Un Palestinien qui vit aux Etats-Unis où il milite contre l’occupation et pour le droit au retour. Il était en Palestine fin février, à Bethléem. Il raconte, il analyse.
Le 24 février, de Bethléem vers Naplouse.
Il est nécessaire de partir à l’aube bien que les check-points soient moins difficiles à passer ces jours-ci, à ce qu’on nous dit. En temps normal il est facile et rapide de se déplacer du sud au nord de la Cisjordanie. Mais les temps normaux ont disparu depuis longtemps. Jérusalem est déjà isolée de ses banlieues et des zones palestiniennes voisines par le mur d’apartheid. Le dernier lien qui demeure entre le nord et le sud de la Cisjordanie est la route de Wadi an-Nar (la vallée de feu), sinueuse et dangereuse, qui ne convient pas à la circulation des véhicules commerciaux. Même là on trouve un check-point au sommet de la colline, avec une tour en ciment, des barricades et des soldats de mauvaise humeur.
Pour les Israéliens les check-points ont des numéros, pas toujours connus, aussi leur donne-t-on traditionnellement des noms palestiniens. Celui-ci est le check-point du conteneur, parce que situé près d’un gros conteneur transformé en boutique. A l’entrée de Naplouse le check-point d’ Huwara porte le nom du village palestinien q’il touche. C’est la seule sortie pour cette ville assiégée de quelque 200 000 habitants. Les voitures palestiniennes ne passent pas [1], il faut donc descendre, faire la queue longtemps , passer deux portails de métal, subir l’inspection et, si on a de la chance, être autorisé à passer de l’autre côté pour prendre un autre véhicule [2]. Peu de gens tentent l’aventure et seulement s’ils ne peuvent pas faire autrement : étudiants des villages avoisinants, fermiers qui viennent vendre leurs produits, hommes fatigués à la recherche du peu de travail qui subsiste.
Le paysage de rêve que nous traversons, c’est la Palestine champêtre sous ses plus beaux atours d’amandiers en fleurs et d’herbe verte, que défigurent les colonies juives, avec leurs maisons à l’européenne, et leurs routes de contournement. La présence israélienne se fait sentir à travers ses colons et ses soldats et l’isolement complet et forcé des zones de population palestinienne et israélienne. C’est tout à fait artificiel car l’espace est très petit et seule la force Israélienne brute maintient les gens séparés. C’est un apartheid cru qui ne cherche même pas à se cacher.
A Naplouse nous visitons le camp de réfugiés de Balata [3] et l’université An-Najah qui avec plus de 10 000 étudiants est la plus grande de Cisjordanie, avec un campus moderne malgré son peu de moyens.
26 février
Les médias américains affirment que l’attentat de Tel-Aviv[ [le 24 février un jeune homme d’un village près de Tulkarem a commis un attentat qui a fait 4 morts et des dizaines de blessés dans la capitale israélienne, Tel-Aviv]], a mis fin à une période de paix et de calme. Dans cette période pourtant les forces d’occupation israéliennes ont tué plus de 25 Palestiniens, continué à étouffer les Palestiniens avec leurs check-points et leurs murs et la construction qui ne se relâche jamais de colonies sur les terres palestiniennes. Prendre en compte seulement la violence qui touche les Israéliens est hypocrite et un crime contre la vérité tout comme les assassinats sont un crime contre les humains, quelle que soit leur religion .Tout cela est symptomatique de la maladie sous jacente qu’est l’apartheid et de la colonisation dont l’intensité sur le terrain ne diminue pas.
Des problèmes ce matin : la mauvaise nouvelle de l’assassinat de deux Palestiniens (ils étaient « trop près » d’une zone interdite) et puis pour aller à BirZeit. La tête de notre chauffeur de taxi ne revenait pas à un soldat israélien au check-point. Alors, quand ce fut notre tour d’approcher, il le renvoya à la fin de la file de voitures qui attendaient et il fallut attendre 40 minutes de plus. Nous sommes arrivés en retard pour une réunion. BirZeit est une université moderne et progressiste ont le campus se trouve au cœur des collines pastorales , avec leurs amandiers en fleurs ,si caractéristiques de cette région de Palestine. [4]Nous avons dû repartir rapidement sans aller à Ramallah car il fallait braver les check-points pour rentrer à Bethléem.
Sur la route nous avons constaté, lors d’un accident de circulation comment les colons ne supportaient pas d’être bloqués comme tout le monde. Eux qui, avec leurs plaques jaunes, [5] ou traversent en flèche les check-points où les Palestiniens sont retenus des heures, ne supportaient pas d’être traités comme des non-juifs.
Ce même jour, une bonne nouvelle quand même : quelque temps après l’Assemblée générale des Presbytériens, le Conseil Mondial des Eglises, l’organisation principale qui regroupe les chrétiens non catholiques, « encourage ses membres à désinvestir dans les compagnies qui tirent profit de l’occupation par Israël des Territoires palestiniens ».http://www.boycottisraeligoods.org
28 février
Après des rencontres à Beit Sahour, près de Bethléem, nous allons à Ramallah pour des réunions avec Hanane Ashraoui et Miftah [6], puis une visite à la Muqata’a et la tombe de Yasser Arafat. Mais nous avons été informés que l’armée d’occupation fermait toutes les entrées de Ramallah et nous avons dû partir précipitamment pour Bethléem. Mais le bouclage était déjà en place et il nous a fallu 4 heures à travers les collines et les check-points, pour un trajet de 30 mn en temps normal. Même dans les conditions habituelles d’occupation et de contournement de Jérusalem [7], cela ne prend pas plus de 2 heures par la « vallée de feu ». Mais les colons juifs qui vivent dans les colonies qui entourent Ramallah peuvent bien sûr accéder en 10 minutes à Jérusalem, la traverser rapidement puis être en 10 mn de plus aux colonies qui encerclent Bethléem.
2 mars 2005, de retour aux Etats-unis
Les deux derniers jours en Palestine ont été les plus poignants. Aller voir le mur dans la zone Jérusalem-Bethléem montre l’un des aspects les plus révélateurs de la vie en Palestine occupée. Le Mur s’y insinue et coupe le centre de Jérusalem de ses banlieues, comme Bethléem à 10 km, ou Azzariye à 1 km, et Abu Dis (quartier périphérique de Jérusalem-est). L’université de Jérusalem, Université d’al Qods, a des terres et des propriétés des deux côtés de ce mur monstrueux. Le Mur coupe les Palestiniens les uns des autres dans la même rue, le même quartier. Il est construit sur le terrain du cimetière musulman, le coupant de la Tombe de Rachel, à Bethléem.
Il serpente entre les habitants chrétiens et musulmans de Bethléem et leurs lieux de culte et de travail, leurs écoles, et les lieux de la vie économique.
- Abu Dis
- 1 mars 2005
Et c’est bien l’objectif :réduire la population palestinienne de Jérusalem-est (après avoir fait partir presque toute la population palestinienne de Jérusalem ouest en 1947-49) et détruire la Jérusalem palestinienne en tant que capitale historique, économique, culturelle et politique d’une Palestine multiethnique, tout en renforçant son rôle de capitale d’une colonisation juive en expansion des deux côtés de ce qu’on appelle la Ligne verte [8]. Cette « sionisation » est évidente quand on constate l’investissement énorme, soutenu par les Etats-Unis, pour la construction et l’expansion des colonies qui entourent Jérusalem. Pendant ce temps des politiciens comme Blair et Bush disent vouloir relancer la feuille de route qui exige théoriquement le gel de toutes les colonies et Abu Mazen appelle à arrêter la résistance tout en demandant humblement à ceux qui violent le droit international et les droits humains et qui détiennent toutes les cartes de « reprendre » les négociations pour arriver à « un accord ».