Shawki Khatib est à la tête du
Comité supérieur de suivi des
Arabes d’Israël, leur institution
représentative la plus élevée et celle
qui dispose de la plus grande autorité,
et du Comité national des dirigeants
des conseils locaux arabes. Il a
récemment publié « Vision d’avenir
des Palestiniens d’Israël », un document
qui a suscité l’intérêt national et
international et provoqué un large
éventail de réponses à travers le
spectre politique des juifs, des arabes
et des autres.
Je crois que ce document peut être
qualifié d’événement historique dans
les annales des Palestiniens d’Israël
ainsi que dans celles de leurs relations
avec la majorité et les institutions
juives. C’est la première fois qu’un
organisme national représentatif des
Palestiniens d’Israël prépare et publie
un document fondamental qui décrit à
la fois leur situation existante et les
changements qu’ils estiment nécessaires
dans leurs relations avec la
majorité juive, la situation légale, la
terre, les problèmes sociaux et économiques,
le statut des institutions
civiles et politiques, etc. Le document
a été écrit par des militants de toutes
les tendances politiques existant
parmi les Palestiniens d’Israël (y compris
certains qui se sont ensuite opposés
aux positions adoptées). Il présente
les réalisations nécessaires à la
définition de la future relation entre la
majorité et la minorité à l’intérieur de
l’Etat d’Israël.
De mon point de vue, le document est
basé sur trois principes théoriques qui
constituent les bases du développement
humain social, politique et culturel
depuis au moins deux siècles. Le
premier est le principe du respect des
droits humains : le document aborde
les droits fondamentaux des
Palestiniens en Israël en tant qu’êtres
humains, droit au développement
socio-économique, droits des femmes
et de l’enfant, droit à vivre sans violence,
etc. et réclame leur mise en
oeuvre.
Le second principe invoque l’égalité
civile : le droit démocratique à l’égalité
devant la loi et la demande de l’annulation
des lois, des structures et des
symboles qui aliènent les citoyens
palestiniens d’Israël et assurent la
supériorité des citoyens juifs. Et le troisième
principe est celui du droit des
communautés à l’auto-détermination, y
compris le droit d’autonomie en ce qui
concerne des domaines spécifiques
de la vie tel que le droit d’assurer leur
propre éducation ainsi que les affaires
culturelles et religieuses.
Afin de rendre effectifs ces principes de base, les auteurs du document
réclament l’établissement en Israël
d’un autre système que le système libéral existant, automatiquement
exploité par la majorité juive et qui, de
ce fait, constitue une « tyrannie de la
majorité » dans laquelle, au nom de la
démocratie libérale, cette majorité
prend des mesures draconiennes
contre la minorité palestinienne et ses
droits fondamentaux.
Jusqu’à présent, les réactions à ce
document ne contenaient pas de proposition
alternative acceptable concernant
l’égalité pour les Palestiniens
d’Israël à l’intérieur de l’Etat. La plupart
des réponses venant de la majorité
juive ont accusé les Palestiniens
d’Israël de miner les fondations
d’Israël en tant qu’Etat « juif et démocratique ». De fait, ils ignorent totalement
les abus continuels du système
actuel concernant les droits des
citoyens palestiniens d’Israël.
Cette réaction, témoin du consensus
sioniste, a été exprimée d’une manière
significative par le journaliste
Tommy Lapid, le professeur de droit
Amnon Rubinstein et l’historien Alex
Jacobson. Ils manifestent un empressement
nationaliste bien connu à ne
reconnaître le droit à l’auto-détermination
qu’à un seul groupe dans une
réalité pluraliste, une exigence ancrée
dans le nationalisme exacerbé exprimé
au XXème siècle par Franco en
Espagne, Mussolini en Italie, Saddam
Hussein en Iraq et beaucoup d’autres
pays et qui, finalement, a conduit à
des désastres d’ampleur historique.
Ce modèle ignore les compromis établis
en Espagne après Franco, en
Belgique, au Canada depuis la révolution
tranquille ainsi que dans plusieurs
autres cas dans lesquels une réalité
pluraliste a facilité l’adoption de solutions
fondées sur la reconnaissance
mutuelle et le droit à l’auto-détermination
et à l’autonomie pour plus d’un
groupe national ou ethnique à l’intérieur
d’un même cadre politique.
A l’autre extrémité du spectre, parmi
les Palestiniens d’Israël, il y a un groupe
qui propose une plateforme
d’accord différente parmi les Arabes
en réfutant la nécessité d’un compromis
acceptable par une majorité de
citoyens palestiniens tel que proposée
dans le document « Vision d’avenir
des Palestiniens d’Israël ». Le
Mouvement islamique dirigé par
Cheikh Raad Salah, une partie du
mouvement Fils du village, et certains
intellectuels qui n’ont pas participé à
la rédaction du document réclament
maintenant son annulation ou insistent
pour qu’il soit considéré comme « non
représentatif », comme si « représentatif » signifiait que chaque parti doive
l’accepter plutôt que -ce qui s’est produit-
le document soit signé et soutenu
par une institution dirigeante, tout
en protégeant le droit de ceux qui
désapprouvent certains de ses
aspects à exprimer leur critique.
Le document d’avenir répond à ces
deux extrêmes avec une plateforme
qui offre une alternative au droit israélien,
représenté aujourd’hui par le
ministre des Affaires stratégiques,
Avigdor Lieberman, et au nationalisme
qu’il représente. Je crois que rendre
possible une coexistence basée sur
l’égalité de droits à l’intérieur d’un Etat
démocratique est la seule alternative
à l’extrême-droite. Seul un mouvement
dans cette direction de la part
des cercles israéliens juifs peut tous
nous sauver du sort de ces pays qui
ont décidé d’employer tous les
moyens à leur disposition pour établir
la supériorité ethnique d’une communauté
sur les autres.