Elor Azaria est en droit de protester à maintes reprises de ce que l’armée a usé de discrimination à son encontre, et les officiers de l’armée sont en droit de lui répondre comme suit : la prochaine fois que tu exécutes un Arabe, assure-toi qu’il n’y a pas de caméras en train de te filmer. La prochaine fois, agis comme ce policier israélien anonyme qui a tiré sur un jeune ambulancier, Sajed Mizher, et l’a tué, à 6 h 30 du matin, alors qu’il était en route pour soigner un homme blessé par arme à feu sur la principale route vers le camp de réfugiés de Dheisheh.
Examine la différence, Azaria, lui dira l’armée. Et alors elle tordra le couteau qu’elle lui a planté dans le dos : toutes les semaines nous tuons quelques Arabes, nous nous assurons qu’il n’y a pas de photos et alors nous déclarons qu’ils étaient des terroristes. Notre version des évènements est sacrée. Deux ou trois journalistes gênants posent des questions, et nous apportons des réponses, mais ils ne vont pas à l’essentiel. Les articles sont publiés et nos fils héros sont protégés par leur anonymat sacré.
Par chaque Palestinien tué en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza, l’armée nous rappelle combien ses déclarations de dégoût à propos d’Azaria étaient creuses et hypocrites. Mais les faux semblants de moralité de l’armée ne sont plus nécessaires pour mériter l’accolade de dirigeants nationaux. Pas quand ces leaders sont Donald Trump ou Viktor Orban. Pas quand les exigences de mettre un frein au colonialisme d’Israël sont considérées comme de l’antisémitisme en France, en Grande-Bretagne et en Allemagne.
En Israël par-dessus tout, l’hypocrisie est inutile. Tout témoignage, tous les rapports et articles d’investigation sur la facilité avec laquelle nos soldats tuent des Palestiniens non armés disparaîtront alors de toute façon sans laisser de trace. Juste comme les rapports sur la mort de deux jeunes hommes, Amir Dar Daraj et Yusef Anqawi, disparus sans laisser de trace.
Voici un rappel : le 4 mars, un véhicule blindé des Forces de Défense Israéliennes est tombé en panne en cours de route pour procéder à une arrestation nocturne à Kafr Na’amah, à l’Ouest de Ramallah. La voiture dans laquelle se trouvaient Amir et Yusef s’est écrasée dans la collision avec le véhicule blindé dont les lumières n’étaient pas allumées. Un officier et un policier ont été blessés. Les soldats ont ouvert le feu sur le conducteur et son compagnon. C’était une attaque à la voiture-éperon, a raconté l’armée aux journalistes.
Quelqu’un a effectivement filmé ceci. D’accord, il faisait noir, mais les bruits sur la vidéo peuvent être entendus nettement. Immédiatement après la collision un seul coup a été tiré. Quatre minutes et demie se sont alors écoulées avant que les neuf autres coups aient été tirés -quatre minutes et demie. L’Unité du Porte-parole des FDI ne s’est pas donné la peine de répondre aux questions sur les raisons pour lesquelles les soldats ont tiré et tué les deux Palestiniens quatre minutes et demie après l’accident.
L’ONG israélienne de défense des droits humains, B’Tselem, a envoyé les vêtements des morts, que les soldats leur ont retirés, pour un examen médico-légal. Les résultats complets sont publiés ici pour la première fois.
Il faisait froid. Yusuf portait un maillot avec des rayures blanches et noires, un chandail beige et un chandail noir avec des triangles rouges et blancs. Tous ces trois vêtements avaient trois trous faits par balles, sur l’épaule gauche. Amir portait une veste de survêtement verte et un chandail gris. Les deux vêtements avaient quatre trous faits par des balles, sur l’épaule gauche.
Ces sept trous sont le type de trous qui résulteraient de l’usage d’un fusil à grande vitesse tirant d’une certaine distance, a énoncé le rapport médico-légal. La veste de survêtement d’Amir comportait aussi six trous au niveau de la taille, et son chandail avait cinq trous dans la même région. Certains peuvent avoir provoqués par des ricochets ou par des éclats, mais ils correspondent, aussi, au type de trous provoqués par un fusil à grande vitesse.
Alors pourquoi cela devrait-il embarrasser les avocats militaires ? Les soldats ont confisqué l’enregistrement des caméras de sécurité sur un magasin voisin de menuiserie ; la voiture endommagée a aussi été confisquée et les corps n’ont pas été rendus à leur familles, conformément à la pratique admise de représailles. Et le fait qu’une enquête militaire sérieuse ait lieu ou non n’a aucune importance : les FDI défendent les soldats qui ont tué Amir et Yusef. A la différence d’Azaria, ils ont tué dans le noir. Dimanche matin, les FDI ont pris soin d’envoyer une unité militaire pour enlever un panneau dressé samedi en souvenir des deux hommes qui avaient été tués.
En tout, les soldats des FDI ont tué en mars 17 Palestiniens. Une armée qui dissimule les morts de Amir et Yusef ne doit pas être crue quelles que soient les histoires qu’elle raconte sur la mort des autres.
Traduit de l’anglais par Yves Jardin, membre du GT prisonniers de l’AFPS