Peu de temps après la publication des résultats des élections, le 17 septembre au soir, des discussions ont commencé sur le fait qu’Ayman Odeh allait devenir la figure d’opposition de la prochaine Knesset. Des murmures se sont fait entendre : Odeh flanqué de gardes du corps du Shin Beth ? Odeh dans une voiture officielle, blindée même ? Odeh à la table de réunion avec les dirigeants internationaux ? Vous plaisantez.
Pire : Odeh en possession de renseignements sensibles issus des briefings de la défense. Soit la prochaine crise existentielle d’Israël. Mais les commentateurs n’ont pas tardé à nous mettre à l’aise : il y a des moyens de contourner la loi, disent-ils, la Knesset peut choisir un autre leader de l’opposition, il n’a pas besoin d’être au courant de quoique ce soit, le Shin Beth trouvera bien un moyen, pas la peine de s’inquiéter, ayons foi en la démocratie israélienne.
On comptait encore les votes de la seule démocratie du Moyen-Orient, que les têtes immondes du racisme et de l’ultranationaslime se levaient déjà. Non pas, bien sûr, le racisme vulgaire de Benzi Gopstein et Michael Ben Ari, sévèrement battus aux élections, ni celui de Benyamin Nétanyhou qui attise la peur des Arabes. Non mais sa face cachée, celle qui passe facilement, drapée dans des excuses sécuritaires et qui est incommensurablement plus dangereuse parce qu’elle est plus gentille et plus ordinaire. A peine fera-t-elle froncer quelques sourcils.
En Israël, le politiquement correct permet de traiter tout Arabe comme un élément suspicieux, même le dirigeant du parti arrivé troisième aux élections. Il est décourageant de penser à quel point cette discussion est politiquement correcte : Odeh a été dépeint depuis le début comme un traître, à qui on ne peut pas faire confiance avec des secrets d’Etat tant il est évident qu’il trahira son pays en les divulguant à l’ennemi. Cette ligne de pensée est dénuée de toute légitimité, et elle n’est pas l’apanage de ceux qui détestent les Arabes. Des gens sérieux soulèvent ici un débat sérieux.
Telle est l’illusion de ces élections : elles créent la fausse impression que les citoyens palestiniens font partie du jeu. C’est la même chose avec le vide de la propagande israélienne qui sert de réponse aux accusations d’apartheid : nous avons des députés arabes, contrairement à ce qui se passait en Afrique du sud, donc il n’y a pas d’apartheid. Mais quand les Arabes réussissent à devenir le troisième parti représenté à la Knesset, comme ils l’ont prouvé (de nouveau) au cours de ce scrutin, alors les maques tombent et on siffle la fin de la partie.
Leurs représentants peuvent présider le comité de la décoration, ils peuvent poser des questions parlementaires et même représenter la Knesset dans les délégations parlementaires mais ils ne peuvent pas avoir connaissance des secrets d’État car l’État, après tout, n’est pas vraiment leur État.
Les sous-entendus de cette discussion sont méprisables. Si Odeh ne peut pas mener l’opposition, ne serait-il pas préférable d’interdire tout bonnement la Knesset aux Arabes ? S’ils sont toujours suspectés de trahison, alors ils n’appartiennent pas au corps législatif. Qu’allons-nous faire alors de notre démonstration de démocratie égalitaire ?
Le voile de la démocratie est fin et sa fragilité se révèle douloureusement évidente dès que les bureaux de vote se referment. En fin de compte, le chef de l’opposition doit faire partie de la coalition : la coalition, telle qu’acceptée par convention, du sionisme, des Juifs. Sinon il n’a pas de place dans cette démocratie antidémocratique. Nous rejetons a priori la possibilité pour les partis arabes de rejoindre une coalition gouvernementale et aujourd’hui, ils ne conviennent même plus pour incarner l’opposition.
Israël ne veut que des bons Arabes pour siéger à la Knesset, voire pas du tout, et aussi une opposition sans opposition, pas gênante, qui ne résiste pas, qui ne soit pas différente, une opposition pour sa majesté. Derrière tout ça se cache l’identité d’Odeh et de ses partenaires de la Liste arabe unie. Israël n’est pas prêt à voir un Palestinien israélien haut fonctionnaire. L’excuse de la sécurité est évidement infondée. Odeh et ses partenaires sont bien plus loyaux à Israël qu’il ne l’est à eux ; quiconque est élu selon la loi a le droit de tout savoir.
Un gouvernement d’unité est une mauvaise nouvelle mais derrière chaque nuage se cache une lueur d’espoir : cela pourrait constituer un défi pour Israël. Accueillons Ayman Odeh en tant que chef de l’opposition. Il prendra la parole immédiatement après le Premier ministre à chaque débat parlementaire important. Il aura connaissance de détails de sécurité, il sera conduit en voiture officielle et laissons les Juifs Israéliens exploser de colère.
Traduit de l’anglais par l’AFPS