire du Camp Ofer. Les six terroristes présents au tribunal ont essayé de prendre (physiquement) contact avec les membres de leurs familles et c’est contraire aux ordres et aux règlements du Service des Prison.
Résultat de l’activité des terroristes : des troubles ont éclaté à l’intérieur du tribunal. Ils étaient fomentés par les familles et les terroristes. Après une courte bataille les terroristes ont été sortis du tribunal et transférés dans une cellule de détention. Les familles ont été expulsées du tribunal par l’armée. En raison de la requête du président du tribunal et après que les choses se soient calmées, les terroristes ont été ramenés au tribunal".
Juste après que les policiers ont cessé de battre les détenus, les avocats du tribunal militaire se sont mis en grève pour protester contre le fait que les détenus aient été battus dans les locaux du tribunal militaire.
Selon les avocats, le vice président de la Cour d’Appel militaire, Yoram Hanniel, leur a recommandé de porter plainte auprès du Bureau d’enquête sur l’activité de la Police.
Le procureur Ahmad Safiyya de Jérusalem craint que la plainte ne soit pas reçue. D’après lui, il y a environ un mois, les avocats ont envoyé une lettre de plainte au président du Tribunal Militaire après qu’un policier ait battu un détenu, lettre restée sans réponse.
"C’est le tribunal militaire qui est responsable du fait que dans ses locaux et devant leurs parents et leurs avocats, les policiers battent les détenus, sans se cacher et sans restriction", dit Safiyya
En ce qui concerne la responsabilité du tribunal militaire, eu égard au bien-être des détenus, le porte parole de l’IDF répond :
"Il arrive que des altercations verbales interviennent entre les détenus et les forces qui les accompagnent, ce qui dans de rares cas entraîne l’usage de la force. Quand de tels incidents ne se produisent pas devant le juge, on doit vérifier si l’usage de la force était justifiée, selon les procédures d’usage, en portant plainte auprès de la police, du département des enquêtes de la police ou de la Police Militaire.
Jusqu’à présent, le tribunal n’a pas reçu de plainte concernant des détenus battus par des policiers.
Au cours de l’incident du 2 mai, aucun soldat n’était impliqué"