Avec la parution, très attendue,
du document intitulé « Vision
d’avenir des Palestiniens
d’Israël », la communauté palestinienne
d’Israël fait un premier pas vers la maîtrise
de sa destinée. Le document, qui
établit un panorama large - sinon complet-
des relations entre l’Etat d’Israël
et ses citoyens palestiniens, est le seul
qui dispose d’un large soutien de la part
de la population. Son objectif est de
provoquer une impulsion dont le besoin
est urgent dans le discours dominant
dans ce pays. Presque soixante ans
après qu’Israël a été créé sur les ruines
de la Palestine et de son peuple, voilà
que ses habitants, les descendants de
ceux qui d’une manière ou d’une autre
sont restés sur leur terre, en sont venus
à transformer leur statut d’outsiders
« tolérés », négligés, pour devenir partie
intégrante de la société israélienne
sur une base d’égalité.
Pour comprendre les aspirations profondes
manifestées dans ce document,
il est important de reconnaître la souffrance
largement silencieuse que les
Palestiniens d’Israël ont endurée depuis
1948. Lors de la création de l’État, la
population « indigène » s’est trouvée
dépouillée de sa terre et de ses droits,
jusqu’à celui de protester contre ces
faits. Soumis à l’autorité militaire de
1948 à 1966, les Palestiniens israéliens
ont été contraints à l’impuissance tandis
que toute leur vie était transformée.
Ils étaient devenus l’ennemi sur leur
propre terre.
Cette oppression pesa lourdement sur
ceux qui avaient été témoins des expulsions
et de la destruction de plus de
cinq cents villages palestiniens entre
1948 et 1950. Alors que l’Etat israélien
se construisait, les immigrants juifs
étaient installés sur la même terre, et parfois
dans les maisons mêmes où des voisins
ou des amis avaient vécu auparavant.
Et, comme toute minorité où que
ce soit dans le monde, les Palestiniens
ont appris à garder la tête basse et à se
raccrocher à un semblant de dignité
face à leurs bourreaux.
Mais cette mentalité de « ne pas faire de
vagues » s’est infiltrée dans toutes leurs
actions et dans leur conduite, l’instinct
de survie prenant le pas sur le besoin
de dignité et les sentiments d’humiliation.
Etant enfant, j’ai été témoin de
cette conduite servile même chez mon
père lorsque nous prenions l’avion à
Ben Gourion. Comme la majorité des
Palestiniens d’Israël, j’ai hérité l’humiliation
de l’ancienne génération et appris
à m’excuser auprès des juifs israéliens
et à rester tranquille en face de fonctionnaires
racistes ou pleins de préjugés.
Lentement, par à-coups, cette attitude
s’est mise à changer au cours des vingt
dernières années. Les Palestiniens ont
commencé à prendre la place qui leur
revient dans la société israélienne :
dans les universités, pour les professeurs comme pour les étudiants, dans
les partis politiques, les medias, dans
le champ culturel. En interaction avec
nos frères palestiniens des Territoires
occupés et en ressentant de la fierté
pour leur lutte de libération contre l’occupation
israélienne, nous aussi nous
avons refait connaissance avec nousmêmes.
Cela a contribué à nous insuffler la
confiance nécessaire pour affirmer notre
identité nationale.
- © Amjad Rasmi
La « Vision d’avenir des Palestiniens
d’Israël » est le résultat direct de cette
confiance grandissante. Elle met en
lumière la maturité de la communauté
palestinienne, qui prend là une initiative
importante pour reprendre en main le
contrôle de son avenir. Les citoyens
palestiniens d’Israël font partie intégrante
de l’Etat et ne partiront nulle part ailleurs.
Le document cherche à ouvrir le débat
et à alerter les institutions sur le fait que
les Palestiniens
n’accepteront plus
d’être des citoyens
de deuxième zone
dans leur propre
pays. Il exprime les
aspirations d’un
peuple vis-à-vis d’un
Etat qui lui a donné
la citoyenneté mais
ne lui a pas donné
l’égalité.
Nous avons un long
chemin devant
nous. La version
sioniste de l’histoire
d’Israël en tant que
foyer national pour
les juifs nie, en soi,
l’histoire du peuple
palestinien. L’Etat
d’Israël, en tant que
produit du sionisme,
non seulement
ignore le sort des
habitants non-juifs,
mais refuse catégoriquement
de
reconnaître qu’une
grave injustice a été
commise en Israël
contre les Palestiniens,
concitoyens
des juifs. Ce document
est une opportunité
d’ouvrir des
portes qui ont été
scellées jusqu’à
aujourd’hui.
La réaction initiale
de l’establishment
israélien a été tout
sauf chaleureuse.
Peu après la parution
du document un
choeur s’est dressé
pour défendre le
statu quo. L’influent
président du Conseil
pour la paix et la
sécurité, le général
Dani Rotschild a
affirmé : « Il est
inconcevable de
remettre en cause le droit de l’Etat à se
définir comme juif et démocratique, de
remettre en cause notre lien aux juifs
du monde, de remettre en cause l’hégémonie
démographique,
la territorialité
et les symboles nationaux.
Ce sont les fondamentaux
de la
nature juive de l’Etat. »
Zeev Schiff, journaliste
d’Haaretz, est
même allé plus loin,
invoquant l’Holocause
lorsqu’il a affirmé que
les Palestiniens des
Territoires occupés
veulent que leur futur
Etat soit « judenrein » [1]
et que le Comité de
suivi des Arabes
d’Israël, auteur du
document, a choisi
délibérément de le
faire paraître au
moment où Israël était
« faible et soumis à
des attaques ».
Ce qui manque dans
cette paranoïa c’est
qu’il n’y a pas la
moindre reconnaissance
de l’histoire
palestinienne. L’establishment
juif ferait
mieux de s’habituer au
fait que les citoyens
palestiniens d’Israël, qui avoisinent les
20% de la population, n’accepteront plus
d’être mis de côté. Les juifs israéliens doivent
reconnaître que ce n’est que lorsque
notre version de l’histoire sera enseignée
aux enfants juifs de la même façon
que la version juive de l’histoire est enseignée
dans les écoles arabes, qu’Israël
sera en passe de devenir une véritable
démocratie. Mettre en évidence les symboles
palestiniens n’est pas nier les symboles
juifs ; bien au contraire : c’est
adresser un message solide et vrai de
respect mutuel.
Un Etat basé sur l’appartenance religieuse
est archaïque dans le monde
d’aujourd’hui. Lorsqu’un Etat n’accorde
les droits démocratiques qu’à une partie
de ses citoyens, il n’est pas démocratique.
J’espère que l’Israël juif verra
ce document non pas comme une
menace, mais comme une opportunité
de rectifier les erreurs du passé afin
d’avancer vers l’avenir.
« La seule démocratie du Moyen-Orient »
résonne bien mieux que « la seule démocratie
pour les juifs au Moyen-Orient ».
La balle est maintenant dans leur camp.