Une tournée en Israël des meilleurs joueurs de football américain de la NFL, dont l’image avait été soigneusement planifiée, est devenue une catastrophe en termes de relations publiques, après que le gouvernement israélien s’est tiré une balle dans le pied. Ou bien, pour utiliser une métaphore de circonstance, les ministres du Likoud, au service de Netanyahou, ont marqué contre leur camp.
Le jumelage d’Israël avec des célébrités a toujours été un outil très efficace de relations publiques depuis des décennies : Attirer des Américains ou d’autres Etrangers en les invitant à un séjour mémorable en Israël à des fins de propagande. L’effet est bien sur amplifié lorsque les visiteurs sont des célébrités, en particulier à l’époque des réseaux-sociaux : les stars du show-bizz de la télé et du sport sont en effet promptes à poster sur Instagram quantité de selfies, mangeant des sandwichs-pita dans la vieille ville, faisant la planche dans la mer Morte, ou immortalisant un moment inoubliable devant le Mur des lamentations ou dans l’église du Saint-Sépulcre.
Comme par magie, ces visites d’information et d’histoire ont toujours occulté, dans la mesure du possible, les aspects politiques. Lorsqu’intervient le soutien du gouvernement, c’est en coulisses : les voyages sont généralement organisés par des associations à but non-lucratif qui prennent seules l’initiative et la promotion. Ceux qui organisent ces visites savent rester discrets jusqu’à ce que les stars soient arrivées en toute sécurité en Israël, avant qu’une quelconque pression dissuasive, de la part des militants du BDS ou d’autres groupes de défense des droits palestiniens, ne se développe pour les annuler : contrairement aux organisateurs de concerts (ndlt : pour lesquels la publicité est essentielle), ils peuvent se payer le luxe de la discrétion.
En l’occurrence, cette tournée des joueurs de football américain s’annonçait comme une réussite bien chorégraphiée. Dans la foulée du Super Bowl, les joueurs de la NFL devaient participer à un match de démonstration contre l’équipe de l’Association Israélienne de Football Américain. Le groupe, à forte majorité afro-américaine, devait aussi visiter les sites chrétiens et certains d’entre eux avaient même annoncé leur intention de se faire baptiser dans le Jourdain, de visiter Yad Vashem, l’hôpital Rambam et la communauté israélite hébraïque de Dimona.
Bref, une visite récréative, amicale et significative... et non controversée. Que demander de plus ?
L’arrivée d’un éléphant de taille dans le magasin de porcelaine...
Le Ministre des Affaires Stratégiques et de la Diplomatie Publique, Gilad Erdan. Ce prétendant au poste de Premier Ministre fut si pressé de renforcer son influence qu’il s’est publiquement félicité de la réussite de cet évènement qui n’avait pas encore eu lieu, et, la semaine précédant le voyage, il s’auto-congratulait déjà dans la presse :
"Je considère la venue de cette délégation de stars de la NFL en Israël est très importante . Cette visite sera sans nul doute une expérience puissante pour chacune d’entre elles et j’espère que, grâce à leur visite, elles en retiendront une image équilibrée d’Israël", a écrit Erdan, cité par le "Times of Israël". Le ministère que je dirige mène une lutte intensive contre la délégitimisation et les campagnes de BDS contre Israël, et ce combat comprend l’accueil de personnes d’influençe et de faiseurs d’opinion de renommée internationale, dans de nombreux domaines, y compris le sport."
Erdan a ajouté qu’il espérait que les joueurs de football en retiendraient "une image équilibrée d’Israël, au contraire des campagnes mensongères mondiales contre Israël." Selon le "Times of Israël", Yariv Levin , Ministre du Tourisme, a également commenté publiquement cette visite, déclarant qui "il était certain que les joueurs reviendraient à la maison comme des "ambassadeurs de bonne volonté pour Israël."
Peu de temps après, le célèbre défenseur de zone des Seahawks de Seattle, Michael Bennett, signalait de façon spectaculaire qu’il se retirait de la tournée en tweetant une photo de Martin Luther King Jr. avec la légende "Je ne vais pas en Israël".
Im not going to Israel pic.twitter.com/KWzA0nCiFb
— Michael Bennett (@mosesbread72) February 10, 2017
Bennett a poursuivi avec une déclaration plus longue dans laquelle il a dit qu’il avait été "excité de visiter cette région du monde, remarquable et historique à mes yeux" jusqu’à ce qu’il a lu un rapport selon lequel "son itinéraire était en train d’être construit par le gouvernement israélien dans le but de le transformer, selon les mots d’un membre du gouvernement, en un « influençateur et faiseur d’opinion » qui serait alors « un ambassadeur de bonne volonté ».
Il a ajouté qu’il ne sera pas "instrumentalisé de cette manière."
Bennett a notamment écrit : « Lorsque j’irai en Israël - et je prévois d’ y aller - ce sera non seulement pour voir Israël, mais pour voir comment, en Cisjordanie et à Gaza, vivent les Palestiniens, dont c’est la terre nouricière depuis des milliers d’Années".
— Michael Bennett (@mosesbread72) February 11, 2017
Traduction de la lettre de Michael Bennett sur Twitter :
"Chers Terriens,
Il était prévu de passer par Israël lors de notre tournée avec mes amis des joueurs de la National Footbal League. J’étais excité à l’idée d’enfin découvrir par moi-même cette partie remarquable, et historique, du Monde.
Je n’étais pas au courant, jusqu’à la lecture d’un article sur le sujet dans le "Times of Israël", que ce voyage avait été concocté par le gouvernement Israélien pour faire de moi, selon les propres mots d’un porte-parole officiel du gouvernement, un "facilitateur" et un "faiseur d’opinion", qui pourrait ainsi devenir un "Ambassadeur de bonne volonté".
Je ne me laisserai pas instrumentaliser de cette manière. Lorsque j’irai en Israël, et j’ai bien l’intention de m’y rendre, ce sera non seulement pour visiter Israël, mais aussi la Cis-Jordanie et Gaza, et ainsi, je pourrai voir comment y vivent ceux dont c’est la terre maternelle depuis des millénaires.
L’un des mes héros a toujours été Mohammed Ali. Je sais qu’Ali s’est toujours tenu fermement aux côtés du peuple palestinien, visitant les camps de réfugiés, participant à des meetings, et toujours volontaire pour "porter la parole de ceux qui n’en ont pas".
Je veux porter cette Parole, et ne pourrai le faire en visitant Israël dans ces conditions.Je sais que je vais mettre beaucoup de monde en colère, et en inspirer d’autres. Mais considérez s’il vous plaît que vous n’y êtes pour rien, je ne fais ceci que pour être en accord avec ma conscience. Comme le champion olympique John Carlos, en 1968, a toujours dit : " Il n’y a pas de demi-engagement avec la justice : on en est ou on n’en est pas".
Eh bien, j’en suis.
Sincèrement,
Michael Bennett"
Au moins un second joueur, parmi les autres participants, Kenny Stills, des Dolphins de Miami, a lui aussi tweeté son intention d’imiter Bennett en se retirant du voyage, et d’autres joueurs semblent également vouloir en reconsidérer leur participation.
Couldn't have said it any better. I'm in ! https://t.co/F1vFBVJlmR
— Kenny Stills (@KSTiLLS) February 11, 2017
Ceci arrive à un moment où le monde du football professionnel est particulièrement connoté politiquement. En effet, un certain nombre des joueurs des New England Patriots avaient refusé de rencontrer le président Donald Trump à la Maison Blanche après leur victoire au Superbowl, dont Marcellus, le frère de Bennett. Ce n’était pas précisément le bon moment pour le gouvernement israélien de se vanter de son implication dans le voyage de la NFL.
Erdan ne manquera pas de pointer du doigt la responsabilté des mouvements BDS et des militants pro-palestiniens. Mais il devra plutôt chercher le coupable dans son propre miroir. N’aurait-il pas été aussi si égocentré et si maladroit, qu’il aurait alors évité de donner aux adversaires d’Israël les munitions pour un tel fiasco ; c’est bien lui qui a révélé avant l’heure la véritable nature de ce voyage.
Ce qui a clairement fait pencher la balance, pour Bennett, fut une lettre ouverte qui incitait les joueurs à ne pas participer à la tournée, écrite par par un groupe de militants et signée par des personnalités de haut niveau et des célébrités comme Alice Walker, Harry Belafonte ou Danny Glover. Au tout-début de la lettre, les propos d’Erdan sont présentés comme la preuve pour les joueurs que le gouvernement israélien actuel "vise à utiliser votre renommée pour faire avancer leur propre programme : un ordre du jour établi aux dépens du peuple palestinien".
Si Erdan avait été à la hauteur de sa charge, il aurait habilement pu reconnaître une partie de la déclaration de Bennett, et faire aux joueurs qui ont annulé une offre qui leur aurait été difficile de refuser :
Pensons à ce qui aurait pu arriver si Erdan avait pensé à donner le change à Benett, en précisant qu’Israël avait pris contact avec les autorités palestiniennes, afin de permettre aux joueurs de voir et de s’instruire sur la vie et les luttes de la communauté palestinienne, comme ils l’auraient fait en Israël.
Voilà qui aurait été une contre-attaque digne d’un véritable stratège et d’un diplomate - mais il est peu probable qu’Erdan, ou qui que ce soit issu du gouvernement actuel, puisse envisager une telle manoeuvre, et encore moins qu’il sache l’appliquer.
Allison Kaplan Sommer
Haaretz
Traduction : Emmanuel Aguera pour l’AFPS