Cela semble honnête.
Les États-Unis ont fait de très gros efforts pour amener la paix entre Israël et la Palestine. Le pauvre John Kerry a consacré la totalité de son énorme énergie à obtenir que les deux parties se rencontrent, se parlent, aboutissent à des compromis.
Au bout de neuf mois, il s’est rendu compte qu’il s’agissait d’une fausse grossesse. Pas de bébé, pas même de fœtus. Rien du tout.
Alors les dirigeants américains ont de bonnes raisons d’éprouver de la colère. De la colère contre l’un et l’autre. Aucun d’eux n’a fait montre de la moindre disposition à sacrifier ses intérêts pour faire plaisir à Obama ou à Kerry. Ingrats Moyen-Orientaux.
Il semble donc que la réaction est justifiée. Vous ne voulez pas répondre à nos souhaits ? Allez au diable. L’un et l’autre.
Mais “l’un et l’autre” relève d’un mensonge.
Lorsque l’on dit que “l’un et l’autre” n’ont pas eu le comportement que l’on attendait d’eux, que “l’un et l’autre” n’ont pas pris les “décisions difficiles nécessaires”, que “l’un et l’autre” n’ont qu’à mijoter dans leur propre jus, on considère consciemment ou inconsciemment qu’ils sont égaux. Rien n’est plus éloigné de la vérité.
Israël est incomparablement plus fort que la Palestine dans tous les domaines au plan matériel. L’un ressemble à un splendide gratte-ciel américain, l’autre à une cabane en bois délabrée.
La Palestine est sous occupation de l’autre de “l’un et l’autre”. Les Palestiniens sont totalement privés de l’ensemble des droits humains et civils élémentaires. Le revenu moyen en Israël est 20 fois supérieur au revenu moyen en Palestine. Ce n’est pas 20% mais un vertigineux 2000%. Au plan militaire, Israël est une puissance régionale et, à certains égards, une puissance mondiale.
Face à cette réalité, parler de “l’un et l’autre” relève au mieux de l’ignorance, au pire du cynisme.
La formulation même “l’un et l’autre” équivaut à accepter la façon d’Israël de voir les choses.
QUELLE EST pour “l’un et l’autre” la signification de “mijoter dans leur propre jus” ?
Pour Israël, cela signifie qu’il peut continuer de construire de nouvelles colonies sur des terres arabes en Cisjordanie occupée sans interférence étrangère. Il peut rendre la vie en Cisjordanie et dans la bande de Gaza encore plus dure, dans l’espoir que de plus en plus de Palestiniens préféreront s’en aller. Des civils se font régulièrement tuer de façon arbitraire par les troupes d’occupation.
Certains parmi nous ont conscience que cette voie conduit au désastre sous la forme d’un État bi-national, dans lequel une majorité croissante d’Arabes dépourvus de droits sera gouvernée par la minorité juive. Cela s’appelle apartheid. Mais la plupart des Israéliens ne le voient pas.
Les Israéliens sont heureux et n’ont jamais été plus heureux que cette semaine. Dans une répétition moderne de l’histoire biblique de David et Goliath, l’équipe Maccabi de basket de Tel-Aviv a battu la formidable équipe du Real Madrid pour la Coupe d’Europe. L’orgueil national a atteint des sommets olympiques. (Dans une compétition puérile, le Président Peres et le Premier ministre Nétanyahou ont tenté chacun de se mettre sur le chemin de l’équipe victorieuse en route vers la rencontre populaire sur la place Rabin, afin de tirer profit de leur gloire.)
Ainsi Israël peut mijoter dans la joie, d’autant plus que les États-Unis continuent de nous payer leur tribut annuel de trois milliards de dollars, de nous fournir des armes et d’utiliser leur pouvoir de véto aux Nations unies pour nous protéger d’une censure internationale.
POUR LA partie palestinienne de “l’un et l’autre”, mijoter dans leur propre jus signifie quelque chose de très différent.
La tentative d’aboutir à la réconciliation Fatah-Hamas progresse lentement et peut tourner court à tout moment. Elle dépend de la réussite d’Abbas à constituer un Gouvernement d’Unité composé de “technocrates” impartiaux et du consentement du Hamas à renoncer à son pouvoir exclusif dans la bande de Gaza.
Tous les Palestiniens veulent l’unité, mais les différences idéologiques sont profondes (quoiqu’elles soient maintenant bien plus superficielles en pratique). Mais même si une certaine forme d’unité est obtenue et reconnue par la communauté internationale à l’encontre de la volonté d’Israël, que peuvent réellement faire les Palestiniens sans recourir à la violence ?
Ils pourraient avec l’aide de l’Arabie Saoudite et de la junte militaire d’Égypte, établir une sorte de contact direct entre la Cisjordanie et Gaza et rompre le blocus de la Bande.
Ils peuvent se porter candidats à quelques organismes internationaux supplémentaires et demander davantage de résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies en leur faveur, dans des domaines où le véto des États-Unis ne s’applique pas mais avec très peu d’effets concrets.
Ils peuvent demander aux pays européens et au mouvement BDS de renforcer le boycott des colonies ou d’Israël lui-même.
Tout compte fait, pas grand-chose. La période de mijotage accroîtra même davantage le déséquilibre de pouvoir entre “l’une et l’autre” partie.
Si le mijotage dure assez longtemps, les directions “modérées” du Fatah et du Hamas seront balayées et la violence palestinienne relèvera la tête.
Conclusion : “L’un et l’autre” qui semble tellement juste et impartial, est en réalité une politique de soutien à 100% à la droite israélienne.
EST-CE QUE CELA va renforcer le sentiment anti-israélien à l’étranger ?
Il y a deux semaines, une organisation juive des États-Unis a lancé une bombe : dans tous les pays du monde il y a de l’antisémitisme, de 91% en Cisjordanie à 2% au Laos. (On peut se demander où les Laotiens trouvent des Juifs à haïr.)
Une personne sur cinq dans le monde nourrit des préjugés antisémites. Plus d’un milliard d’êtres humains !!!
L’organisation qui a investi tant d’argent pour financer un tel sondage est la Ligue (Anti-)Diffamation. Je mets le mot “anti” entre parenthèses parce que le nom qui convient serait Ligue de Diffamation. C’est une sorte de Police de la Pensée au service des milieux dirigeants de l’aile droite du judaïsme américain.
(Il y a un bon nombre d’années, lorsque j’étais membre de la Knesset, j’avais été invité à intervenir dans 20 universités américaines importantes. J’étais invité par les aumôniers juifs qui appartiennent à l’organisation Bnei Brith (Beit Hillel). Au dernier moment 19 interventions furent annulées. Dans une lettre secrète la Ligue de Diffamation avait dit aux aumôniers que “bien que l’on ne puisse pas qualifier le Membre de la Knesset Uri Avnery de traître…” etc. etc. En fin de compte, toutes les interventions eurent lieu sous les auspices des aumôniers chrétiens.)
La publication des résultats accablants du sondage ont mis en évidence un fait curieux : l’annonce d’un accroissement de l’anti-sémitisme est accueillie par beaucoup de Juifs avec quelque chose qui ressemble étrangement à de la joie.
Je me suis souvent étonné de ce phénomène. Pour des sionistes la réponse est simple : les mots anti-sémitismes et sionisme, comme des frères siamois, sont nés en même temps. L’antisémitisme a toujours amené des Juifs en Israël, et il continue de le faire (récemment depuis la France).
Pour d’autres Juifs, la source de la joie est moins évidente. Les Juifs d’Europe ont été entourés d’anti-sémites depuis si longtemps qu’il leur semble normal de les voir. Les redécouvrir encore et encore donne aux Juifs un sentiment rassurant de familiarité.
Et puis il y a, bien sûr, les innombrables employés de la Ligue et d’autres organisations juives, dont le gagne-pain dépend de la dénonciation d’anti-sémites.
L’interprétation du sondage lui-même est, évidemment, une pure connerie (désolé). Des gens qui ont formulé des doutes concernant la politique israélienne sont classés comme anti-sémites. Il en va de même pour tous les habitants des territoires occupés qui n’aiment pas leurs occupants. Les Musulmans en général, qui ont une vision négative d’Israël, sont bien sûr racistes. Un sondage du même genre sur le racisme anti-russe pourrait bien conduire aux mêmes résultats en Ukraine.
UNE SEMBLABLE initiative est le congrès cette semaine de l’Association Internationale des Avocats et Juristes Juifs.
Juristes juifs peut sonner presque comme une tautologie. Chaque mère juive veut se glorifier de “mon fils, le docteur” ou “mon fils, l’avocat”. Aux États-Unis et dans beaucoup d’autres pays, les avocats et les juges juifs semblent être en majorité.
Cette rencontre a un objectif clair : convaincre les Nations unies de supprimer l’UNWRA, l’agence des Nations Unies chargée des réfugiés palestiniens. Elle a été créée après la guerre de 1948, au cours de laquelle quelques 750.000 Palestiniens se sont enfui ou ont été chassés du territoire qui est devenu Israël. Leurs descendants, qui sont aussi reconnus comme des réfugiés, sont maintenant au nombre de quelques six ou sept millions.
L’UNWRA nourrit ces réfugiés, les protège et assure leur éducation. C’est vrai qu’il s’agit d’une institution unique, expression de la mauvaise conscience des Nations unies. Il semble que les réfugiés d’aucun autre pays n’ont une telle organisation spécifique pour s’occuper d’eux.
Actuellement les Jew-Ju’s (si je peux les désigner ainsi) sont en train de monter une attaque, pilotée directement par Israël, pour supprimer complètement cette organisation. Je suppose que l’objectif est de démanteler les camps de réfugiés palestiniens qui existent dans plusieurs pays autour d’Israël – Sabra et Chatila viennent à l’esprit – et de disperser les réfugiés sur l’ensemble de la Planète, où ils représenteront moins une épine dans le pied du gouvernement Nétanyahou.
TOUT CELA au nom de la justice et de l’égalité. Israéliens et Palestiniens peuvent “les uns et les autres” mijoter dans leur propre jus.
Des jus TRÈS différents, cependant.