Le check-point de Kalendia se modernise !
Les check-points, ce sont ces barrages militaires israéliens, omniprésents, fixes ou mobiles qui sillonnent le territoire autonome palestinien et contrôlent tous les accès.
Accessible, la Palestine ne l’est pas de suite...
C’est la première impression que donne cette terre : un territoire minuscule (5700 km2 soit 130 km du nord au sud sur une cinquantaine de kilomètres d’est en ouest) presque dérisoire, enclavé, enfermé derrière un mur, surveillé par plus de 600 check-points, soit 1 tous les 10 kilomètres qui entravent chaque déplacement. Le check-point de Kalendia est le point de passage le plus fréquenté par les palestiniens car il rejoint l’artère principale de Jérusalem à Ramallah et inversement.
La construction du mur qui serpente le long du territoire palestinien sans continuité mais selon une logique d’encerclement et d’isolement de zones habitées et de villages vient, en cette fin d’année, de rejoindre sa folle course à Kalendia ce qui entraîne une "modernisation" de ce point de contrôle : tunnels de barbelés, tours de surveillance, tourniquets électriques filtrant les passages un à un, le tout commandé à distance par les soldats israéliens surarmés derrière des vitres opaques.
Et voilà ! Le soldat israélien n’a même plus de visage ; les palestiniens ne croiseront plus son regard souvent juvénile quand ils exprimaient toute leur humiliation de ces traversées. Même scène au check-point de Bethléhem, rénové lui aussi pour soumettre les palestiniens à de tels systèmes de contrôles que, de plus en plus de personnes, renoncent à se déplacer. La société palestinienne est ainsi totalement déstabilisée depuis les travailleurs qui ne peuvent plus rejoindre leur lieu de travail jusqu’aux écoliers qui sont coupés de leurs écoles. L’objectif de construire 670 km de mur percé de 63 portes blindées et surveillées sera vite atteint à ce rythme.
670 km d’un mur haut de 8 mètres serpentant une distance d’environ 130 km du nord au sud ! Oui, on se dit vraiment qu’il y a dans une telle entreprise une imposture du gouvernement israélien à affirmer qu’il s’agit seulement d’un projet "sécuritaire". Déjà plus de 200 km de béton enferment les palestiniens et réduisent la terre de ce qui devait être le pays Palestine. Si on ajoute les 148 colonies en Cisjordanie que le mur a, pour beaucoup d’entres elles, miraculeusement incorporé (les colons évacués de Gaza ne représentaient que 2% du nombre total des colons qui, en Cisjordanie sont installés durablement !), sur le terrain, tout témoigne du véritable dessein de Sharon : faire de la Palestine une terre de bantoustans totalement aliénée au pouvoir israélien.
En aucun cas, un pays autonome.
Jaber restaurateur jovial et dynamique, vit dans le camp de réfugiés de Kalendia, juste après le check-point. Quand il témoigne, son air s’embrume : " Pour aller à l’école, mon fils doit maintenant franchir le check-point où faire des kilomètres de routes de "contournement". Le matin, je me dis qu’il va falloir traverser le check-point, attendre longtemps, se rappeler l’humiliation, voir le regard de mon fils dans une Palestine occupée... Alors je renonce et j’abandonne. Et puis, je regrette car je sais que résister, ce n’est pas abandonner. Il faut passer le check-point, continuer à aller à l’école, montrer qu’on est là, qu’on restera là...".
Son témoignage renforce notre conviction d’étendre la campagne pour le droit à l’éducation des enfants palestiniens que notre association a lancé pour 2006 (campagne qui prévoit la sortie et la vente d’un CD de chansons et d’une tournée de concerts dont les bénéfices seront reversés à des projets pour le droit à l’éducation des enfants palestiniens des camps de réfugiés - lire Campagne de solidarité en musique).
Derrière le mur, la vie !
Les rues de Ramallah et surtout celles de Bethléhem scintillent sous les guirlandes lumineuses de Noël. Les rues sont animées et les palestiniens chrétiens (ils sont nombreux dans le centre de Ramallah, à Bethléhem et à Bet Jallah, proche) se préparent à la fête. En vérité, tous les palestiniens, chrétiens ou musulmans ont l’habitude de profiter de ce moment pour sortir le soir, se balader et savourer en famille ou entre amis l’ambiance particulière. Cette année, à Bethléhem, on a même organisé un marché de Noël très populaire. Le regard de Jaber pétille. Il n’est pas chrétien, "pas très musulman" non plus mais là, dehors, en union avec la foule qui suit le défilé palestinien de Noël, il résiste.
Derrière le mur, la vie !
A Ramallah, des centaines de personnes sont rassemblées dans le centre culturel car un hommage est rendu à Bashir Nafee, général palestinien, mort dans les attentats d’Amman en novembre dernier. Ils viennent tous à la tribune témoigner du rôle de cet homme de 45 ans, proche d’Arafat qui croyait à la voie politique pour rendre la Palestine libre et indépendante.
Fadwa, la femme de Marwan Bargouti, toujours emprisonné, est présente, émue. De nombreuses femmes sont là aussi, citoyennes palestiniennes investies dans l’engagement politique. Personne ne se trompe de cible pour évoquer la mort prématurée de Bashir Nafee : la communauté internationale dirigée par quelques puissances économiques reste sourde aux appels des populations pour faire appliquer le droit et la justice. Pas étonnant que face à des terrorismes d’Etats colonialistes répondent des terrorismes d’organisations radicales qui font écho à une manière identique et extrême de voir le monde.
Au milieu, il y a toutes ces femmes et tous ces hommes, qui continuent de penser la résistance à force de convictions, de dialogue et de gestes de tous les jours.
Derrière le mur, la vie !
Dans le camp de réfugiés de Dheisheh, près de Bethléhem, Ahmed Muhaisen, co-président de l’association nous livre son analyse de la situation politique actuelle. Quand on sait qu’aux dernières municipales, le Hamas a obtenu la majorité des sièges dans les villes de Jénine, Naplouse et El Bireh (banlieue de Ramallah), on peut s’interroger sur la tendance des prochaines élections législatives.
Plus caractéristique encore, à El Bireh et à Bethléhem, le mouvement islamique obtient de bons scores alors que nombreux sont les votants de confession chrétienne ! Ahmed pense qu’il y a une manipulation médiatique encouragée par l’Occident pour donner plus d’importance à la montée du Hamas qu’il n’en a, en réalité. Pour lui, c’est l’Occident qui fabrique le Hamas. Il précise :"70% des kamikazes lors des attentats de ces dernières années ne sont pas issus du mouvement Hamas mais appartenaient à des mouvements laïcs pour la plupart alors que l’Occident préfère les amalgamer au mouvement islamique Hamas !".
Concernant les municipales, il souligne qu’à El Bireh, il y a eu près de 60% d’abstentions et dans la plupart des cas le Hamas a obtenu une majorité relative puisqu’il a gagné en recueillant environ 20% des votes.
On ne peut pas dire qu’avec ça la Palestine est politiquement devenue Hamas ou parler de "raz de marée Hamas" comme il l’entend trop souvent dans les radios ou télévisions internationales ! Et tout cela dans un contexte créé suite au renforcement de l’occupation israélienne et à la construction du mur, à l’abandon des Occidentaux vis à vis des palestiniens et aux dissensions internes au sein du Fatah. Il rajoute : "certains palestiniens votent Hamas parce qu’ils veulent changer n’importe quand, n’importe comment, n’importe quoi ! La stratégie de la négociation politique du Fatah a échoué. Une autre alternative politique, c’est un autre espoir de vivre enfin libre mais qu’on ne s’y trompe pas, les palestiniens ne votent pas Hamas par idéologie. La preuve, je connais de nombreux des chrétiens de Bethléhem qui l’ont fait !".
On sonne à la porte.
C’est Raed, le voisin d’en face qui amène Oum Ahmed qui vend des broderies faites par une association de femmes du camp. Elle raconte qu’elle a été en prison, qu’un de ses fils y est mort et que le deuxième y croupit encore depuis des années. Bref, une brodeuse résistante ! Elle se retourne. Il y a une carte de la Palestine au mur. Elle nous montre leur village, Zakaria. La plupart des réfugiés palestiniens de Dheisheh sont de Zakaria. Soudain, Raed et elle commencent à évoquer Zakaria, les oliviers et les figuiers de barbaries. Tous les deux, pris dans leurs souvenirs, nous les voyons partir à Zakaria.
Derrière le mur, la vie !
Rencontre avec Jyad dans le camp de réfugiés d’El Amari.
Jyad vient de sortir de prison après 2 ans de détention. Il semble en forme même s’il va devoir faire des examens médicaux approfondis pour "vérifier". En fait, il n’en est pas à sa première expérience car en cumulant ces deux dernières années, cela fera 11 ans qu’il fréquente les geôles israéliennes ! Jyad est préoccupé par la situation politique palestinienne mais, comme tous ici, davantage par les réactions de "l’extérieur" que par les "mouvements" au sein du Fatah qui, dit-il sans manquer d’humour à notre encontre, "sont naturels dans le cadre d’une démocratie, non !?"
Il ne comprend pas les réactions de la communauté internationale qui s’effraie de la montée du mouvement Hamas alors qu’elle n’a rien fait pour soutenir l’Autorité Palestinienne dans l’exercice de ses fonctions. Pire, il ajoute "qu’elle a contribué à saper toute tentative de construction d’un Etat palestinien par son silence et son inertie face à un état israélien qui enfreint tous les droits internationaux". Pour Jyad, cela ne fait pas de doute, "ce sont les USA et l’Europe qui votent Hamas car ils ont abandonné les Palestiniens !".
Il ne croit pas non à une véritable crise au sein du Fatah et nous confirme que les responsables des deux listes Fatah sont prêts à fusionner pour n’en présenter qu’une, unie, aux prochaines législatives du 25 janvier. S’il y a débat dans le Fatah, il n’est pas idéologique mais lié à une perte de confiance des palestiniens dans l’Autorité actuelle.
Djamal, un réfugié de Kalendia qui était sur la liste des jeunes gardes du Fatah baptisée "L’Avenir" conduite par Marwan Bargouti pense que les Palestiniens sanctionnent le Fatah car ils ne voient aucun changement dans le quotidien.
L’occupation reste toujours aussi présente, le mur raciste progresse, la situation économique se dégrade, les méthodes d’arrestations se multiplient, les barrages militaires se modernisent ! Jyad rajoute : "c’est l’occupation qui est la première responsable de ces divisions et de la montée du Hamas !". Ils conviennent, ces deux réfugiés, qu’au delà des débats et oppositions indispensables à toute vie démocratique, les palestiniens sont politiquement divisés en deux blocs idéologiques : ceux qui croient dans la voie de la résistance politique et ceux qui croient à la résistance armée. Tous les deux et avec eux la majorité des palestiniens, croient encore, malgré tout, à la voie de la résistance politique...
On se hasarde à comprendre : "Malgré tout ça, le mur, les barrages, la prison, les colonies, la montée des mouvements radicaux, l’abandon de l’Europe, vous croyiez encore à la voie politique ?". Leurs regards se croisent, complices, sûrs d’eux : "Mais c’est une EVIDENCE ! Regarde autour de toi ! Où veux-tu que l’on aille ? Et où veux-tu qu’ils aillent les israéliens ? Quoi qu’on veuille maintenant, on est là, ils sont là et on va devoir vivre ensemble !"
Derrière le mur, la vie !
Isabelle Tordjman pour l’AJPF