Hagai El-Ad est le directeur exécutif de l’ONG israélienne de défense des droits humains B’Tselem.
Quand sera finalement révélé « le deal [1] du siècle », comme le président Trump baptise son prochain plan de paix entre Israéliens et Palestiniens ? De toute évidence pas avant le 9 avril, jour d’élections en Israël. Mais alors rapidement après ? « Dans moins de 20 ans », a déclaré laconiquement le Secrétaire d’État Mike Pompeo devant une commission du Congrès. De toute façon, les plans de paix américains n’apportent rien de nouveau. Qui se souvient, par exemple, du plan Rogers, du nom de William P. Rogers, Secrétaire d’État sous Richard Nixon, il y a 50 ans ? Quand une nouvelle version de son plan fut discutée à la Knesset en 1970, un député israélien envisageait, confiant, que « ce ne serait pas long – un an, un an et demi, deux tout au plus – pour que cette chose appelée ‘territoires occupés’ ne soit plus et que l’armée se soit retirée dans les frontières d’Israël. »
Inutile de dire que « cette chose » est loin de « n’être plus ». Alors que le plan Rogers a disparu des mémoires, effacé par une série d’autres textes rédigés par d’autres administrations, la réalité de l’occupation des territoires palestiniens ne s’est elle, tout simplement, jamais arrêtée et même, elle s’intensifie et évolue. Gaza est devenue la plus grande prison à ciel ouvert dans le monde, soumise aux bombardements à intervalles réguliers ; Jérusalem-Est a été formellement annexée par Israël ; la Cisjordanie est devenue un archipel de bantoustans palestiniens, encerclés par des colonies, des murs et des check-points, cible de la violence d’État et des colons. Or le véritable exploit d’Israël n’est pas d’avoir réalisé tout ça mais de l’avoir fait en toute impunité, avec des conséquences minimes pour le reste du monde, le tout en conservant son précieux label de « démocratie vivante ».
L’histoire de ces cinquante dernières années est celle qui a vu se dérouler le vrai plan, celui qui s’applique tous les jours, celui qu’on peut clairement appeler ’le deal du demi-siècle’. Et voilà ce qu’il dit ce plan : aussi longtemps que l’entreprise d’occupation israélienne se déroule selon des modalités de brutalité qui reste en-dessous du seuil de l’indignation internationale, elle peut continuer, tout en bénéficiant de nombreux avantages suscités par les grands engagements, évidemment creux, du Premier ministre Benyamin Nétanyahou, pris au nom « des valeurs communes de liberté et de démocratie ».
Ce qui nous ramène au 9 avril, quand les Israéliens vont élire le Parlement qui gouverne à la fois les citoyens israéliens et les sujets palestiniens auxquels ce droit est refusé. Les colons de Cisjordanie n’auront même pas eu à se déplacer jusqu’aux bureaux de vote d’Israël pour décider du destin de leurs voisins palestiniens. Même les colons de Hébron ont pu voter sur place, avec 285 inscrits (sur une population d’un millier), entourés de 200 000 Palestiniens non-votants. Soit ce qu’Israël appelle « la démocratie ».
Ce fut la 15ème élection législative en Israël depuis le début de l’occupation et peut-être celle au cours de laquelle les conditions de vie des Palestiniens ont été le moins présentes – sauf pour décompter les morts et célébrer leur destruction. Un peu plus tôt cette année, le général Benny Gantz, leader du nouveau parti « centriste » qui menace réellement le Premier ministre sortant, a publié une vidéo qui montrait comment de nombreux « terroristes » palestiniens avaient été tués à Gaza pendant l’été 2014, alors que Mr Gantz était chef d’état-major (selon une évaluation menée par B’Tselem, la majorité des Palestiniens tués cet été-là étaient des civils, dont 500 enfants).
De son côté, Benyamin Nétanyahou a promis que s’il était réélu, l’occupation continuerait. « Je ne diviserai pas Jérusalem, je n’évacuerai aucune colonie et je m’assurerai que nous gardons le contrôle de la rive ouest du Jourdain », a-t-il déclaré dans une interview ce week-end. Plutôt que s’intéresser aux droits et à la liberté des Palestiniens, la campagne électorale a été occupée par la probable mise en examen de Mr Nétanyahou pour corruption. Cela a-t-il vraiment de l’importance pour une famille palestinienne dont le fils a été tué en toute impunité ou pour celle dont la maison a été détruite au bulldozer que le Premier ministre qui ordonne ces actions soit corrompu ou parfaitement propre ?
Après ce 9 avril, nous pourrions enfin avoir une idée du « deal » envisagé par l’administration Trump. En fait, tout le monde s’accorde à dire qu’il est en train de s’accomplir, sous nos yeux : en mai dernier, l’ambassade des États-Unis a été déménagée de Tel Aviv à Jérusalem ; quelques mois plus tard, c’était l’aide américaine à l’agence onusienne chargée des réfugiés palestiniens qui était suspendue ; plus récemment, cette même administration a reconnu la souveraineté d’Israël sur le plateau du Golan, un geste interprété par un officiel israélien comme annonciateur de ce qui se passera en Cisjordanie.
Difficile de concevoir que « le deal du siècle » ne soit autre chose que la suite du deal du demi-siècle. David M. Friedman, l’ambassadeur américain en Israël, l’a plus ou moins reconnu dans une interview au Washington Examiner, quand il a dit que son administration « veillerait à l’amélioration de l’autonomie palestinienne dans la mesure où elle ne devient pas un risque pour la sécurité israélienne. » Pourtant les Palestiniens méritent une liberté entière, et non une autonomie conçue et approuvée par les États-Unis, qui ne fait rien d’autre que de prolonger l’occupation israélienne. Soit un avenir qui ne serait basé ni sur la justice ou la légalité internationale mais sur un renforcement du contrôle, de l’oppression et de la violence d’État.
Tant que la communauté internationale n’enlèvera pas le deal du demi-siècle de la table, mettant ainsi Israël face à un vrai choix entre le renforcement de l’oppression des Palestiniens tout en en assumant les conséquences concrètes, l’occupation continuera. L’administration Trump n’est clairement pas à la hauteur de la tâche. Mais l’ONU, et particulièrement le Conseil de sécurité et les grands États de l’Union européenne – premier partenaire commercial d’Israël – ainsi que l’opinion publique internationale ont à leur disposition des leviers importants. Et les Américains qui croient sincèrement en la démocratie et pas seulement comme un slogan vide, qui croient aux droits de l’homme et pas seulement comme monnaie d’échange, ne doivent pas attendre 2020 pour brandir leur pouvoir politique.
Avec la réquisition systématique des terres et la restriction de la liberté de mouvement, la négation des droits politiques était une des pierres angulaires du système d’apartheid en Afrique du sud. Un pays qui se considérait, lui aussi, comme une démocratie.
Beaucoup d’Israéliens auront pensé que le 9 avril, ils ont célébré la démocratie. Ce n’est pas le cas. Ce jour de scrutin n’aura été rien d’autre que le rappel douloureux d’une réalité profondément antidémocratique, de celle que l’administration Trump semble prendre du plaisir à perpétuer – et que la communauté internationale continue de cautionner jusqu’à ce qu’une autre option ne soit plus possible. Nous, les presque 14 millions d’êtres humains qui vivons sur cette terre, nous avons besoin d’un avenir qui mérite qu’on se batte pour lui : un avenir fondé sur l’humanité qui lie les Palestiniens et les Israéliens qui croient en la justice, en l’égalité, aux droits humains et à la démocratie – pour tous.
Traduit de l’anglais original par EM pour l’AFPS