Un panneau rouge avertit en hébreu, en arabe et en anglais : nous entrons en territoire palestinien. Des douilles qui pleuvent, des hurlements de femmes et d’enfants, des sirènes qui retentissent, des murs qui s’effondrent, nous sommes à Gaza et en Cisjordanie. La Palestine condensée dans un labyrinthe de 60 mètres carrés que le visiteur parcourt un casque vissé sur les tempes.
Ses rues d’abord, Hébron, Naplouse, puis l’intérieur de ses maisons, au milieu des gravats, dans une salle de soins ou encore au check-point, différents décors reconstitués, agrémentés de nombreuses photos, constituent une plongée dans le quotidien des Palestiniens sous l’occupation. « In Between Wars » met le cœur et les yeux à l’épreuve : des murs portant les stigmates de tirs, des affiches de martyrs, des barbelés, des barricades, des femmes effondrées de douleurs, des hommes estropiés, des enfants aux visages perdus dans les restes de leurs maisons.
Mais les oreilles souffrent plus encore : dans chaque lieu sont diffusés des enregistrements audio et des témoignages filmés. C’est par exemple le cas de Ehsan, 12 ans, qui raconte avoir été arrêté avec plusieurs de ses camarades en 2014 pour avoir jeté des pierres en direction des soldats, ce qui leur a valu d’être détenus et battus puisqu’une récente loi autorise désormais la mise en détention de mineurs de moins de 14 ans. Une patiente suivie par MSF témoigne avoir perdu 13 membres de sa famille en 2014 lors de l’offensive Bordure protectrice. « Je veux dire au monde entier que nous souffrons et que nous avons besoin d’aide pour mettre un terme à cette souffrance », confie-t-elle.
Les humanitaires témoins de ce quotidien
Cette expérience inédite est l’œuvre de Médecins Sans Frontières (MSF) dont les équipes travaillent à Gaza et en Cisjordanie depuis presque trente ans. L’exposition témoigne des blessures physiques et psychologiques subies par les Palestiniens, principalement les femmes et les enfants. Elle permet de comprendre la violence quotidienne à laquelle est confronté ce peuple. Etat de siège, pénuries, humiliation, morts, démolitions, incursions nocturnes, arrestations arbitraires, etc., une violence qui n’est autre que le résultat d’une occupation pour laquelle plus personne ne semble se soucier. « In Between Wars » « exprime le refus de contribuer à banaliser l’inacceptable », explique MSF.
Un sentiment que certains semblent ne pas partager. Mi-décembre dernier, le Crif, (Conseil représentatif des institutions juives de France) a ainsi réclamé la fin de l’exposition, estimant qu’elle ne pouvait « qu’attiser la violence antisémite et augmenter la menace terroriste » à Paris. Rapidement, l’ONG a réagi, expliquant que l’installation ambitionnait de « rendre compte d’un point de vue humanitaire des difficultés quotidiennes des Palestiniens sous occupation israélienne », tout en concédant « un parti-pris dont [MSF connait, ndlr] le caractère controversé ».
Une expérience marquante
En effet, « In Between Wars » interroge, choque voire terrorise. Le visiteur sursaute, est traversé par l’angoisse, la peur. A travers les témoignages recueillis par les équipes de MSF qui vivent aux côtés des Palestiniens, c’est à chacun de se faire sa propre opinion.
A Gaza par exemple, raconte MSF, les coupures d’électricité durent en moyenne entre seize et dix-huit heures par jour. Dans cette prison à ciel ouvert, sous blocus depuis plus de neuf ans, 75% des Gazaouis vivent d’aides alimentaires, le taux de chômage dépasse les 65% et atteint 85% chez les moins de 30 ans. Dans cette bande de terre d’une quarantaine de kilomètres de long et de 6 à 12 kilomètres de large, presque 80% des quelque 1,9 million d’habitants vivent dans la pauvreté selon le PNUD. « Quand les bombes s’abattent sur Gaza, la population est prise au piège et n’a nulle part où se réfugier et se mettre en sécurité », raconte « In Between Wars ».
Plus de 20 ans après les accords d’Oslo et presque 70 ans après le plan de partage des Nations unies, la situation est toujours au point mort en Palestine. L’occupation israélienne, civile et militaire, se poursuit et s’étend. Et ce sont les civils palestiniens qui en paient le prix cher. Un prix que « In Between Wars » donne à découvrir. Un prix qui bouleverse et tourmente le visiteur durant une trentaine de minutes.
A l’issue du parcours, pour sortir de Gaza, le corps est à nouveau mis à l’épreuve. Un examen minutieux est effectué par les autorités israéliennes jusque dans l’intérieur du corps. « Suivez les instructions et attendez que la personne qui vous précède en soit sortie pour entrer à votre tour dans le bodyscanner, est-il écrit sur les pancartes. Placez vos pieds sur les empreintes au sol et mettez vos mains en l’air au-dessus de votre tête. »
A la sortie plane un silence pesant où le visiteur reprend son souffle et ses esprits, soulagé d’être sorti de cet enfer. Un enfer qui n’est autre que celui d’un peuple vivant en sursis, comme entre deux guerres.
« In Between Wars, Palestiniens entre deux guerres, une immersion dans la vie quotidienne en Palestine », du 5 au 17 janvier 2016 entrée libre, Maison des métallos à Paris. Elle devrait aussi être présentée cette année dans certains pays arabes.
La visite peut aussi se faire en cliquant ici.