Le sang de Mustafa Abdeen ne fait qu’un tour quand il voit des bulldozers abattre une maison. L’ouvrier du bâtiment de 35 ans, au chômage, qui vit dans un camp de réfugiés sur la frontière égypto-palestinienne, a regardé l’armée israélienne niveler deux fois sa maison ; et dernièrement, il y a un an, lors de l’Opération Rainbow, extirper les militants palestiniens et les tunnels servant à faire passer des armes.
Mais aussi malade que les démolitions le rendent, Abdeen espère que les soldats israéliens raseront encore un groupe de bâtiments avant de se retirer de la Bande de Gaza à mi-août : les 21 colonies juives et bases militaires qu’ils laissent derrière eux.
« Je ne les veux pas. Notre peuple préférerait voir ces maisons détruites et, à la place, recevoir des terres afin que nous puissions construire ce que nous voulons » dit Abdeen, qui vit maintenant avec sa femme et ses cinq enfants dans un entrepôt criblé de balles qu’il loue pour 80 euros par mois.
Même des mois avant le début du retrait israélien, l’utilisation des bâtiments laissés derrière est un sujet brûlant que ce soit parmi les Palestiniens ou parmi les Israéliens. Des officiels de l’Autorité Palestinienne sont en train de travailler avec la banque mondiale et avec son président sortant, James D. Wolfensohn, afin de déterminer quoi faire de ces biens.
Beaucoup de Palestiniens partagent les points de vue d’Abdeen : Israël doit détruire les maisons en partant.
« Ce qui le mieux pour nous, c’est qu’Israël détruise les colonies et qu’elle prenne les décombres avec elle » dit Tawfiq Abu Khosa, le porte-parole du ministre de l’intérieur palestinien, en estimant que le fait de les raser pourrait coûter jusqu’à 36 millions d’euros. « Ce sera déjà un fardeau en moins ».
Le désir palestinien fort de voir les bâtiments détruits peut sembler bizarre étant donné la pression internationale sur Israël pour qu’elle les donne aux Palestiniens paupérisés, qui comptent pour 71% de la population de Gaza.
Mais Abu Khosa et d’autres disent que les villas dans les colonies, avec leurs toits inclinés en tuiles rouges et leurs pelouses irriguées, ne répondent pas aux besoins architecturaux palestiniens. Les Palestiniens dans cette bande de 224 km2 surpeuplée préféreraient des parcelles plus petites et rectangulaires, des bâtiments aux toits plats qui peuvent s’agrandir par le haut quand les enfants fondent leurs propres familles et construisent leurs propres appartements sur le toit.
Fatma Abu Rezeq (57 ans) qui vit dans le camp de réfugiés de Khan Yunis à quelques 64 mètres de la colonie juive de Neve Dekalim, est d’accord. Elle ne peut plus voir les maisons de la colonie (une barrière de béton a été construite ces dernières années et bloque la vue) mais elle préfère que les maisons et le mur soient rasés quand les colons partiront.
« Je n’aimerai pas vivre là » dit-elle, en se tenant sur les décombres de sa maison de famille élargie que les tanks israéliens ont détruit lors d’un combat l’année dernière. « Je ne pense pas que les toits inclinés de tuiles rouges soient aussi robustes que le mien en fibrociment ».
- Colonie de Morag vue d’un poste de protection israélien.
Son mari, Kamal, ajoute : « Je préfère recevoir un dédommagement afin que nous puissions reconstruire notre maison qui m’avait coûté 28.000 euros et dans laquelle nous n’avons vécu que pendant deux ans ».
La destruction des maisons va également garantir que les hauts responsables de l’Autorité Palestinienne ne confisqueront pas les propriétés pour eux-mêmes, dit un autre habitant du camp de réfugiés, Fouad Mahmoud Nonaideq (43 ans) qui, comme la plupart des autres Palestiniens interviewés pour cette histoire, pense que son gouvernement est corrompu malgré les réformes initiées par son nouveau dirigeant, Mahmoud Abbas.
Le premier ministre israélien, Ariel Sharon, est en train d’évaluer s’il faut raser ou non les colonies. Certaines personnes soutiennent que le fait de laisser des militants palestiniens occuper des bâtiments israéliens, leur permettra de déclarer que le retrait israélien est une victoire palestinienne.
Il y a entre 750 et 2.000 maisons pour les colons et les soldats israéliens dans la Bande de Gaza, les évaluations divergent entre la Banque Mondiale, le Comité de surveillance des colonies et les économistes palestiniens.
Les terres dans la Bande de Gaza contrôlées par Israël (y compris les colonies, les bases militaires, les routes, les zones tampons de sécurité et les terres agricoles) constituent 18% à 40% de Gaza et à nouveau cela dépend de qui fait les estimations. Une petite zone industrielle avec des ateliers de bois et métal répond principalement aux besoins des colons et emploie quelques 90 Israéliens et 120 Palestiniens selon la Banque Mondiale.
Des officiels palestiniens se plaignent qu’Israël n’a jusqu’à présent donné aucun inventaire concernant les biens des colonies. Les officiels israéliens répondent que c’est parce que les Palestiniens ont refusé de coordonner avec eux le retrait, une coordination qu’Abbas dit devoir être liée à la reprise des pourparlers de paix.
Même si Israël décide de tout laisser aux Palestiniens, la Banque Mondiale et les experts économiques palestiniens suggèrent que, selon leurs estimations, cela ne suffira pas à stimuler l’économie palestinienne de façon significative.
Et le retrait israélien ne réduira pas non plus le déficit de logements dit Keren Koning Abu Zyad, l’adjointe du commissaire général de l’Unwra, agence des Nations Unies (‘Relief and Works Agency’) qui supervise les camps de réfugiés dans la région. On estime que 2.400 maisons palestiniennes ont été rasées à Gaza ou détruites ces quatre dernières années et demi d’incursions israéliennes.
Quelques 700 familles palestiniennes ont déménagé au début du mois dans un ensemble de nouveaux appartements tout neufs à l’Ouest de la ville de Gaza, appartements payés par les Emirats Arabes Unis. D’autres projets de logements financés par les Emirats, l’Arabie Saoudite et les Nations Unies doivent être construits au Sud près des villes de Khan Yunis et de Rafah.
Quant aux colonies, l’Autorité Palestinienne a assigné une « équipe technique » pour faire des propositions visant à maximaliser les potentiels économiques, dit Abu Khosa.
« Le mieux serait qu’ils puissent être utilisés comme hôtels ou lieux touristiques » a dit Ghazi Hamad, l’éditeur en chef de la publication hebdomadaire pro-Hamas, al Resala, en parlant des bâtiments des colonies. « Personne ne va déménager dans les maisons des colons ».