Hares, Cisjordanie, petit village palestinien, proche de Naplouse, dans
le District de Salfit. Ce sont des rues défoncées bordées de détritus,
des monceaux de roches et de terre à l’entrée principale, témoins de
l’obstruction qui en interdisait l’accès quelques mois auparavant. C’est
l’eau qui est précieuse et que l’on économise à l’extrême, conscient de
la pénurie généralisée dans les Territoires. Ce sont aussi ces femmes
angoissées de ne pouvoir vendre leur récolte d’huile d’olive devenue une
des rares ressources pour leurs familles. Des enfants aussi, qui, malgré
tout, vous sourient et vous demandent la photo.
De retour à la maison, le déséquilibre vous assaille ! Certes, les
difficultés sociales sont importantes, les injustices flagrantes et les
politiques toujours aussi inégalitaires, cependant, il n’y a pas de
soldats en arme à tous les coins de rue, votre droit de propriété n’est
pas menacé d’une mesure arbitraire à tout instant et se déplacer d’une
ville à l’autre ne demande ni témérité ni courage exceptionnel ...
Mais ce qui provoque encore plus ce sentiment d’étrangeté lorsqu’on se
replonge ici dans ce monde « occidental », c’est le fossé qui sépare ce
qu’on nous raconte de la situation en Palestine et la réalité qu’on a
laissée là-bas et qui continue à s’afficher sur nos écrans d’ordinateur,
par le biais des diffusions que font les associations pacifistes
palestiniennes, israéliennes et internationales.
Une fenêtre ouverte sur la paix ! Le grand argument qui a encadré la
rencontre de Charm-el-Cheik apparaissait déjà bien factice à qui avait
été témoin, peu de temps auparavant, de la vie quotidienne sur le
terrain : les centaines de barrages militaires empêchant les
Palestiniens d’aller travailler, se soigner ou visiter leurs familles,
les arrestations en pleine nuit, avec toute la famille dehors, dans le
froid, y compris les nourrissons, les fouilles qui saccagent la maison
et le jeune qui est emmené, on ne sait où ..., ces prisonniers politiques
que l’on sait torturés et vivant dans des conditions inhumaines de
détention...
Pourquoi une telle asymétrie d’information entre les médias
internationaux « officiels », publics ou privés, et ce que nous lisons,
au jour le jour, sur nos machines ? La comparaison entre les 2 permet
d’affirmer l’existence d’un filtre systématique, au bénéfice des thèses
sionistes, appliqué à la transmission des données, lorsqu’il s’agit de
ce conflit israélo-palestinien.
En prévision des élections palestiniennes de janvier dernier, Israël
avait déclaré :
« Nous évacuerons les barrages pendant 72h., pour favoriser le
processus. » 100 Femmes de Machsom Watch, l’Observatoire des contrôles
militaires, ont publié un rapport montrant qu’il n’en fut rien.
[1].
- Barrages et check-points ferment les routes à la circulation
A Charm-el-Cheik, promesse israélienne de la libération de 900
prisonniers politiques palestiniens... La liste n’est toujours pas
complétée et beaucoup de ceux qui ont été relâchés n’avaient plus que
quelques jours ou semaines à faire, comme à l’automne dernier. Effet
d’annonce et ça marche auprès de l’opinion internationale.
Le Mur, condamné par le Tribunal Pénal International : le 24 janvier
dernier, les travaux commençaient dans le petit village d’Iskaka, à
l’est d’Ariel et, très largement, à l’intérieur de la Ligne Verte. Le
lendemain, une manifestation pacifiste était réprimée à coup de gaz
lacrymogènes et d’arrestations [2]. Depuis, les actions similaires se multiplient
autour de Jérusalem, à Bi’ilin, notamment, mais le Mur avance
inexorablement.
Les colonies : à mon départ, en décembre, on parlait beaucoup de
Jayyush car les bulldozers venaient d’arriver sur les terres prises au
piège, à l’Ouest du Mur, soit près de 85% des terres agricoles de ce
village proche de Qalqiliya. Le nivellement du terrain commençait pour
agrandir l’implantation israélienne la plus proche ! Depuis, les
associations israéliennes Gush Shalom [3] et L’Autre Israël
[4] décrivent des processus similaires à
l’ouest de Bethléem et autour de Jérusalem. Le porte- parole du
Gouvernement d’Ariel Sharon nous a « rassurés », récemment, en faisant
état que l’emprise majorée, sur la Cisjordanie, ne dépasserait pas 7%
des terres ! En proportion, l’équivalent du Texas pour les Etats-Unis !
L’extension des colonies de Ma’ale Adumin et d’Ariel est programmée en
dépit de la réprobation timide du Gouvernement américain.
Mais on
oublie d’évoquer ce qui se passe, aussi, du côté de la vallée du
Jourdain. Le petit village d’Aqaba, au Sud Est de Jénine, vient de
recevoir la visite du représentant de l’Armée israélienne qui a intimé
l’ordre aux habitants de partir spontanément. S’ils n’obtempèrent pas,
ils seront expulsés, leurs troupeaux seront détruits et ils auront à
rembourser les frais engagés par l’Armée pour leur évacuation ! Leur
crime : ils sont en bordure de la vallée du Jourdain, convoitée depuis
longtemps par Israël qui veut l’annexer, sans autre forme de procès.
La vallée du Jourdain et les rives de la Mer Morte ainsi que les
colonies « qui resteront à Israël », comme Ariel et Ma’ale Adumim, c’est
52% du total de la Cisjordanie ! [5]. Les 48% restant,
morcelés en unités territoriales sans continuité, serait-ce cela le
futur Etat Palestinien, dans les projets sionistes ?
Comment s’étonner de lire que l’aura, dont a bénéficié Mahmoud Abbas
pendant les 100 premiers jours de son mandat de Président de l’Autorité
Palestinienne, s’effrite ! Comment pourrait-il en être autrement ?
Le peuple souffre terriblement. Une semaine de la vie quotidienne en
Palestine, c’est, sur le site du Centre Palestinien pour les Droits
Humains, toujours les mêmes litanies : en Cisjordanie,
8 civils palestiniens dont 4 enfants sont blessés, 22 autres civils dont
5 enfants sont arrêtés. A Gaza, l’Armée a procédé à l’arrestation de 5
palestiniens dont 2 enfants alors que ceux-ci tentaient de pénétrer en
Israël pour y trouver du travail.
[[http://pchrgaza.org/files/W_report/English/2005/21-04-2005.]
Rien ne change au Proche -Orient. Toutes les initiatives israéliennes
témoignent d’une volonté politique inchangée de colonisation de la
Palestine tout entière : écrasement de la population avec restrictions
de mouvement, expulsions, disparition progressive de tout moyen de
survie..., poursuite du processus d’annexion aidé en cela par la
construction du Mur, malgré l’opposition internationale..., promesses
jamais tenues..., désengagement de la Bande de Gaza servant de « poudre
aux yeux » pour mieux faire accepter l’emprise sur le reste des
Territoires Occupés...
Il me semble important de lutter contre cette asymétrie d’information
dont souffrent les Palestiniens, depuis des décennies et qui nous fait
croire à tort, maintenant, à des jours meilleurs à l’horizon.
Nous
devons expliquer les raisons objectives de notre réticence dans la
situation actuelle qu’on nous présente comme positive et ouverte,
énoncer les faits qui nous amènent à penser que l’idée du « Grand Israël
» n’est pas abandonnée par tous et que le plan qui consiste à enfermer
le Peuple Palestinien dans quelques « réserves », complètement coupées
du monde extérieur et tributaires de la seule volonté israélienne, est
toujours d’actualité.
- Barrage
- même les ambulanciers doivent les contourner à pied, y compris avec leurs malades et blessés
Il faut énoncer les réalités du terrain au lieu de se saisir avidement
de réassurances qui, certes, nous feraient bien plaisir mais sont
prématurées. Notre rôle est de dire la vie quotidienne là-bas,... les
Palestiniens nous le demandent, avec insistance, lorsqu’on les rencontre
dans leur prison à ciel ouvert.