Un jeune homme non religieux de la région de Ramallah a exprimé son étonnement sur la façon dont (la question de) Jérusalem était en train d’unifier l’ensemble du peuple palestinien, et a comparé Omar al-Abed, l’auteur de l’attaque à Halamish vendredi soir, à Saladin. Une comparaison idiote, tous en conviendraient. Néanmoins, le besoin de mentionner Saladin résume le ras-le-bol ressenti par les Palestiniens quant à ceux qu’ils considèrent comme les nouveaux Croisés.
Ce jeune homme ne peut pas aller à Jérusalem-Est ni dans la Vieille Ville, qui est à moins de 30 kilomètres (environ 18 milles) de chez lui, parce que, même en temps ordinaire Israël n’accorde pas d’autorisations d’entrée “comme ça” à des gens de son âge. Et peut-être fait-il partie de ceux qui estiment qu’il est humiliant d’avoir à demander une autorisation d’entrée dans une ville palestinienne. La dernière fois qu’il est allé (à Jérusalem) c’était quand il avait 13 ans – il y a quelque 13 ans.
Et donc ce jeune Palestinien n’a pas entendu vendredi à Jérusalem quelques-uns des prédicateurs parler de leur nostalgie de Saladin. Parce que les Palestiniens s’en sont tenus à leur interdit d’entrer à Al-Aqsa en passant par les détecteurs de métaux israéliens, des soi-disant prédicateurs se sont adressés à des groupes de fidèles qui s’étaient rassemblés dans les rues de Jérusalem-Est et de la Vieille Ville, encerclés par des membres de la Police des Frontières les visant de leur long fusil.
Un de ces prédicateurs a déclaré que s’il n’y avait pas eu les positions et les actions de différents régimes dans le monde dans le passé et dans le présent, les Juifs ne l’auraient pas emporté sur les Palestiniens. Puis il a marqué une pause et a ajouté, “S’il n’y avait pas eu l’Autorité Palestinienne, qui collabore, les Juifs n’auraient pas pris le dessus.” Il s’est aussi demandé : “Est-il possible que de toutes les armées musulmanes dans le monde aujourd’hui, pas une ne puisse faire apparaître un Saladin ?” Et il a alors promis que le jour viendrait où les armées venues de Djakarta, d’Istanbul et du Caire arriveraient pour libérer la Palestine, Jérusalem et Al-Aqsa.
Un autre prédicateur a fait de semblables déclarations avant le sermon à un touriste de Turquie. Le contenu et le style rappelaient le parti islamiste et salafiste du Hizb El Tahrir (Parti de la Libération) [1] : Il ne s’agit pas de sermon pour une lutte armée contre l’occupant israélien, mais d’une foi profonde en un jour où le monde musulman se moblise et fait tomber les “Croisés Juifs.”
Quand le prédicateur a eu terminé , quelques-uns seulement se sont joints à l’appel avertissant les Juifs que “l’armée de Mahomet reviendrait” – mais pas un n’a protesté contre la qualification de « collaborateur » faite à l’AP. De toute façon, ses activités sont interdites à Jérusalem. Israël a évincé l’OLP (à laquelle l’AP est théoriquement subordonnée) de tout le rôle unificateur, culturel, social ou économique qu’il avait jusqu’à l’année 2000. Un vide comme lui-là ne peut être comblé que par des entités et des expressions religieuses qui donneront un sens à une vie pleine de souffrances. La position constante de l’OLP et de l’AP selon laquelle il ne s’agit pas d’un conflit religieux et qu’Il ne doit pas être permis à Israël de lui donner cette dimension ne semble pas particulièrement convaincante à Jérusalem.
Depuis que la plupart des Palestiniens de la Bande de Gaza et de Cisjordanie ne peuvent plus aller à Jérusalem, la ville – et en particulier la Mosquée d’Al-Aqsa – sont pour eux des endroits abstraits, un “concept” ou une image accrochée au mur ; non pas une réalité qui soit vécue. Mais ce lieu abstrait, Al-Aqsa, réalise ce que le siège de Gaza et de ses deux millions de prisonniers, l’extension des colonies et la confiscation des réservoirs d’eau et des panneaux solaires des villages de la Zone C, ne réalisent pas : il est en train de les unifier. Le discours anti-colonial, qui est essentiellement national, politique et laïc, est canalisé vers des messages sur Facebook, vers des articles universitaires qui n’atteignent pas le grand public et vers des slogans creux marmonnés par des dirigeants, dont la durée de leur fonction dirigeante et de leur mandat a depuis longtemps expiré.
En d’autres mots, le discours national et la fonction dirigeante nationale d’anciens combattants ne sont plus considérés aujourd’hui comme appropriés. Alors qu’Al-Aqsa, en revanche, parvient à créer une opposition populaire de masse au dominateur israélien étranger – et cela allume l’imagination et l’inspiration des autres qui ne peuvent aller à Jérusalem. Il n’y a pas que des personnes non religieuses qui sont venues vendredi aux sanctuaires de Jérusalem pour être avec les leurs. Un certain nombre de Chrétiens palestiniens se sont joints aussi aux groupes de fidèles musulmans et ont prié, à leur façon, le visage tourné vers Al-Aqsa et la Mecque.
Bien sûr, il s’agit d’abord et avant tout de la force de la croyance religieuse. Plus la foi est profonde, plus l’insulte à ses éléments sacrés est grande. Le fait que Al-Aqsa est un site commun à tous les Musulmans est un élément donnant plus de pouvoir. Mais il ne s’agit pas que de cela : Jérusalem connaît la plus forte concentration de Palestiniens qui côtoient le dominateur israélien étranger, avec tout ce que ceci implique en termes de piétinement de leurs droits et de leur humiliation. Ils n’ont pas besoin des « lieux symboliques » de l’occupation, comme les postes de contrôle militaires, pour se rappeler de l’occupation ou exprimer leur colère. Et l’esplanade d’Al-Aqsa, quant à elle, est l’endroit où le plus grand nombre de Jérusalémites peut se rassembler en un seul lieu pour avoir l’impression d’être un collectif. Et quand ce droit de se rassembler leur est enlevé, ils protestent comme un seul homme – qui rappelle aussi au reste des Palestiniens que la population dans son ensemble est une, endurant la même domination étrangère.
Mais cette même population unifiée ne peut plus exprimer son unicité dans des actions collectives. Elle est enfermée, morcelée en des enclaves en apparence souveraines, et divisée en classes sociales avec des écarts sociaux, économiques et affectifs qui vont en s’accentuant. Sa route vers les lieux symboliques de l’occupation, qui entourent chaque enclave, est bloquée par les forces de sécurité palestiniennes aussi bien que par l’adaptation à la vie dans l’enclave.
Ceci est le fondement politique, et basé sur les faits, de la présence ininterrompue des assaillants solitaires, sans référence au résultat de leurs actions : tout d’abord, l’intolérable prolongation de l’occupation ; ensuite l’inspiration d’Al-Aqsa en tant que lieu qui unifie, sur le plan religieux et sur le plan social ; des dirigeants décevants, affaiblis et faibles ; et une volonté de mourir qui est un mélange de foi en le Paradis et de désespoir à cause de la vie.
(traduit de l’anglais par Yves Jardin, membre du GT de l’AFPS sur les prisonniers)