C’est une variante palestinienne du " Yes, we can " de Barack Obama : " By participating - " en participant " aux élections municipales d’Hébron - , we can ! ", énonce le slogan de campagne de Maysoun Qawasmi. Jolie formule mais, pratiquement, y a-t-il défi plus incertain ? Une liste composée de onze femmes qui se lancent à la conquête de la mairie de la ville réputée la plus conservatrice de Palestine, qui fut longtemps un fief du Hamas (et l’est peut-être encore) ? Balivernes, échec assuré, prédisent les caciques du Fatah, le parti dominant de l’Autorité palestinienne, qui présente sa liste officielle, avec un espoir raisonnable de l’emporter.
Les voilà toutes les onze, assises autour d’une table, dans la cour de la maison de Maysoun, sise dans un quartier résidentiel d’Hébron. Toutes portent le hidjab, mais surmonté d’une paire de lunettes de soleil. La plupart ont un emploi ; ce sont des femmes " modernes ", du moins autant qu’on peut l’être dans une société où il est inenvisageable de se livrer à une activité professionnelle ou politique, sans l’accord, qui de son mari, qui de son père ou de ses frères... Les jus de fruits circulent, un chaton joue à l’ombre d’une Mercedes noire, la conversation s’anime, on parle stratégie de campagne : quels thèmes choisir pour les interventions dans les médias ?
Facile : le prix de l’eau, de l’électricité, l’absence de services sociaux, l’inertie du conseil municipal sortant, sans oublier de parler aux femmes de leurs droits. Comment ? La recette est connue : " Le porte-à-porte, c’est la meilleure stratégie, qui a si bien réussi au Hamas ", insiste Maysoun Qawasmi. Encore faudrait-il qu’une hypothèque soit levée : le scrutin aura-t-il lieu ? Repoussé à deux reprises dans le passé, il a été fixé au 20 octobre, sans le Hamas. Parce que la réconciliation interpalestinienne n’a jamais été aussi illusoire, la commission électorale de Gaza n’a pas entamé l’enregistrement des électeurs.
Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, accuse le Mouvement de la résistance islamique de vouloir établir un " émirat indépendant à Gaza " et, à Naplouse, Kalkiliya, Tulkarem et Hébron, les forces du Fatah arrêtent et jettent en prison les militants du Hamas. Celui-ci boycotte les élections, lesquelles se dérouleront exclusivement en Cisjordanie. En principe. Maysoun Qawasmi partage les craintes d’Anouar Abou Eisheh, figure centrale de la liste du Fatah et maire putatif d’Hébron : qui sait si le président égyptien Mohamed Morsi, que l’on sait très impliqué dans la réconciliation palestinienne, ne va pas suggérer à M. Abbas de reporter encore cette - rare - occasion de démocratie locale, afin de laisser une énième chance à la réconciliation des frères ennemis palestiniens ?
De toute façon, les Hébronites n’ont plus beaucoup d’illusions : la dernière fois qu’ils ont choisi leur maire, c’était... en 1976. En 2005, la plus grande ville de Cisjordanie (environ 180 000 personnes), empêtrée dans les luttes fratricides, n’avait pas voté. Pour court-circuiter le Hamas, le maire sortant (qui ne se représente pas), Khaled Osaily, avait été installé par le Fatah. Mais aux élections législatives de 2006, la ville sainte (pour les musulmans comme pour les juifs) avait élu six députés du Mouvement de la résistance islamique sur sept !
Dans une cité dont le coeur historique est squatté depuis douze ans par 450 colons juifs protégés par 1 500 soldats israéliens, le mot " occupation " a tout son sens, et le Hamas dispose d’une rente politique. C’est dire que, s’il est officiellement absent de la campagne électorale, il n’en reste pas moins puissant : " En sous-main, dit Maysoun, il peut soutenir telle ou telle liste. " Directrice de l’agence de presse Wafa à Hébron, âgée de 43 ans, mère de cinq enfants, la tête de la liste By participating, we can ! ne se dissimule pas l’ampleur de la tâche.
Dans le chaudron d’Hébron, où les tribus et les grandes familles contrôlent toute la vie sociale, cette démarche féministe déroute : ici, pas de cinéma, pas d’alcool, pas de femme à scooter et pas de mobilisation pour lutter contre les " crimes d’honneur ", la polygamie et l’inégalité des sexes devant le divorce. " Il y a sept ans - avant la fin de la seconde Intifada - , se rappelle Maysoun Qawasmi, les femmes ne portaient pas de hidjab. Aujourd’hui, contrairement à Ramallah ou à Bethléem, c’est socialement obligatoire. " Il n’empêche : diriger une liste homogène de femmes - " Une première dans le monde arabe " -, cela donne tous les courages.
D’autant qu’un cheikh le lui a confirmé : une femme maire, c’est " halal " (légal, du point de vue islamique). Femme " forte et indépendante ", comme elle se définit elle-même, Maysoum Qawasmi a bon espoir de faire passer de trois à au moins six (sur quinze sièges) le nombre de femmes au conseil municipal. Ses critiques du Fatah sont donc mesurées, et elle reconnaît qu’Anouar Abou Eisheh, qui dirige l’Association d’échanges culturels France-Hébron, est un " homme indépendant, qui pourrait devenir le prochain maire, parce que beaucoup de gens le respectent ".
A Hébron, ce satisfecit, bien que peu contredit, nourrit les calculs de ceux qui pensent que la liste des femmes viendra grossir, in fine, l’assise municipale du Fatah. Maysoun Qawasmi ne conteste pas une certaine affiliation : son mari, ainsi que toute sa famille, " vote " Fatah, et son beau-frère n’est autre que le ministre des autorités locales, Khaled Qawasmi. Anouar Abou Eisheh est beau joueur : " C’était malin de sa part de placer Liyana Abou Eisheh, ma nièce, en numéro deux sur sa liste de femmes ! " Il ne veut pas être en reste : " Bien sûr que je soutiens les femmes ; si je n’étais pas engagé auprès du Fatah, j’aurais voté pour elles ! "