Je suis revenue à Jiftlik dans la Vallée du Jourdain, avec quelques amis (volontaires) et je suis "tentée" d’y revenir un peu plus tard pour y rester cette fois plusieurs jours. J’étais très heureuse de faire connaître le "Jordan Valley Solidarity Center" au petit groupe d’amis, centre que j’ai découvert moi-même par hasard (en fait grâce à Monika) et je ne saurais dire pourquoi, il y a quelque chose en ce lieu qui attire mon attention de plusieurs façons.
En réalité, je dis "je ne sais pourquoi", mais si, je sais en grande partie pourquoi. En fait tous les "ingrédients" de la politique de l’Etat d’Israël sont réunis là, sur la base d’enjeux très importants. Il faut savoir en effet que cette Vallée, particulièrement fertile (profusion et grande variété de cultures) était décrite comme étant "le grenier de la Palestine". Avec la colonisation, l’annexion des terres et de l’eau, elle est devenue celui d’Israël.
Aller dans la Vallée du Jourdain, quand on vient de Naplouse, ça pourrait être comme si on partait en week-end à la campagne. Sauf qu’on sent bien et très vite, qu’on peut pas se le raconter comme ça et qu’on est dans un tout autre scénario, d’une grande violence : en 1967 les Palestiniens étaient 300.000 dans la Vallée du Jourdain ; ils ne sont plus que 60.000. On est là dans le processus d’un véritable nettoyage ethnique qui ne concerne pas bien sûr que la Vallée du Jourdain, mais fait référence à l’objectif poursuivi qui est celui de la judaïsation de la Palestine.
Venir dans cette Vallée tout comme venir dans ce modeste lieu finalement, qu’est la maison de cette ONG (JVS) (un bulldozer en aurait vite fait son affaire), c’est voir et sentir, " jusque dans l’air presque" que tout ici est engagé comme dans un corps à corps. Mais la disproportion des combattants est de taille : pour s’installer, les colons reçoivent de la part de l’Etat d’Israël, terres et eau gratuites pour bâtir leur maison et pour les cultures, 75 % de l’électricité est gratuite aussi ...on comprend pourquoi les produits exportés (en Europe, dans le monde entier) sont si peu chers, si compétitifs sur le Marché. Et à cette quasi-gratuité de base (terre, eau, électricité) s’ajoute l’exploitation de la main d’oeuvre palestinienne. Ils travaillent 8h par jour (de 6h à 14h) et sont payés 50 shekels par jour (10 euros). Notons également que la main d’oeuvre dans les colonies, c’est aussi des enfants. Il ne faut pas oublier, non plus, qu’à tout cela s’ajoute l’aide US. Et ainsi..."la mariée peut être belle !" : combien coûte, par exemple, 1kilo de raisins ? 3 shekels c’est à dire pas même 80 centimes.
Elle est pas belle, la vie ? Alors un débat s’engage qui rappelle celui sous-tendu par la campagne BDS (boycott, Désinvestissement, Sanction). Certains disent que cette campagne BDS (ne pas acheter les produits israéliens car ça participe de l’exploitation des palestiniens), elle porte tort aux Palestiniens eux-mêmes car logiquement si on boycotte les produits israéliens, alors, à terme, les Palestiniens n’auront plus de travail. Mais d’autres font le choix de soutenir au contraire BDS car ce qu’il faut éradiquer, c’est l’exploitation/occupation de la Palestine ! La Palestine doit être libre !
Je veux dire quelques mots concernant le paysage de la Vallée du Jourdain. C’est un paysage vite identifiable (binaire). Quand les champs sont "à l’air libre", c’est palestinien. Mais dès qu’on voit des serres bien rangées, des palmiers en nombre important souvent, le tout bien protégé par des fils électriques et même des barbelés, c’est une colonie israélienne. Il y a autre chose dont j’ai pris conscience (grâce aux explications des volontaires à JVS). Cela concerne les 3 fameuses zones des accords d’Oslo (A, sous autorité palestinienne / B, théoriquement sous autorité" conjointe", mais en réalité largement contrôlée par Israëll / C, sous autorité israélienne).
La zone A, c’est 5% de la Palestine ; la zone C, 60%. Cherchez l’erreur... L’enjeu, c’est de regrouper "tout ce qui est palestinien" dans la zone B, dans des équivalents de "bantoustans" (ghettos). On comprend ainsi le sens et la nécessité de la riposte à cette stratégie mortifère ainsi que le sens du combat d’ONG telles que JVS (qui "travaille main dans la main", rappelons-le, avec les Palestiniens - je veux dire par là que ce n’est pas que l’activité militante d’internationaux). Il s’agit de soutenir (et le mot, en le disant comme ça, me paraît tout à coup faible), les Palestiniens en zone C. Il s’agit bien de contrecarrer cette politique pour que partout et donc encore plus précisément en zone C, la Palestine ne soit pas vidée de ses habitants. Cela représente un combat de tous les instants. Des maisons palestiniennes pourtant anciennes sont sommées d’être détruites et si la famille ne procède pas à sa démolition, les bulldozers israéliens s’en chargent, mais savez-vous le comble du cynisme ? La famille aura à s’acquitter des frais de la démolition. D’autre part, toute demande de construction côté palestinien (maison, école) doit être présentée à l’administration israélienne. Entre 2001 et 2008, 96% des demandes ont été rejetées.
La question de l’eau mériterait un"chapitre" en soi. Je parlerai ici de cet endroit où nous nous sommes rendus, avec des volontaires irlandais et qui résume peut-être bien ce qu’il en est. Israël a mis la main sur la source (les sources) qui alimentai(en)t les habitants de ce village d’Al Auja. Cela s’est passé au moment de la 2ème Intifada. Qu’est-ce qu’on voit ? (et entend ?) D’un côté de la route, l’installation israélienne (le puits) entourée de hautes grilles et on entend le bruit régulier (pompage) de l’eau. De l’autre côté de la route, il y a un canal qui longe la route et où l’eau file : c’est de l’eau de pluie car il a beaucoup plu ces derniers jours et c’est pour les palestiniens. Anna (volontaire italienne) est venue ici il y a 2 mois ; dans ce canal, il n’y avait pas une goutte d’eau. Israël pompe l’eau à la source (nappes phréatiques).
Il y a quelques 10 ou 15 ans, les jeunes se souviennent qu’ils venaient, enfants, dans cet endroit entouré de collines, pour se baigner. Les collines étaient vertes ; maintenant c’est aride. "Et après, les Israéliens te raconteront qu’ils ont fait fleurir le désert !" me dit Geneviève, révoltée. Nous sommes allés jusqu’à un village bédouin. J’hésite à utiliser ce mot de "bédouin" car il a une consonance "exotique" me semble-t-il qui, en réalité, est tout à fait déplacée. Car pour ces familles-là (nomades dans le passé), leur quotidien aujourd’hui, c’est celui d’un effort de tous les instants pour se maintenir là où ils sont et cela, dans un état de pauvreté et de dénuement qui laisse sans voix ! Ce sont des palestiniens, point à la ligne ! Et peut-être les plus pauvres d’entre eux ? Car plus pauvres que ça, ce serait quoi ? Le responsable qui nous fait visiter le campement (Al’Fasa) nous explique que celui-ci a été détruit 2 fois (en juin et en octobre). Les familles vivent sous des bâches et dans une "pièce" vivent par exemple 12 personnes...et en espérant qu’il ne pleuve pas ! Pendant que nous parlons, 3 avions (légers) survolent les lieux. L’ami palestinien nous explique qu’ils prennent des photos, que l’objectif est d’installer une colonie (une nouvelle) ou agrandir celle qui est à proximité. Qu’en est-il de l’eau pour ces familles dépourvues de tout ? Celle qu’ils prennent à l’Autorité palestinienne n’est pas potable (elle contient du sel). Ils sont donc obligés de l’acheter à Mekorot, la compagnie israélienne de l’eau. C’est 100 shekels, 3m3 d’eau.
Cet ami nous remercie de les aider, comme nous pourrons, mais aussi auprès de nos gouvernements respectifs, en disant ce qui se passe.